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Liberté - Page 944

  • Nuremberg, 1971

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    Vendredi 01.05.15 - 19.01h

     

    Je plonge ici dans ma mémoire. Nuremberg, juillet 1971. Au cœur de l’un des nombreux, étincelants étés allemands de mon adolescence, j’ai eu le privilège d’aller voir le Götz von Berlichingen, de Goethe, au théâtre. Je me souviens que c’était un dimanche soir. Je me plaisais infiniment à Nuremberg : je venais, quelques jours auparavant, d’y visiter avec fascination la grande expo Dürer, dans sa ville natale, pour ses 500 ans. J’ai consigné tout cela sur mon Tagebuch, mais n’ai nul besoin de le consulter : je venais de fêter mes treize ans, j’étais incroyablement motivé pour la culture allemande, je me souviens de tout. Comme si c’était hier.

     

    Götz von Berlichingen est une pièce de jeunesse de Goethe, écrite à 23 ans, sans doute même un peu avant. Elle constitue l’un des actes fondateurs du Sturm und Drang, ce séisme littéraire de la seconde partie du dix-huitième siècle, où l’Allemagne prend congé de l’influence française pour aller creuser dans sa propre Histoire : en l’espèce, les grands confits germaniques du seizième, dont la Guerre des Paysans. Goethe ressuscite, plus de deux cents ans après sa mort, un personnage historique qui lutte pour l’identité allemande et pour la liberté : « Freiheit, Freiheit, Freiheit » : ce sont ses derniers mots, sur scène. La langue, surtout, contraste avec celle de l’Aufklärug, elle est plus dialectale, plus populaire, plus allemande. Au fond, avant l’heure, Goethe, avec cette pièce, nous fait du Schiller.

     

    Tout cela, je n’en avais évidemment nulle conscience. Mais ce drame allemand m’avait fasciné. La qualité de la langue, la main de fer du chevalier, la voix rocailleuse du personnage principal, les tonnerres d’applaudissements, à la fin. Je n’ai lu la pièce que plusieurs années plus tard. Mais je crois bien que c’est là, ce dimanche soir, qu’une inconsciente décision en moi a dû émerger. Je crois aussi que cet été de juillet 1971 en Franconie, ma fascination pour les bords du Main, mon émotion de retrouver, à Würzburg, une célèbre maison dans laquelle avait vécu ma mère dans les années 1937-1938, tout cela a déterminé en moi quelque chose de capital, pour la suite.

     

    J’ignore absolument pourquoi, maintenant, j’écris ces lignes. Je crois simplement que j’arrive à un âge où la mémoire est encore totalement intacte, et où s’active un besoin puissant de revivre des émotions de jeunesse. Ce théâtre, cette scène finale, ce Nuremberg de 1971, tout cela me remonte avec une incroyable précision. Si je devais, un jour, publier un livre, je veux dire autre chose que les chroniques du temps, il est certain que les années allemandes de mon adolescence y tiendraient un rôle central.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Suisse-Europe : on se calme !

     

    Sur le vif - Jeudi 30.04.15 - 14.41h

     

    Il paraît que l’Union européenne hausse le ton face à la Suisse, dans le dossier de la libre circulation. Le problème, ça n’est pas tellement que M. Juncker se chauffe la voix, mais que la moindre variation de tonalité de Bruxelles envers notre pays provoque immédiatement les gros titres et les éditos totalement alarmistes de notre bonne presse en Suisse romande. Encore et toujours, faire au peuple et aux cantons la morale, leur reprocher d’avoir mal voté le 9 février 2014. Toujours la même chanson : « Vous avez osé provoquer l’Union européenne, regardez comme elle se venge, ça va être terrible ».

     

    Il existe, pourtant, une autre manière de réagir. Ne pas tant se focaliser sur les grondements sonores de Bruxelles, ne pas toujours parler d’eux. Mais placer, au centre de notre discours, la décision souveraine prise le 9 février 2014 par le corps électoral. Elle implique, très clairement, une régulation de l’immigration, et la mise en place de contingents. Ces éléments-là ne sont plus à discuter. Il s’agit de les mettre en application. Toute autre solution reviendrait à considérer le peuple et les cantons de notre pays, seuls organes de décision lorsqu’il s’agit d’une initiative populaire, comme mineurs, alors qu’ils sont ultimes. Ce serait, sans ambiguïté, bafouer notre démocratie. Et le Conseil fédéral, il lui appartient, calmement, courtoisement, mais avec une implacable fermeté, de l’expliquer à Bruxelles. L’affaire, que d’aucuns s’emploient à tarabiscoter à l’extrême, est aussi simple que cela.

     

    Citoyens, ne nous laissons pas impressionner par la titraille d’Apocalypse de ces éditos de nos journaux. Laissons Bruxelles rugir. Et occupons-nous prioritairement de nous-mêmes : nous avons, le 9 février 2014, pris une décision, il s’agit qu’elle soit appliquée. Nous avons peut-être face à nous une machine prétendant représenter 28 pays, eh bien cette bureaucratie si loin des peuples a, en face d’elle, un tout petit pays, 8 millions d’habitants, bien fragile, c’est vrai. Mais un pays gouverné par le corps de ses citoyens, en qui réside la souveraineté. Chez eux, ça n’est pas comme cela, c’est leur droit, respectons-les. Mais chez nous, c’est ainsi.

     

    C’est précisément pour résister aux puissances, aux pressions, aux menaces, aux arrogances des grands, à la superbe des empires, que la petite Suisse, au fil des siècles, s’est constituée. Pour ma part, je préfère concentrer mes attentions sur ce que nous sommes, plutôt que sur les émanations sonores d’une usine à gaz qui ne semble connaître ni notre système, ni notre Histoire, ni notre culture politique. Eh bien, renseignons-les. Mais de grâce, ne courbons pas l’échine.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Les pains, les poissons, les associations

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 29.04.15

     

    Je n’ai pas sous la main les statistiques pour les villes de Valparaiso ni de Vladivostok, mais il me semble bien que Genève doit être au monde la ville où prospèrent, au mètre carré, le plus grand nombre d’associations. Il y en a de toutes les sortes et pour tous les goûts. Protectrices de peuples lointains, de toutes les minorités possibles et imaginables. Il y a les caritatives, les amicales, celles qui défendent les quartiers, les sous-quartiers, les groupements d’immeubles, de locataires, de propriétaires, de sous-locataires, d’aide-concierges. Il y a les groupements d’intérêts, les lobbies, les usagers du tram, les fous du volant, les partisans des Bains et ceux du vélocipède. Les associations sont comme les pains et les poissons : elles se multiplient à l’infini.

     

    Créer une association ne doit pas être très difficile, à en juger par le nombre d’hurluberlus qui s’en réclament, et aussitôt s’en vont quémander aux pouvoirs publics – la Ville, notamment – une aide financière. Au point que nos édiles municipaux, ces fameux cinq conseillers administratifs que nous allons élire le 10 mai, sont devenus de véritables machines à distribuer des sous aux associations. Et il faut les voir, les lobbyistes de ces groupements, faire le siège du Conseil municipal, chaque décembre, pour aller rappeler, sans la moindre vergogne, à nos 80 élus délibératifs de ne surtout pas les oublier, lorsqu’ils votent le budget. Et ça marche ! Parce que les élus, justement, ils ont besoin d’être un jour réélus. Alors, ils se font une clientèle. Et c’est ainsi qu’à Genève, par pléthore, l’associatif, tout doucement, prend la place du politique.

     

    Pascal Décaillet