Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Commentaires GHI

  • Le fantôme de 1992

     

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 07.05.25

     

    Pendant toute l’année 1992, celle du débat homérique sur l’Espace économique européen, je vivais à Berne avec ma famille, c’étaient les années où j’étais correspondant parlementaire pour la RSR. Nous étions une équipe de choc, quatre personnes. Nous avions nos studios au troisième étage du Palais fédéral, juste au-dessus des deux Chambres du Parlement, le National et les Etats. Ce fut l’une des périodes les plus intenses de ma vie professionnelle. J’en garde un souvenir ému, ébloui.

     

    L’Espace économique, j’étais pour. C’est donc avec un immense enthousiasme que j’ai suivi Jean-Pascal Delamuraz, micro en main, pendant toute l’année de campagne, jusqu’à l’acte final, le refus du peuple et des cantons, le dimanche 6 décembre 1992. Pour moi aussi, ce fut un dimanche noir, j’étais un peu sonné. J’avais adhéré à fond au radicalisme ouvert, pragmatique, plein de vie, de Delamuraz. Mais il y avait quelque chose, dans la Suisse profonde, qui m’avait échappé. J’étais, évidemment, seul responsable de mon dépit : l’impératif de ma vie est la lucidité, là elle m’avait fait défaut.

     

    Jean-Pascal Delamuraz, lui, était parfaitement conscient du réveil tellurique de la Suisse profonde, éprise de souveraineté, méfiante face aux grands ensembles, qui, tout au long de l’année, s’apprêtait à le vaincre. Mais il était un homme courageux. Le combat, il l’a mené. Le peuple, il n’en a pas eu peur. Il a joué, il a perdu. C’était un homme d’Etat, tout simplement.

     

    Pascal Décaillet

  • Suisse-Europe : le Conseil fédéral a peur !

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 07.05.25

     

    Le peuple et les cantons. C’est ce duo, et lui-seul, qui constitue le souverain de notre pays. L’arbitre ultime des grandes décisions, celles qui touchent au destin de la nation. Une initiative populaire fédérale par exemple, pari du peuple lancé à lui-même, terriblement difficile à faire passer, tant les obstacles sont nombreux, exige la double majorité, peuple et cantons. C’est une question de légitimité pour changer la Constitution, représenter à la fois la majorité numérique des votants, mais aussi respecter ce petit miracle suisse qui s’appelle le fédéralisme. Vingt-six cantons, qui ne sont pas des circonscriptions administratives, ni des préfectures, régies d’une capitale. Non, nos cantons sont des Etats ! Chacun d’entre eux est spécifique, passionnant, par son Histoire, sa manière d’aborder les questions scolaires, sanitaires ou policières. Le tissu des cantons est le corps vivant de notre pays.

     

    Cette attention aux profondeurs complexes et fragiles de la Suisse, la Conseil fédéral, une nouvelle fois, la jette aux orties. Il a décroché de nouveaux Accords avec l’Union européenne, fort bien, discutons-en. Nous tous, les citoyennes et citoyens de ce pays ! Et pas seulement le Parlement ! Et surtout pas les seuls « partis » ! Un Accord qui scelle le destin du pays, dans des domaines non seulement économiques (à ces derniers, le peuple suisse est très ouvert), mais dotés d’un volet institutionnel, notamment par rapport à la Cour de justice européenne, doit être ratifié, le jour venu, à l’issue d’un vaste débat populaire, par un mode garant de la légitimité la plus ancrée. En clair, comme le 6 décembre 1992, par la double majorité, peuple et cantons. Il n’y a aucune autre solution. L’affaire n’est pas juridique, de grâce épargnons-nous les doctes démonstrations de profs de droit. Non, elle est politique. Et elle est identitaire à la texture même de notre pays.

     

    Dans toute cette histoire, le Conseil fédéral a peur. Peur des cantons, nous l’avons montré. Peur de la montée du sentiment, non anti-européen (nous aimons passionnément notre continent), mais anti-UE, dans les couches profondes du peuple suisse. Peur de déplaire à une doxa pro-UE qui, malgré toutes réalités, continue de régner à Berne, dans les Universités, chez les juristes, dans les médias. Ça fait du monde ? Non, pas tant que ça, face au corps électoral d’un certain dimanche.

     

    Au fond, le Conseil fédéral a peur de la Suisse. Peur de son propre pays. Peur de l’attachement viscéral à la souveraineté politique. Peur de lui-même, de ses propres faiblesses, en jugement, en lucidité et en cohésion. Peur de ce vieux fantôme de la Suisse profonde, pas celle des villes, pas celle des nantis, non, celle des patriotes au cœur simple et ardent. L’homme d’Etat suisse que j’ai le plus admiré en quarante ans de journalisme, Jean-Pascal Delamuraz, l’avait affronté à ses dépens, ce vieux fantôme, en 1992. Il s’était battu comme un lion. Il avait perdu. Mais lui, au moins, tel Dom Juan face aux flammes, n’avait pas peur.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Le paradis

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 30.04.25

     

    L’olivier. Le cyprès. Le pin parasol. La vigne basse, taillée proche de la terre. L’iris. Le jasmin. Le laurier. L’arbre de Judée, aux floraisons de sang. Les murs de pierres apparentes, irrégulières, enflammées de soleil dans l’oblique du soir. Les toits de tuiles romaines. Les bornes milliaires, le long des voies antiques, avec des noms d’empereurs, Aurélien, Domitien. Les dieux gaulois qui se sont confondus, au fil des siècles, avec les divinités romaines. Les premiers édifices chrétiens, sur tel oppidum, bâtis exactement sur les sites celtiques. Rome, la Gaule : deux mondes en fusion lente, comme inspirés, ou plutôt aspirés, l’un par l’autre.

     

    Ce miracle, c’est la Provence. Romaine, avant le reste de la Gaule, et même grecque, par comptoirs. Toute ma vie, je m’y suis rendu, la première fois il y a soixante ans, en famille. Et toujours, l’intensité d’un souvenir : celui du voyage d’études sur la Provence grecque, printemps 1977, avec Olivier Reverdin, André Hurst, et des camarades passionnés dont je garde un souvenir ému. Nous étions un peu cinglés d’inscriptions, à déchiffrer immédiatement, en grec, en latin, des pierres tombales pour la plupart. Nous étions marbrés.

     

    Un demi-siècle après, à chaque voyage, je laisse la Provence venir à moi. Juste être là. Dans la splendeur de la lumière. Il n’y a plus ni Grèce, ni Rome. Il y a juste le paradis. A portée des mortels.

     

    Pascal Décaillet