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  • Un Traviata sans crinoline ? Mais pourquoi pas !

     
     
    Sur le vif - Vendredi 27.06.25 - 14.31h
     
     
     
    J'ai regardé hier soir, un peu avant minuit, sur la RTS, une partie de cette fameuse Traviata, tant décriée, donnée au Grand Théâtre de Genève. Je précise deux points importants :
     
    1) Je n'ai pas tout regardé. Peut-être les passages tant haïs se trouvaient-ils dans ce que je n'ai pas vu.
     
    2) En matière d'opéra comme dans la vie, mais avant tout en matière musicale, je ne suis pas un visuel. Je suis un auditif. Les sons, pour moi, la musique, le verbe, le propos, priment sur ce qu'on donne à voir. Bref, je suis un homme de radio, doublé d'un mélomane passionné. Pour l'opéra, depuis l'enfance, je me demande s'il faut vraiment les mettre en scène. Une version juste musicale, face public, me conviendrait.
     
    J'en viens à l'essentiel : dans ce que j'ai pu capter, hier soir, c'était musicalement impeccable. La cantatrice (celle que j'ai vue) interprétant le rôle-titre était absolument remarquable, précise, puissante. Une très belle Violetta. Jusqu'à nouvel ordre, c'est pour elle qu'on vient, pour les feux vocaux surgis des tréfonds de son corps, pour son interprétation tonale de la souffrance et de la passion amoureuse, plutôt que pour le cirque visuel d'un moment.
     
    Violetta, ce jeu étourdissant de vie et de mort, de survie, de sursis, autour d'une voix qui va s'éteindre et qui nous éblouit comme jamais. Ce miracle-là, le seul qui vaille, se trouve, note après note, dans la partition géniale de Verdi. Il est incorporé par une grande cantatrice, qui doit tout donner. C'est cela qui compte, ce pari de la mort en direct, pas les décors.
     
    La mise en scène ? Ce que j'ai vu hier soir était sobre, sans salons de courtisanes du 19ème d'usage, avec canapés rouges et crinoline, et ce parti-pris me convient parfaitement.
     
    Faut-il mettre en scène les opéras ? Si la réponse est oui, alors il faut accepter la prise de risque, avec tous les excès qu'elle peut engendrer, le principal étant évidemment de dénaturer la trame, ou dévier l'attention de la musique et des voix (qui doivent demeurer impérativement premières), au profit de lubies personnelles.
     
    Accepter la prise de risque, principe dramaturgique de tout pari brechtien ou de Heiner Müller, ou de Chéreau, c'est évidemment accepter qu'on puisse proposer, Dieu merci, d'autres versions que les divans, les coupes de champagne, les rouges et les noirs des maisons de tolérance de luxe, au milieu d'un siècle réputé victorien.
     
    Si c'est pour reconduire à l'infini les décors de Zeffirelli, mille fois recommencés, alors autant diffuser les images de son fameux film en arrière-fond, et laisser les chanteurs seuls sur scène. Ca permettrait de faire des économies. Avec un immense avantage : utiliser ces fonds précieux pour monter Mozart, Wagner, et surtout Richard Strauss.
     
    Bonne idée ? Champagne ! Allez on trinque tous, comme dans l'immortelle scène du 1er acte, où chacun porte un toast. Allez, tous ensemble, frères et soeurs : “Libiamo, ne’ lieti calici”.
     
    Allez, ce soir, avec mon épouse, nous boirons une coupe de Prosecco, en l'honneur de Violetta !
     
     
    Pascal Décaillet

  • Lisez Marx

     
     
    Sur le vif - Vendredi 27.06.25 - 08.27h
     
     
    J’ai lu Marx, très tôt dans ma vie, en Allemagne. Il m’a beaucoup impressionné, influencé. Il a déterminé, parmi tant d’autres lectures, mon rapport à l’Etat. En matière industrielle, passion très ancienne chez moi (mon père était ingénieur), il dit que le peuple doit posséder, donc contrôler, les moyens de production des secteurs stratégiques, vitaux. Le peuple, et pas le système capitaliste de la société anonyme, par actions, aux mains des boursicoteurs et des spéculateurs. J’ai toujours été d’accord avec ce principe.
     
    Cela s’applique à la métallurgie. À la production d’énergie. À l’industrie d’armement. À la composition des matériaux et des outils de construction et de génie civil. À la production de ciment, de béton. À la sidérurgie. À la chimie productrice de médicaments. Ce dernier, fleuron de notre savoir-faire, a pris en Suisse, ces dernières décennies, des proportions démoniaques de course au profit mondialisé. Je ne l’accepte pas. La santé des gens doit être arrachée à la tyrannie du marché.
     
    Ces secteurs sont d’intérêt public premier. Ils doivent être au service du peuple de chaque communauté humaine concernée, l’unité de référence étant évidemment la nation.
     
    La nation. Qui, ces dernières décennies, depuis la chute du Mur, a cherché à la dissoudre, au profit d’une globalisation mondialisée ? Qui, si ce n’est les libéraux, les libre-échangistes, les internationalistes, les spéculateurs planétaires ?
     
    La folie libérale des quatre dernières décennies a voulu privatiser des secteurs qui n’ont pas à l’être, comme le marché de l’électricité. On a vu le résultat. Avec Pierre-Yves Maillard, j’ai toujours été violemment opposé à cette privatisation, à une époque (années 90) où même une partie de la gauche, d’inspiration blairienne, la soutenait.
     
    Je vous invite à lire Karl Marx. Je ne vous invite pas à le suivre partout, surtout dans le principe de lutte des classes. Mais lisez-le, si possible en allemand. Lisez-le, dès ses papiers de jeunesse, comme journaliste, dans la Rheinische Zeitung. Il explique et décortique les mouvements sociaux des années 1840 avec la lucidité, de causes et d’effets, d’un Thucydide, autre auteur que j’ai eu ja chance de lire très jeune, là aussi dans la langue.
     
    N’oubliez jamais que c’est un Rhénan. Le théâtre premier de sa vie fut le développement des prodigieux gisements de charbon de la Ruhr, grâce aux investissements de propriétaires prussiens, lorgnant vers l’Ouest allemand depuis la grande bataille libératrice de Leipzig, contre Napoléon, en octobre 1813, la Völkerschlacht.
     
    Marx grandit dans une Rhénanie devenue prussienne, mais il n’est pas Prussien, au sens de Kleist, de Fichte ou de Kant, il est de tradition rhénane !
     
    Je ne vous demande pas de partager ses idées. Je vous invite à le lire.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Le parc du silence

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 25.06.25

     

    Weimar, en Thuringe, est l’une de mes villes préférées au monde. Ils y ont tous vécu, Goethe, Schiller, Bach, Wieland. Luther y a prêché. Thomas Mann y situe, en 1939, son merveilleux roman « Lotte in Weimar », où la vraie Charlotte qui avait inspiré l’héroïne du Werther, en 1774, retourne en 1816, pour tenter d’apercevoir l’immense écrivain qui l’avait aimée, 42 ans plus tôt.

     

    C’est un peu une ville-musée, presque exagérément à mon goût, avec un véritable culte des noms de rues, des porches de maisons, pour rappeler que tel ou tel de ces immortels créateurs avait vécu là, séjourné. Il circule même, dans Weimar, d’excellents pastiches de cette dévotion, sous la forme d’écriteaux : « Hier hat Goethe nie gewohnt ».

     

    Mais enfin, pour y avoir fait deux séjours décisifs, à plus de vingt ans d’intervalle, j’aime Weimar. Comme j’aime, avec passion, toute l’ex-DDR. Cette ville passionnante, demeurée calme et modeste, abrite, près de l’extraordinaire musée du Bauhaus, et aussi du cimetière militaire soviétique, un parc public, d’une troublante beauté.

     

    Il règne, dans ce parc, une mélancolie presque angoissante, entre la majesté d’arbres séculaires et sublimes, et des ruines antiques reconstituées au dix-huitième. Des centaines d’étudiants y lisent, dans l’herbe. Mais surtout, c’est le parc du silence. Les Allemands respectent les lieux de culture et de mémoire. Et j’aime cela, passionnément.

     

    Pascal Décaillet