Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Liberté

  • Infinie noirceur

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 09.10.24

     

    L’Histoire est tragique. Tout comme la vie des nations : chacune se bat pour sa survie, pour s’imposer, c’est une lutte sans merci. On l’a vu pendant la crise du Covid : dès que vient poindre un danger vital, la « communauté internationale », cette vaste fiction, retourne en fumée. Chacun pour soi !

     

    Cette cruauté de l’Histoire, il faut absolument, dès l’école primaire, l’enseigner à nos élèves. J’ai eu cette chance, il y a très longtemps (années 60), avec des maîtres qui nous exposaient l’Histoire des batailles, des traités, des réels intérêts économiques. Enfants, nous étions initiés à un parfait cynisme, dans le meilleur sens du terme, celui d’une lucidité dans la froideur réaliste. Adolescent, j’ai découvert la Guerre du Péloponnèse : Thucydide, il y a 25 siècles, nous décortique les vrais enjeux de la rivalité des impérialismes d’Athènes et de Sparte. Un peu plus tard, j’ai lu Karl Marx, extraordinaire analyste des mouvements révolutionnaires au 19ème.

     

    En Histoire politique, je plaide pour une éducation au cynisme. Ni Bien, ni Mal, ni surtout la morale : juste initier l’élève à la réalité des rapports de forces. Dénicher les intérêts économiques sous le paravent des grands discours. S’affranchir des apparences. Cesser de voir partout des bons et des méchants. Voir l’humain, tel qu’il est, dans son rapport avec le pouvoir. Une infinie noirceur. C’est cela, le réel.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Michel Barnier : respect, rigueur, clarté

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 09.10.24

     

    J’ai longtemps considéré Michel Barnier comme un gentil Monsieur des montagnes, survolant d’un téléphérique, juste au-dessus de la mer de brouillard, les préparatifs des Jeux d’Albertville. Compétent, c’est sûr, mais un brin ennuyeux, gentleman d’une autre époque. Je me suis totalement trompé. En quelques signaux bien sentis, en quelques paroles justes, droit dans la cible, et surtout avec une tonalité de douceur et de respect qui nous change tellement des zigomars et des gueulards, le Monsieur austère m’a conquis. Voilà, au milieu d’une scène politique française ravagée par les surexcités des chaînes privées, où nul ne peut placer cinq mots consécutifs sans se faire immédiatement rabrouer par la meute d’en-face, l’irruption d’un homme d’un autre temps. Il parle clair, sur un ton d’une douce fermeté. Il refuse toute polémique. Il veut rassembler. Il veut convaincre. On peut assurément discuter de la pertinence du choix, par Emmanuel Macron, d’un homme issu d’un parti chétif à l’Assemblée. Mais enfin, maintenant l’homme est là, pour un certain temps. Il faut le laisser travailler.

     

    Ce ton nouveau, apaisant, la France en avait tellement besoin. Ces dernières années, partout l’arrogance, partout la démesure. Une France insoumise qui exige hystériquement, tout l’été, qu’une dame bien précise, inconnue au bataillon, issue de ses rangs, soit nommée à Matignon. Dans tout le pays, elle promène l’impétrante, comme une marraine de Comices agricoles, afin d’imposer son choix, comportement totalement contraire à la Constitution de la Cinquième, qui laisse au seul Président le choix du locataire de Matignon. A l’autre extrême, un Bardella, pendant la campagne des législatives, qui s’enivre de futur simple, « Quand je serai Premier ministre », à la fois grenouille de la fable, et Perrette avec son pot-au-lait. Dans les deux cas, comportements immatures, excès de jouvence pour l’un, délire factieux pour les autres.

     

    Enfin, tel Malherbe, Barnier vint. Austère, mais aimable. Rassembleur. Portant, quand il le faut, le verbe à la hauteur de l’anthologie : « Madame, plus vous serez agressive, plus je serai respectueux ». Mais enfin, ami lecteur, c’est exactement de cela que la France avait besoin ! Non en termes de choix politiques, mais en guise de style. Dans son Discours de politique générale, chahuté à l’Assemblée, avec parfois une vulgarité rare, par les surexcités de la France insoumise, l’homme demeure d’un calme impérial, cite de Gaulle et Mendès France, use d’un français sobre et clair, efficace, jamais technocrate dans le choix des mots, toujours simple, cordial. Un grand moment de la vie parlementaire française.

     

    Michel Barnier réussira-t-il ? Ce sera infiniment difficile, Dans la faune politique, tous sont contre lui, à sa droite comme à sa gauche. Mais les Français, n’en pouvant plus des Guerres de Religion, commencent à sentir poindre les promesses d’une nouvelle tonalité. Alors oui, je pense à Henri de Navarre, entrant dans Paris, par le Pont-Neuf, le 22 mars 1594. Preuve que, moi aussi, j’ai mon grain de folie.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Retour de l'Etat

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 02.10.24

     

    Un domaine, plus que tout autre, illustre le retour galopant des Suisses au besoin d’Etat : la santé. Jeudi 26 septembre, c’était la traditionnelle ritournelle, désespérante, des hausses de primes. Jamais, depuis la création de la Loi sur l’assurance maladie (LAMal), au milieu des années 1990, le système suisse des soins n’a coûté aussi cher. L’envolée constante des primes n’est que le reflet de ce phénomène, c’est à lui qu’il faut s’en prendre.

     

    J’ai suivi à l’époque, au Parlement fédéral, les travaux ayant donné naissance à la LAMal. Déjà, je dénonçais un paradoxe qui apparaissait comme un péché originel : d’un côté on voulait une assurance obligatoire, ce qui est très bien, et de l’autre il fallait que chaque Suisse s’affilie à une Caisse en concurrence féroce avec les autres. D’un côté, l’intérêt commun. De l’’autre, ce fameux libéralisme sauvage qui fait tant de mal, depuis plus de trois décennies.

     

    Dire que ce système est un échec relève de l’euphémisme. Laisser-aller, absence de transparence, course au profit, le résultat est catastrophique. Nous devons maintenant, à Genève comme en Suisse, prendre au sérieux les modèles collectifs, où l’Etat ait son rôle à jouer. Je ne prône pas ici le travaillisme britannique de l’immédiat après-guerre. Mais une chose est certaine : la page du libéralisme déraciné doit être, sans attendre, tournée.

     

    Pascal Décaillet