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Liberté - Page 5

  • Léon XIV : mais quel magnifique prénom !

     

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 14.05.25

     

    A l’instant même où j’ai entendu, en latin, le nom de ce nouveau Pape, « Léon XIV », j’ai été pris d’une émotion. Je ne parlais plus du tout de Papes, ni d’Eglise, pas un seul mot, depuis exactement douze ans, mais là, ce jeudi 8 mai 2025, jour du 80ème anniversaire de la fin de la Seconde Guerre Mondiale, sur le coup de 19.15h, sur l’évocation d’un seul prénom, quelque chose en moi s’est produit. Pour être franc, voilà des décennies que j’attendais un Léon XIV. Parce que le prénom choisi, on le sait bien, est tout sauf gratuit, il porte sens, il s’inscrit dans un champ de références. Or, il se trouve que, depuis des décennies, ici comme ailleurs, je vous parle d’un certain Vincenzo Gioacchino Pecci (1810-1903), Pape de 1878 à 1903, sous le nom de Léon XIII.

     

    Pourquoi je vous en parle tant, de ce souverain, dont le règne s’inscrit entre les très conservateurs Pie IX (1846-1878) et Pie X (1903-1914) ? Pour une seule et grande raison : son Encyclique Rerum Novarum, publiée en 1891. Il faut absolument lire ce document, il est un témoignage de lumière sur la cruauté du monde du travail en pleine Révolution industrielle, une époque où les enfants, un peu partout en Europe, travaillent encore dans des mines. Il n’y a ni vacances, ni congés payés (un autre Léon, Blum, et son Front populaire de 1936 sont encore si loin !), ni protection sociale, sauf dans l’Allemagne bismarckienne, pionnière des premières conventions collectives. En 1891, le patron est roi, l’ouvrier n’a pas de droits, les travailleurs des mines meurent jeunes, rongés par la tuberculose et autres maladies pulmonaires.

     

    Dans ce contexte, Rerum Novarum apporte une tentative, hautement élaborée, de réponse chrétienne à l’inhumanité du monde du travail. Rome se devait d’agir : une autre famille politique, le monde marxiste, avait empoigné depuis longtemps le problème, déjà évoqué avec une incroyable précision dans les œuvres du Rhénan Karl Marx. Mais elle proposait, elle, une solution politique révolutionnaire, là où Léon XIII, soucieux d’unifier le corps social, donnera plutôt naissance, chez ses épigones, à une conception corporatiste de la société. Faut-il rappeler tout ce que les premières organisations internationales du travail, sous l’impulsion notamment du Français Albert Thomas, sises à Genève dès la fin de la Grande Guerre, doivent à la pensée de Léon XIII ?

     

    Cette démarche de Léon XIII, parallèle à la réflexion marxiste, mais surgissant évidemment d’une conception philosophique radicalement différente (imprégnée de spiritualité pour l’une, de matérialisme dialectique pour l’autre), doit absolument être enseignée dans les écoles. Pour peu qu’il existe encore des cours d’Histoire, des profs d’Histoire, des humains avides de connaître le passé, l’étudier dans toute sa polyphonie, toute sa complexité, cheminer sans  préjugés vers les témoignages de ceux qui nous ont précédés. Cela, oui, plutôt que l’ignorance, mère des jugements à l’emporte-pièce. Pour ma part, je souhaite le meilleur à Léon XIV. Et n’oublierai jamais son lumineux prédécesseur.

     

    Pascal Décaillet

  • La droite genevoise et la Flotte de Toulon

     
     
    Sur le vif - Lundi 12.05.25 - 15.09h
     
     
     
    Maryam Yunus, Nicolas Walder : deux candidatures solides à l'élection complémentaire du 28 septembre. J'ignore lequel des deux sera désigné par le parti, à moins d'une troisième personne, nous verrons bien.
     
    Mais une chose est sûre : tant Maryam Yunus que Nicolas Walder ont la carrure, les compétences, et surtout le savoir-faire politique, le savoir-être, pour accéder aux plus hautes fonctions.
     
    Les deux ont l'expérience de l'exécutif d'une ville : Mme Yunus est Maire d'Onex. Nicolas Walder, aujourd'hui Conseiller national, fut Maire de Carouge.
     
    Je dis "le savoir-être" : c'est capital. Maryam Yunus, Nicolas Walder, qui sont Verts et bien Verts sur le fond, ne suintent pas pour autant, dans leur rapport au langage, la liturgie apprise par coeur, avec les éternels mot d'usage, "crise climatique", "transition", "bilan carbone", "report modal". Non, ils parlent simple. Ils parlent clair. Ils ont, l'un comme l'autre, un discours de citoyenneté générale, dépassant heureusement les seuls mots-valises du dogme.
     
    Alors, quoi ? Alors, ce petit mot, ici, ne s'adresse pas aux Verts. Ni à la gauche, qui se montrera disciplinée cet automne, et qui aura bien raison. Non, c'est à la droite que je parle. Pour lui dire une chose : elle a beau représenter les deux tiers de l'électorat cantonal, elle n'a pour autant aucune garantie de victoire le 28 septembre, ou le 19 octobre. L'affaire n'est pas mathématique. Elle est question de pouvoir d'entraînement d'une personnalité puissante.
     
    La majorité de droite est, de toute façon, assurée pour la législature. Elle n'est pas mise en question par cette complémentaire. Une bonne partie de l'électorat, y compris à droite, pourra se montrer tentée de maintenir le seul siège Vert au Conseil d'Etat. Et voter Yunus, ou Walder. Ou Monsieur ou Madame X.
     
    Moralité : soit la droite arrive avec une candidature-canon, compétente, dynamique, rassembleuse. Et surtout, UNE CANDIDATURE UNIQUE, dès ce printemps, avec une discipline de vote de fer, celle dont la gauche est capable dans ce genre de moments. Soit, elle peut oublier.
     
    La moindre querelle de chapelle, le moindre coup bas, la moindre humectation dans les eaux de trahison du Marais centriste, et la bataille est perdue.
     
    Pour mémoire, la droite municipale genevoise disposait, ce printemps, avec Natacha Buffet-Desfayes, d'une candidature de rêve pour la Mairie de Genève. Par ses ferments de dispersion interne, alimentés par les puissants stratèges de la défaite, elle s'est sabordée elle-même, telle la Flotte française, à Toulon.
     
    Saura-t-elle, enfin, tirer les leçons ? Ou demeurera-t-elle dans ce fameux superlatif qui, mondialement, l'a rendue célèbre ?
     
     
    Pascal Décaillet

  • Rerum Novarum : un texte plus actuel que jamais !

     
     
    Sur le vif - Dimanche 11.05.25 - 15.13h
     
     
     
    Pourquoi, depuis plus de trente ans, je vous parle de Léon XIII, et de Rerum Novarum ? Je ne suis pas un fanatique de l'Histoire des Papes, même si je la connais à fond depuis deux siècles, disons depuis Pie IX, le prédécesseur de Léon XIII. Je ne m'exprime jamais sur les questions de foi, encore moins sur la théologie. Non qu'elles ne me touchent pas, loin de là, mais je n'ai ni compétence, ni autorité pour le faire.
     
    Mais, dans mes démarches d'approches historiques, je m'intéresse au rôle politique du Pape, disons depuis la Révolution industrielle. Ou même, plus radicalement, depuis cet immense événement de notre Histoire que fut la Révolution française.
     
    Dans GHI, parution mercredi prochain (14 mai), je m'exprime sur Rerum Novarum, l'inscris dans le contexte de sa parution (1891), et tente d'en tirer la résonance dans les questions contemporaines. Celles d'aujourd'hui, oui, mai 2025, notre rapport au monde du travail, la finalité profonde de nos labeurs respectifs, la financiarisation de l'industrie, les souffrances de la paysannerie, enfin nos dépendances, à tous, à ces Veaux d'or que sont les géants numériques planétaires.
     
    Vous connaissez mes positions sur les questions sociales. Elles se rapprochent de la gauche, bien que je sois profondément, culturellement, intrinsèquement, un homme de droite. Je suis anti-libéral, ce qui ne fait pas de moi un cinglé du plan quinquennal. Je suis anti-capitaliste, ce qui ne m'empêche pas, depuis 19 ans, d'être entrepreneur, et défendre les PME. J'ai lu Rerum Novarum, mais j'ai tout autant lu, et je lis encore, les analyses historiques et les traités du Rhénan Karl Marx sur les questions sociales.
     
    Alors quoi, Rerum Novarum ? Au milieu d'un pontificat passionnant (1878-1903), l'année 1891 est absolument charnière. Marx est mort depuis huit ans, Bismarck s'est retiré l'année précédente, de Gaulle a un an, la Suisse ouvre enfin, après 43 ans d'hégémonie radicale, un siège aux catholiques (futur PDC, puis Centre) au Conseil fédéral. Mais surtout, la Révolution industrielle bat son plein, les enfants travaillent dans les mines, les mineurs meurent jeunes, rongés par la tuberculose, la protection sociale est à peu près nulle en Europe, à part dans l'Allemagne bismarckienne, pionnière dans le domaine. Allez visiter, plutôt deux fois qu'une, le Musée de la Mine à Bochum (Rheinland-Westfalen), vous comprendrez tout.
     
    Dans ce contexte, après le long pontificat (1846-1878) du conservateur Pie IX, l'homme qui a perdu le pouvoir temporel en 1870, Vincenzo Gioacchino Pecci, qui devient Pape en 1878 à l'âge de 68 ans sous le nom de Léon XIII, incarne un courant plus ancré dans les affaires concrètes du monde, et notamment sur la question sociale, qui est absolument majeure, puisqu'elle touche à la dignité des humains exerçant les tâches plus dures.
     
    L'enjeu, pour Léon XIII, c'est d'apporter, face au gigantisme industriel créateur de cadences, et surtout source de profit considérable pour les possédants, une réponse chrétienne. Pourquoi, chrétienne ? Mais parbleu, parce qu'en 1891, une autre réponse, sacrément cohérente, articulée, solide intellectuellement, est déjà donnée depuis des décennies : la réponse marxiste. Le Pape Pecci est assez intelligent pour comprendre que l’Église ne peut demeurer dans la seule tour d'ivoire des questions purement théologiques et spirituelles, et qu'elle doit impérativement s'exprimer dans le domaine social. Parce qu'il touche la vie des gens, ceux qui triment, ceux qui souffrent, pour produire la richesse.
     
    Oui, Marx et Léon XIII ont en commun le primat de la question sociale. Le premier, dans des fondements philosophiques qui sont ceux du matérialisme dialectique, mais aussi de la philosophie allemande, notamment prussienne, des 18ème et 19ème siècles. Le second, au nom d'impératifs spirituels qui placent l'être humain, sa dignité, son épanouissement dans un cadre social et familial, au plus haut rang. Rerum Novarum ne condamne pas le travail, loin de là, elle en reconnaît même la valeur d'affranchissement. Mais elle définit le travail humain dans une perspective d'amélioration, et surtout pas d'aliénation. C'est une condamnation sans appel du capitalisme financier qu'on appellerait aujourd'hui "sauvage", ou "ultra-libéral".
     
    Si vous me faites l'amitié de lire mes textes, depuis des décennies, c'est exactement la position qui est mienne, face au monde du travail. Je suis nourri de Marx, pour la lucidité critique de son analyse. Et de Léon XIII, pour la chaleur spirituelle et humaine de son approche du monde du travail. L'un n'empêche pas l'autre ! L'un se complète de l'autre !
     
    Un mot, enfin, sur le choix du nom par le nouveau Pape. Il est, à mes yeux, porteur d'espoir. Pour une raison simple : la question sociale (je n'ai pas dit "sociétale") est, plus que jamais, à l'ordre du jour. Pourquoi travaillons-nous ? A qui doit profiter le bénéfice d'une entreprise ? Comment répartir des richesses ? Qui, si ce n'est les géants du numérique, avaleurs de nos attentions, incarne aujourd'hui l'équivalent, en termes d'aliénation, des cadences infernales des usines de 1891, et des décennies suivantes ?
     
    Comme en 1891, la réponse du Pape ne sera évidemment pas la seule au monde. Mais l'une d'entre elles, dans l'immensité de la dialectique politique, des antagonismes, des querelles.
     
    L'une d'entre elles. Non pas seule, elle ne doit pas l'être ! Mais articulée en fonction d'une certaine philosophie de vie. Où la place de l'être humain, sa dignité dans le corps social, son épanouissement, sont des questions vitales. J'ai failli dire "cardinales". Mais diable, nous ne sommes pas là pour faire de l'esprit, non ?
     
     
    Pascal Décaillet