Liberté - Page 4
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A Vincent Mangeat, quelques mots, pour la route
Sur le vif - Jeudi 13.03.25 - 18.28hMon tout premier commentaire, à la RSR, il y a 35 ans (j'étais correspondant parlementaire à Berne), n'a pas porté sur un sujet politique. Il a consisté à dire le plus grand bien de l'architecte Vincent Mangeat. Au sujet, je crois, de son projet pour l'Exposition universelle de Séville. On m'avait confié, pour la toute première fois, la grande case éditoriale de la Matinale, qu'on appelait à l'époque "le billet d'actualité", à 07.20h. L'entrée dans la cour des grands !Le grand architecte m'en avait remercié, dans un style qui m'était apparu à la fois simple, exquis, d'une humanité vraie, profonde, sans fard. Pour être franc, on m'avait rarement écrit quelque chose d'aussi beau, tout au moins dans le registre demeurant profane aux choses de l'amour.En 35 ans, plusieurs fois, Vincent Mangeat m'a écrit. Toujours cette bouleversante simplicité de la vie qui va, nulle emphase, la précision des mots justes. Je ne lui ai pas toujours répondu, foutu métier, foutue passion journalistique, toujours à 100 à l'heure, toujours à remettre l'essentiel à demain. Dire, ce soir, que je m'en veux, relève de l'euphémisme.Dans ce correspondant dont les missives surgissaient, hors du temps, j'ai trouvé la plénitude d'un âme humaine. La délicatesse du monde sensible. Dans son sens le plus fort, l'humanité.Aujourd'hui que le grand architecte nous a quittés, je veux dire mon immense sympathie à l'ensemble de sa famille, ses proches, ses amis. Grégoire, Alia, et tous les autres, sans exception. Il me semble qu'une âme est passée, furtivement, s'adressant parfois à moi, sur le chemin. Là où se trouve aujourd'hui cette âme, je veux juste lui dire merci.Pascal Décaillet -
Dalida au pouvoir !
Commentaire publié dans GHI - Mercredi 12.03.25
Les dirigeants européens ne gouvernent plus, ils dansent. Leur vie, Macron en tête, n’est qu’un interminable ballet diplomatique pour « tenter de se mettre d’accord sur une solution pour l’Ukraine ». Ils n’en peuvent plus de se réunir. Projets d’accord, résolutions, communiqués, annonce de la prochaine réunion, dans quelques jours, pour « tenter de finaliser ».
C’est ça, le réveil de l’Europe, entre l’Ours russe et l’Oncle Sam ? Mais c’est Dalida, « Paroles, paroles, et encore des paroles » ! En vérité, rien de concret. Les « 800 milliards pour se réarmer », pour l’heure, ce sont des mots. Que vont dire les opinions publiques, dans les différentes nations ? Comment vont réagir les plus précaires, les oubliés, ceux qui auraient tant besoin que cet argent soit investi, dans chaque pays, pour la cohésion sociale interne de la communauté nationale ?
Et puis quoi, la jeunesse d’Europe, elle va se laisser embrigader dans cette Croisade ? Elle va être dupe du formidable effet de paravent : mobiliser les attentions sur un Grand Satan, si possible à l’Est, pour mieux camoufler le trou abyssal de la dette ? Car tel est bien, en France, la tactique de Macron : faire oublier une politique intérieure dont il a perdu les leviers de commande, pour s’enivrer d’ennemis, de réarmement. Repartir comme en quarante. Euh non, j’aurais dû donner une autre date : celle-là, pour la France, est trop cruelle.
Pascal Décaillet
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Le belliciste 2025 : portrait
Commentaire publié dans GHI - Mercredi 12.03.25
Le belliciste 2025, jusqu’à une période très récente, n’aimait pas la guerre. Il ne cessait de la condamner, sous toutes ses formes, la décrivant comme l’ultime résidu de l’archaïsme de l’humanité première, sauvage. Depuis la chute du Mur, il nous répétait que l’Histoire était finie, que le capitalisme avait gagné, le communisme perdu, que nous allions construire une humanité sans frontières, libérée des entraves. Non seulement il détestait la guerre, mais il s’abstenait scrupuleusement, au nom de ce rejet, d’étudier celles du passé, leur déroulement, leurs causes, leurs conséquences, les grands récits qu’elles avaient engendrés. Il ne voulait tout simplement pas en entendre parler. Pour lui, la guerre était une erreur de l’humanité première, il s’agissait de la corriger, pour construire un nouveau monde. Ça, c’était le belliciste d’avant 2025, à l’époque où il n’était pas encore belliciste, mais… pacifiste.
Et puis voilà, par l’effet d’une transmutation qui passionnera les alchimistes du futur et les lecteurs d’Ovide, le pacifiste est devenu le belliciste 2025. Le même, oui le même, n’a désormais plus qu’un mot à la bouche : la guerre. Cette immonde sauvagerie qu’il n’avait cessé de condamner, voilà soudain qu’il l’encense. Cette brutalité mortifère, il la porte aux nues. Le continent européen n’aurait désormais qu’une priorité absolue : se réarmer. Porter à des pourcentages du PIB jamais atteints les budgets militaires. Ouvrir, partout, des usines d’armement. Augmenter les temps de conscription. Offrir à chaque citoyen européen une tenue de combat complète, pour s’en aller guerroyer sur les Marches de l’Est.
Toute personne osant un discours sceptique face à ces urgences martiales sera considérée comme traître à la patrie, agent du Kremlin, défaitiste, collabo, et tant d’autres mots d’oiseaux empruntés directement à la lexicologie de la Seconde Guerre mondiale. Non seulement le pacifiste d’avant 2025 est devenu un belliciste enragé, mais aussi un pourchasseur de planqués, un délateur, un sergent recruteur. Oui, nous sommes entrés dans l’ère de la Métamorphose. J’ai cité Ovide, J’aurais pu évoquer Kafka. Le gentil pacifiste en sandales s’est transformé un Rambo surarmé, il le fait au nom de la morale, au nom de la justice, au nom du Bien.
Le belliciste 2025, ex-pacifiste, perpétue tout de même une continuité : tout comme avant, il persiste dans son refus d’ouvrir le moindre livre d’Histoire. L’idée même, par exemple, que le conflit d’aujourd’hui en Ukraine, ou celui des années 1990 dans les Balkans, exigent l’ascèse de se plonger dans des siècles d’antécédents complexes, le rebute. Surtout pas l’Histoire ! A une exception près : Munich, 1938. Au nom de cette défaite de Chamberlain et Daladier face à Hitler, le belliciste 2025 détient la clef suprême pour son Jugement dernier : d’un côté, les Munichois, de l’autre les héros. Il se range, tout naturellement, et avec la translucidité des Métamorphosés, dans la catégorie no 2. Ah, les braves gens !
Pascal Décaillet