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Liberté - Page 4

  • Pour un Panthéon sans Président

     
     
    Sur le vif - Vendredi 10.10.25 - 13.06h
     
     
    Entre la profanation d'une tombe, qui est immonde, et l'insupportable unanimisme, il aurait pu, tout de même, exister hier le seul espace qui vaille : celui du respect, certes, pour un homme, encore plus pour un mort, mais n'empêchant en aucune manière l'exercice de la lucidité critique sur son oeuvre, son legs à la Place Vendôme.
     
    Hélas, cela ne fut pas le cas, ou beaucoup trop peu. Liturgie présidentielle comme paravent d'une perdition. Obédience, génuflexion, de la Macronie médiatique. Sanctification béate, là où aurait dû s'appliquer la nuance. Bref, à peu d'exceptions près, tous derrière l’instrumentalisation de Macron.
     
    S'il doit exister un Panthéon, alors il est immensément malsain que le grand-prêtre en soit le chef d'Etat en exercice. Au moins, en 64, pour Jean Moulin, Charles de Gaulle "menhir dans sa longue capote battue par le vent glacé", avait laissé parler Malraux. Mais le Président à la fois maître de cérémonie, metteur en scène, hagiographie officiel, moraliste en chef, récupérateur, il y a quelque chose de l'ordre d'une dérive.
     
    Quelle dérive ? Celle de Macron ? Oui. Mais la dérive de tout pouvoir, d'où qu'il vienne, lorsqu'il prétend, en plus de régir la Cité, organiser et orienter la mémoire.
     
    L'exercice de la fonction critique, si chère à Robert Badinter, ne lui a paradoxalement pas été appliqué. On l'a juste sanctifié, non pour lui, mais pour accorder un sursis de crédit à un pouvoir prêt à tout pour ne pas voir sa propre fin.
     
     
    Pascal Décaillet

  • C'est avec son pire ennemi qu'il faut négocier

     
     
    Sur le vif - Jeudi 09.10.25 - 15.25h
     
     
     
    J'ai eu souvent l'occasion de m'entretenir avec Michel Rocard, qui fut Premier Ministre de François Mitterrand entre 1988 et 1991. Il était, dans l'ordre de la conversation, un homme de grande valeur.
     
    Lors de notre dernière rencontre, je l'avais reçu sur le plateau de GAC, et nous nous étions entretenus, hors antenne, du principe de négociation. Il avait lui-même, en 88, de Matignon, préparé avec acharnement les Accords sur la Nouvelle-Calédonie, entre Caldoches et Kanaks. Rocard n'était pas un colonial, il avait un respect profond pour le droit à l'autodétermination de tous les peuples du monde. Jeune politicien, proche de Mendès France, pendant la Guerre d'Algérie, il l'avait montré. Cette sensibilité anti-coloniale, je l'ai toujours partagée.
     
    Surtout, Rocard venait, lors de son passage à Genève, de se pencher en profondeur, lui le Protestant français, sur les négociations, incroyablement intenses, ayant précédé l’Édit de Nantes, au moment terrible des Guerres de Religion. Il y avait trois partis : les Protestants, les Catholiques (derrière le duc de Guise, notamment), et les émissaires du Roi.
     
    Et Rocard notait une chose : si on veut, un jour, un bon Traité, alors il faut négocier dans la pire des douleurs, avec son pire ennemi. Rien ne sert, disait-il, de négocier avec un mou, un gentil, ou un émissaire qui n'aurait pas l'autorité de sa fonction. Non, il faut négocier avec le pire de ses ennemis !
     
    Si la France a eu l’Édit de Nantes (avril 1598), qui a mis fin aux Guerres de Religion, c'est évidemment grâce à un souverain d'exception, Henri de Navarre, devenu Henri IV. Mais c'est aussi, et surtout, parce que les Accords furent négociés par les pires ennemis. Ils avaient juste eu l'intelligence de s'asseoir autour d'une table. Et commencer à laisser émerger la parole, plutôt que l'acte de tuer.
     
    En ce jour où, nous dit-on, l'espoir d'une solution politique commence peut-être à poindre au Proche-Orient, je pense à Michel Rocard. Je pense à Henri de Navarre. Je pense à l’Édit de Nantes. Je pense au peuple d'Israël. Et je pense au peuple de Palestine, à qui je souhaite, plus que jamais, la dignité d'un Etat.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Un homme d'exception

     
     
    Sur le vif - Jeudi 09.10.25 - 10.40h
     
     
    Il y a 33 ans, le 8 octobre 1992, s’éteignait l’un des plus grands hommes d’Etat allemands. Correspondant au Palais fédéral de la RSR, immergé jusqu’au cou dans la campagne du 6 décembre (je sillonnais la Suisse dans tous les sens), je lui avais consacré un hommage, dans la matinale du lendemain.
     
    Né en 1913 dans la superbe Ville Hanséatique de Lübeck, qui fut aussi celle de Thomas Mann, il a refusé le Troisième Reich, passé douze ans en exil en Scandinavie.
     
    Revenu en Allemagne, il fut un incomparable Maire de Berlin, puis Vice-Chancelier et Ministre des Affaires étrangères, et enfin, de 69 à 74, le premier Chancelier social-démocrate de l’après-guerre.
     
    En décembre 1970, première visite d’un Chancelier allemand à Varsovie, il surprend le monde entier en s’agenouillant devant le monument aux morts du Ghetto. L’année suivante, il sera Prix Nobel de la Paix.
     
    Willy Brandt, toute sa vie, a porté son regard vers l’Est, quitte à se faire détester par les Américains. Sa géniale intuition de l’Ostpolitik l’a amené à établir, enfin, des relations avec la DDR.
     
    J’ai absolument tout lu sur lui, en allemand comme en français, toutes ses biographies, toute sa correspondance, tous ses discours : Willy Brandt portait en lui une intime conviction de l’unité allemande retrouvée. Pas celle du Rhénan Kohl, capitaliste et atlantiste, qui phagocytera avec une inimaginable vulgarité la DDR. Non, Willy Brandt respectait la Prusse, la Saxe et la Thuringe, leur Histoire, leur rapport à l’Etat, à l’organisation sociale, où le marché n’a JAMAIS régné en maître. Bref, il avait profondément compris l’essence historique et philosophique de la DDR. Le capitaliste Kohl, lui, n’y a vu qu’un marché à racheter.
     
    Willy Brandt voulait une unité du cœur et de l’âme de tous les Allemands, c’était un visionnaire, un homme d’exception, l’un de ceux que j’admire le plus au vingtième siècle, avec de Gaulle et Mendès France.
     
     
    Pascal Décaillet