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Sur le vif - Dimanche 05.10.25On ne me soupçonnera pas d'être du bord politique de Rémy Pagani. Mais depuis toujours, je le respecte : c'est un vrai militant, courageux, déterminé.Ce courage, il vient d'en faire preuve dans l'affaire de la flottille. Rien ne l'obligeait, à plus de 70 ans, à se lancer dans cette aventure. Il n'y a que des coups à prendre : on sait très bien, dès le début, que les Israéliens ne vont pas vous accueillir à bras ouverts. Risques d'arrestation. Risques de prison. Tout cela, Pagani le savait, dès le départ. Il est parti, quand même. Ce courage, pour ma part, je ne l'aurais pas eu.Et puis, Rémy Pagani se trouve être un ancien Maire de Genève. L'ancien numéro un de la deuxième Ville de Suisse est actuellement dans une prison israélienne. On pourrait imaginer que la chose émeuve, chez ses collègues politiciens de tous bords ayant un minimum de classe. Hélas, il n'en est rien. C'est soit le silence assourdissant, soit des quolibets particulièrement déplacés, venant de la part de gens n'ayant pas eu son courage. Cela, quoi qu'on pense du conflit Israël-Palestine.Eh bien voilà. Moi, citoyen de ce pays que j'aime, la Suisse, m'exprimant à ce titre-là et à lui seul, j'adresse à Rémy Pagani mes voeux pour que tout se passe au mieux, pour qu'il soit libéré au plus tôt. Lui et ses compagnons, hommes ou femmes, suisses ou pas suisses, anciens Maires ou futurs charpentiers.Il y a des moments, dans la vie, où des humains doivent s'adresser à d'autres humains. Si vous vous promenez dans la Vieille Ville de Jérusalem, qui tant de fois dans ma vie m'a fasciné, vous verrez que mille voix, surgies de trois grands courants spirituels au moins, vous y invitent. Humains, adressons-nous à des humains. Et respectons le courage de ceux qui osent.Pascal Décaillet
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L'arrogant du Temps et la question allemande
Sur le vif - Vendredi 03.10.25 - 10.32hLe commentateur attitré de l’Allemagne dans le Temps ne connaît strictement rien aux enjeux profonds de ce pays.Incapable de projeter sa mémoire historique et culturelle en amont du 3 octobre 1990 (officielle Réunification, onze mois après la chute du Mur), son logiciel intellectuel s’arrête aux 35 dernières années. Ce commentateur arrogant, sûr de lui, n’a aucune capacité mentale d’aller saisir les ressorts profonds de l’Histoire du peuple allemand.L’arrogant du Temps n’évoque jamais l’Histoire de la langue allemande, qui depuis Luther (traduction de la Bible, 1522) porte, dans son incroyable souplesse évolutive et dialectale, l’Histoire des idées dans les Allemagnes.L’arrogant du Temps a-t-il au moins lu la Bible dans la langue de Luther ? A-t-il lu les Discours à la Nation allemande de Fichte (1807, dans Berlin sous occupation française) ? A-t-il lu l’extraordinaire Dictionnaire de la langue allemande, des Frères Grimm ? A-t-il lu Hölderlin, Paul Celan, Brecht, Heiner Müller, Christa Wolf ?S’il les a lus, a-t-il songé à exciter un peu ses neurones pour tisser des liens moteurs entre ces travaux d’exception sur la langue et la conception (Anschauung) allemande de la politique, de la guerre et de la paix, de leurs propres identités mêlées, complexes, réunies par la seule langue, elle-même diverse et dialectale ?L’arrogant du Temps fait penser à un mécanicien qui se refuserait à ouvrir le capot, plonger ses doigts dans le cambouis du moteur.L’arrogant du Temps a de l’Allemagne une conception synchronique, cérébrale, abstraite. Là où il faut oser la diachronie, l’émotion du langage, celle des mots, des notes de musique. Là où il faut s’immerger dans le prodigieux concret de l’imaginaire des Allemands eux-mêmes, celle d’un Schiller, d’un Thomas Mann, d’un Günter Grass.L’arrogant du Temps ne fait jamais référence à l’expérience unique des quarante années de DDR, les grands écrivains de ce pays, son système social, associatif, coopératif et culturel.L’arrogant du Temps ne voit que la surface. Il juge les Allemagnes avec les matrices de pensée de la science politique occidentale des 35 dernières années, totalement inaptes à saisir les enjeux profonds de cet univers, son rapport à l’Est, à la mémoire, à la mélancolie.L’arrogant du Temps croit savoir. Il ignore. Il croit voir. Il tâtonne. Dans l’exigence de lucidité, il échoue.Pascal Décaillet -
Sales tronches
Commentaire publié dans GHI - Mercredi 01.10.25
Rien de pire que la mémoire officielle. Toujours et partout, elle suinte la propagande des puissants du moment. Pour se glorifier. Se justifier dans leur pouvoir. Se maintenir dans leurs postes, leurs privilèges, leurs prébendes. Nul n’y échappe, ni la gauche, ni la droite, ni les bien intentionnées, les bien-pensants, les béni-oui-oui, le initiés, les clercs, les officiels.
Les voix de la mémoire ne doivent pas venir des puissants, mais justement des opprimés. Des oubliés. Des laissés pour compte. C’est valable en politique, comme dans une relation amoureuse : on étouffe les intonations des vaincus, ou des largués. On tricote une histoire officielle, propre, parfumée. Le romancier, seul, peut la restituer ? Mais à quoi travaille-t-il, ce jongleur de sortilèges : à la justesse du sujet, ou à sa propre écriture ? C’est compliqué la mémoire, elle est sœur de mille faussaires, elle doit trouver son chemin parmi ceux qui veulent lui tordre le cou.
Les puissants, tiens par exemple en politique ? Les pires ! A quoi servent leurs ineffables « conférences de presse », si ce n’est à tenter d’imposer la version du pouvoir ? Et il faudrait accourir à leur liturgie, comme d’autres se pressent à Versailles, pour le Petit-Lever ? Et il faudrait, dociles, recracher leurs mots ? Et il faudrait se contenter, tout au plus, de leur « poser des questions » ? Refusons ce cirque. Soyons ce que nous devons être : des sales tronches.
Pascal Décaillet