Liberté - Page 2
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Le Jour des Morts
Sur le vif - Dimanche 02.11.25 - 15.23hJe n'ai jamais perçu les morts comme vivant dans un monde à part. Dans un "séjour des morts", comme celui que traverse Ulysse, dans l'un des plus saisissants passages de l'Odyssée. Quand il y rencontre l'ombre de sa mère, Anticlée, je pleure.Non. Pour moi, les morts sont parmi nous. Il sont en nous. Chaque vivant porte la présence de ses morts, et chaque mort porte en lui les vivants. On dit qu'ils "veillent sur nous". J'aime cette expression : veiller, c'est vivre dans la nuit. Survivre, dans l'oubli.Je crois aux forces de l'esprit. N'entendez par là, surtout, aucune forme de superstition, ni de spiritisme, ni de surnaturel. Non, juste la présence de nos morts, chacun de nous, dans le silence de ce jour si puissant, le 2 novembre. Nous les humains, les vivants, nos frères et soeurs dans l'ordre si provisoire de la vie, n'avons nul besoin de nous accrocher au monde du fantastique pour percevoir, au plus profond de nous, la présence de nos morts.Les forces de l'esprit. La mémoire, première qualité humaine. Le souvenir. L'âme ouverte à la présence de l'autre, vivant ou mort. Tous, enfants d'un même terreau. Tous, nourris les uns des autres. Un seul corps. Et l'universalité d'un esprit.Les forces de l'esprit. Pourquoi l'opposer à la matière ? J'écoute la musique de l'un de mes compositeurs préférés, l'Estonien Arvo Pärt, 90 ans révolus, bien vivant. C'est une musique de la matière. Une musique du minéral. Une musique des stalactites, l'eau dans la grotte. Une musique de la transformation chimique. Et c'est, justement par là, une musique éminemment spirituelle.Et si la matière, c'était l'esprit ? Et si l'esprit, c'étaient des vibrations de matière. Et si la mort, c'était la vie. L'autre vie. La vie, tout court.Pascal Décaillet -
Lisez Marx
Commentaire publié dans GHI - Mercredi 29.10.25
Ce qui frappe le plus, face aux tournicotés du Nasdaq et de l’ultra-libéralisme, c’est leur carence de discours, et donc de références solides, en matière de culture. Non qu’ils soient incultes. Mais le champ du savoir, l’univers du monde sensible, le rôle de la langue et du langage dans les sociétés humaines, ne paraissent pas prioritaires chez eux, et je suis poli.
Prenez la DDR, le nom porté, entre 1949 et 1989 par la Prusse historique, la Saxe historique et la Thuringe. C’était un régime communiste, imposé par l’occupant soviétique. Il y avait une police politique, avec tous ses méfaits, il n’est pas question de le nier.
Mais la DDR, dont je suis depuis ma jeunesse (du temps même de son existence, donc) un grand défenseur, c’était aussi la culture. Brecht, Heiner Müller, Christa Wolf, ces noms immenses, et tant d’autres avec eux, ont porté très haut, dans ce pays à régime autoritaire, une ambition culturelle. Dans l’Histoire de la langue allemande, si fondamentale (on l’a vu avec Fichte, puis les Frères Grimm) dans l’Histoire allemande tout court, ces grands noms ont ouvert des horizons.
Et les autres ? Ceux qui ne cessent, depuis la chute du Mur, par obédience atlantiste, de nous annoncer « la victoire définitive du capitalisme », que nous ont-ils apporté, culturellement ? La réponse tient en un mot : la misère. Alors, par pitié, que vous soyez de droite ou de gauche, lisez Marx, Ca nous éclaire. Et ça nous éveille.
Pascal Décaillet
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Un être humain en vaut un autre
Commentaire publié dans GHI - Mercredi 29.10.25
Les gens ne comprennent pas qu’on puisse être de droite et anti-libéral. De droite, et pour l’Etat. Musclé, régalien, surtout pas tentaculaire, mais l’Etat, quand même. De droite, et souverainiste. De droite, et opposé au dogme de libre-échange. De droite, et dire non aux Bilatérales, parce que la souveraineté de notre pays s’en trouverait entravée. De droite, et anti-atlantiste. De droite, et contre l’impérialisme américain, tel qu’il s’impose au monde depuis 1945. De droite, et contre le colonialisme, sous tous ses visages. De droite, et pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. De droite, et ouvert au monde arabe, passionné par l’Orient compliqué, ses langues, ses récits. De droite, et tourné vers l’univers persan, tel qu’il se déploie sur des milliers d’années d’Histoire. De droite, et ami du peuple palestinien, tout en l’étant de celui d’Israël. De droite, et pour un Etat de Palestine, avec toute la dignité qu’implique cet échelon. De droite, et farouchement opposé à l’extension de l’OTAN sur les marches les plus orientales de l’Europe, continue depuis 1989, jusqu’aux frontières directes de la Russie.
Les gens peinent à comprendre cela. En voici la cause. La droite, depuis la chute du Mur de Berlin (9 novembre 1989), est assimilée en Europe au libéralisme. Le dogme, vendu par le monde anglo-saxon : confondre la droite avec le dogme du libre-échange, le rejet des frontières et des nations, la construction de géants multilatéraux en forme de coquilles vides, l’ignorance de l’Histoire. En gros, la droite, ce serait le Nasdaq, la Bourse de New-York, la spéculation mondialisée, les multinationales, les délocalisations, l’abandon de notre puissance agricole et industrielle, au profit d’une grande illusion planétaire, virtuelle : un Veau d’or de l’imagination humaine. Bref, la droite, ce serait 36 années de crétinisme ultra-libéral triomphant.
Je suis un homme de droite, mais je rejette le crétinisme. L’univers des droites, né, comme celui des gauches, de la géographie de la Convention, sous la Révolution française, s’inspire, depuis plus de deux siècles, d’autres sources, d’autres penseurs, d’autres aspirations que celles des décérébrés du néo-libéralisme des années 1990. Des exemples ? La communauté d’appartenance à une nation. La culture. La langue, sous toutes ses formes dialectales, toutes ses expressions, à commencer par celle de la poésie. La musique. La mémoire. La connaissance de l’Histoire. Le culte des morts. L’hommage aux sacrifiés, à ceux qui sont tombés au combat. On peut être pétri de ces valeurs, hélas beaucoup trop discrètes dans les droites européennes depuis 1945, et se sentir en même temps, dans l’esprit de Léon XIII, auteur de l’Encyclique Rerum Novarum (1891), l’âme profondément sociale, ennemie des injustices, respectueuse des fonctions les plus modestes. Une droite estimant qu’un être humain en vaut un autre. Riche ou pauvre, sachant lire ou non, Israélien ou Palestinien. La chose, ancrée dans les convictions les plus profondes de mon enfance, immuable tout au long de ma vie, est aussi simple que ces sept mots : un être humain en vaut un autre.
Pascal Décaillet