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Liberté - Page 2

  • Les bébés ARCOM

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 05.03.25

     

    Qui d’entre nous, avant l’affaire C8, avait entendu parler de l’ARCOM, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, en France ? En clair, le gendarme des médias. Une bande de « sages », qui n’a pas renouvelé les fréquences TNT de la chaîne C8, provoquant ainsi sa fermeture. Dans le champ éditorial français, la Macronie se débarrasse d’un gêneur. Ainsi va la vie.

     

    Et nous, à Genève, ville natale de Rousseau, nous n’avons pas d’ARCOM ? Officiellement non, mais combien de bébés ARCOM, qui n’en pourraient plus de jouissance s’ils pouvaient fermer une chaîne gênante ! Ou faire virer tel esprit jugé trop vif à l’encontre du pouvoir. Ce genre d’exécution, la plus silencieuse possible. Nul tintamarre. Nul fracas. Nul écho dans la mondanité rampante. Non, juste décider entre soi, nulle trace écrite, juste un clignement de cils.

     

    Les bébés ARCOM sont partout. A gauche, là où elle a le pouvoir, tiens en ville, au hasard. Mais tout autant, dans la droite libérale, celle qui se prétend ouverte à la liberté des idées, mais sort les griffes dès qu’on égratigne le dogme du libre-échange économique. Car les bébés ARCOM, de gauche comme de droite, ont les ongles acérés. La liberté de la presse ne les intéresse que lorsqu’elle leur caresse la frimousse. Sinon, Anastasie sort son ciseau. Et ça lui fait tellement de bien, quand elle peut couper.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Les éditorialistes en robe d'hermine

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 05.03.25

     

    Pendant des décennies, je me suis senti bien seul, en Suisse romande, dans l’exercice éditorial. A vrai dire, depuis la chute du Mur de Berlin, le 9 novembre 1989. M’en étais-je réjoui ? Oui, pour le destin allemand. Mais en lectures et récupérations idéologiques, pas du tout ! Je n’ai jamais cru, une seule seconde, à la « victoire définitive du capitalisme », pas plus d’ailleurs qu’à la « chute irréversible du communisme ». Pas plus qu’à l’effacement, à terme, de la Russie. J’ai toujours cru aux zones d’influence, qui déterminent les rapports de forces, et non les « déclarations d’indépendance », en s’imaginant qu’on va se placer sous le parapluie de l’Occident. Bref, je ne marche jamais aux histoires de gentils et de méchants, je garde en politique internationale une tête absolument glacée, pour moi la lucidité doit primer sur la morale, les bons sentiments, le manichéisme.

     

    Dans tous ces domaines, j’étais minoritaire, parfois même seul, dans l’univers éditorial romand. De même, face aux guerres balkaniques, pendant toute la décennie 1990. Je n’ai jamais applaudi béatement à l’éclatement de l’ex-Yougoslavie. Jamais diabolisé les Serbes. Toujours invité à décrypter ce conflit comme une volonté américaine de prendre pied, via l’OTAN, dans les Balkans, et d’accéder ainsi à des sources d’énergie renforçant leur puissance en Europe. Pendant ce temps, la meute des éditorialistes romands, consanguins comme jamais, nous abreuvait de morale, désignait le coupable et l’innocent. Elle n’analysait pas, elle montait en chaire.

     

    Ils ne savent faire que cela, moraliser, sataniser. Leur vie n’est qu’un interminable Jugement dernier, les bons d’un côté, les méchants de l’autre. Leur manque d’ascèse historique (lire des livres, consulter des archives, donnant la parole à tous, laissant ainsi se révéler, sur des milliers de lectures, au fil des décennies, une photographie nuancée du réel), ils le compensent par des comportements de juges, de procureurs. Leur vêtement de prédilection, c’est la robe d’hermine. Notre univers éditorial, ces dernières décennies, n’avait plus rien à voir avec l’exercice constant de lucidité que nous proposait un René Payot, dans le Journal de Genève. Il est devenu un club de moralistes, jetant l’opprobre, faisant procès, condamnant à l’emporte-pièce, ostracisant, exécutant, damnant la mémoire, imposant, telle une Congrégation pour la doctrine de la foi, la version officielle, unique, irréfutable.

     

    Nous sommes début mars 2025. Les choses ont-elles changé ? Oui, d’autres voix se sont mises à poindre, je les salue. Pour autant, ma solitude demeure. Car je commence à percevoir, au sein des nouveaux vainqueurs, la même tendance au catéchisme inscrit dans le marbre. La même intolérance. La même tendance à s’ériger en cléricature. C’est, notamment, le cas face au conflit au Proche-Orient, où tout défenseur de la Palestine se voit immédiatement mis à l’écart. C’est insupportable. J’y reviendrai.

     

    Pascal Décaillet

  • Ukraine : la lucidité, pas la morale !

     
    Sur le vif - Mardi 04.03.25 - 15.34h
     
     
     
    Non, la question ukrainienne ne commence pas en février 2022, lors de l'attaque russe.
     
    Elle ne commence même pas en 2014.
     
    Ni même en 2004. J'étais à Kiev, en novembre de cette année-là, pour mener une édition spéciale de Forum, en direct, dehors, au milieu d'une foule immense, lors de la Révolution Orange.
     
    Ni même en août 1991, lorsque l'Union soviétique a éclaté, et que les différentes Républiques qui la composaient ont déclaré leur indépendance.
     
    La question Russie-Ukraine est complexe. Elle est millénaire. Elle doit être étudiée en profondeur, avec des clefs historiques, linguistiques, et avant tout économiques. Le Bassin du Donbass, ça n'est pas rien.
     
    Ce genre d'approche, la seule sérieuse (comme pour les Balkans, les relations germano-polonaises, etc.), ne s'opère pas avec les outils de la morale. Ni en essayant de trouver des bons et des méchants. Mais avec la lucidité glaciale de celui qui tente de dégager des rapports de forces, et d'en expliquer les mécanismes et les causes, économiques pour la plupart.
     
    Enfin, comme je ne cesse de le dire depuis tant d'années, la question ukrainienne doit être lue en miroir des efforts continus des Etats-Unis d'Amérique pour avancer patiemment leurs pions, depuis la chute du Mur, sur les Marches de l'Est. Ils ont roulé Gorbatchev, roulé Eltsine, exploité la naïveté des Européens. A l'Est, on a respecté la dissolution du Pacte de Varsovie. A l'Ouest, on n'a rien respecté du tout. C'est cela, la vérité.
     
    Méfions-nous de toutes les propagandes. Celle des Russes, bien sûr. Mais tout autant, celle des atlantistes. Décryptons, bien sûr. Mais décryptons TOUS les discours, issus de TOUS les pouvoirs, et pas seulement ceux qui nous arrangent.
     
     
    Pascal Décaillet