Sur le vif - Dimanche 07.12.25 - 17.08h
Toute ma vie, j'ai aimé et voulu l'Etat. Toute ma vie, je l'ai cherché. L'Etat, et surtout pas des armadas de fonctionnaires. L'Etat, et surtout pas des alignements de guichets. L'Etat, et surtout pas pléthore de circulaires.
Mais l'Etat, quand même. Celui de Philippe le Bel, quand il impose (et de quelle manière !) le pouvoir royal sur l'Ordre des Templiers, qui commençait à prendre trop de place, trop de pouvoir. Celui de Louis XI, quand il prend le contrôle des messageries postales. Celui, surtout, d'Henri de Navarre, quand, devenu Henri IV, il fait son entrée dans Paris, et réconcilie les Français autour de sa personne. Celui, plus tard, de Bismarck, quand il crée les premières lois sociales d'Europe.
L'Etat, en Suisse, a été incarné depuis 177 ans par un parti, un seul : le parti radical. L'autre parti, arrivé plus tard, qui l'a défendu avec force est le parti socialiste. C'est tout. Défendre la famille, aussi respectable soit le projet, ça n'est pas défendre l'Etat. Défendre l'environnement, c'est très bien, mais ça n'a rien à voir avec l'Etat. Défendre l'entreprise, Dieu sait si je suis pour (les PME, notamment), mais ça n'est pas une affaire d'Etat. Défendre le grand capital mondialisé, c'est un acte anti-Etat, anti-frontières, anti-national, que je combats.
Non. L'Etat, c'est autre chose. Disons une volonté citoyenne d'organiser la vie publique, à l'intérieur de frontières définies, dans le système de références, de valeurs et de mémoire d'une nation déterminée. Cette organisation n'est pas un but en soi, l'Etat n'est pas un but en soi. Si j'en prône la nécessité, c'est comme outil (organon, dirait Aristote) pour équilibrer les pulsions individuelles, servir l'intérêt commun, protéger les plus faibles contre les requins. L'Etat, c'est l'anti-jungle. Ce rôle, il doit, de toutes ses forces, l'assumer face au crétinisme ultra-libéral qui galope en Europe depuis la chute du Mur. L'Etat c'est une régulation cadastrale des forces de domination des chefs de clans.
L'Etat radical, celui de 1848. c'est cela. L'Etat fazyste de 1846, c'est cela. Les hussards noirs de la Troisième République. si magnifiquement décrits par Péguy (L'Argent, Cahiers de la Quinzaine), c'est cela. L'extraordinaire passage (1959-1973) du socialiste bâlois Hans-Peter Tschudi aux affaires, avec trois révisions réussies de l'AVS en quatorze ans, c'est cela. Les huit mois de Pierre Mendès France au pouvoir (juin 54 - février 55), c'est cela. La génuflexion de Willy Brandt à Varsovie, il y a jour pour 55 ans (7 décembre 1970), c'est cela. On est quand même dans un autre système de valeurs que la défense paroxystique des marchés boursiers et des dividendes.
L'Etat n'est qu'un outil. Mais je n'en connais nul autre pour réguler les passions contraires, et imposer l'intérêt général sur les ferments de dispersion qui se multiplient. C'est pourquoi j'aime et je veux l'Etat. C'est pourquoi j'inscris mon horizon politique entre la rigueur rationnelle des légistes radicaux et l'ouverture sociale de la seule gauche à laquelle je puisse faire référence : celle qui, depuis la Révolution française, se bat pour la justice, pour l'éducation, pour la santé. Pas la gauche libertaire, ni surtout mondialiste. Non, la gauche nationale, structurée autour des intérêts supérieurs du pays. Pas la gauche de la haine des riches, qu'on vient de voir à l’œuvre avec un succès que, pour être poli, je qualifierais de modéré. Mais la gauche du travail, de la défense des ouvriers, des plus fragiles, des plus faibles d'entre nous.
Pour organiser la solidarité, il faut la rigueur et la précision de l'Etat. Encore faut-il, comme on l'a vu récemment, qu'il vise juste et sache cibler ses bénéficiaires avec une autre lucidité que celle des automatismes.
Pascal Décaillet