Liberté - Page 3
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Gaza : ça suffit, la Suisse officielle doit parler !
Sur le vif - Mercredi 21.05.25 - 14.29hExcessives sur la forme et sur les mots choisis, les prises de position de deux parlementaires fédéraux genevois sur M. Cassis n'en sont pas moins parfaitement pertinentes sur le fond.Sur le Proche-Orient, depuis des décennies, vous connaissez ma position : amitié pour Israël, amitié pour les Palestiniens. Souhait, tellement vif, d'avoir un jour deux Etats, celui d'Israël, celui de Palestine.Maintes fois, je me suis rendu au Proche-Orient. Toujours, comme Suisse, j'ai été bien accueilli par les deux parties en présence. Notre pays, en ces terres de déchirures et de souffrances, mais qui nous sont tellement matricielles, est perçu comme un pays de paix. De même, dans les dernières années avant les Accords d'Evian (1962), la Suisse était respectée à la fois par la France et par le FLN, pour son rôle d'écoute, de patience, d'intermédiaire.Ignazio Cassis, sur l'affaire du Proche-Orient, n'est pas l'homme de la situation. Sa préférence affichée depuis toujours pour Israël, son refus total d'écouter les sensibilités du monde arabe, et notamment l'immense souffrance des Palestiniens à Gaza, son silence face à l'horreur, tout cela le disqualifie pour continuer à exercer ses fonctions de Ministre des Affaires étrangères.Que, tout au moins, le dossier du Proche-Orient soit géré par le collège entier du Conseil fédéral. Que la Commission des Affaires extérieures du Parlement soit écoutée. Que la voix des Palestiniens monte enfin jusqu'à Berne. Que l'émotion de tant de Suisses devant le carnage soit perçue. Elle était nôtre, en faveur d'Israël, au lendemain des abominables attentats du 7 octobre. Elle est nôtre, aujourd'hui, face aux massacres de Gaza.La Suisse officielle doit sortir de son silence. J'ai plaidé depuis des décennies pour qu'elle reconnaisse un Etat de Palestine. Mais aujourd'hui, tout cela est tellement loin. Il s'agit, avant toute chose, d'arrêter le massacre. Il s'agit de mettre un terme à l'infinie souffrance d'un peuple. Nul besoin, pour affirmer cela, d'aller chercher des mots empruntés aux années de braise de la Seconde Guerre mondiale. Nul besoin de l'emphase des colleurs d'étiquettes. Nul besoin de jeter de l'huile sur le feu. Simplement, nous déclarer amis des deux peuples en conflit. Mais rejeter, par la voix de la Suisse officielle, la folie meurtrière de l'actuel gouvernement d'Israël.Nous ne condamnons pas un Etat, encore moins son peuple, encore moins son droit à se défendre. Nous condamnons la démesure totale, la disproportion inimaginable, dans la répression. Avec ou sans Cassis, de préférence sans, la Suisse officielle doit dire cela. Ou perdre son honneur.Pascal Décaillet -
Le retour des cendres, ça vous parle ?
Commentaire publié dans GHI - Mercredi 21.05.25
Il y a, en chacun d’entre nous, une part d’intimité qui doit être sacrée. On peut appeler ça « la vie privée », au respect de laquelle je suis infiniment attaché. Mais il est des tréfonds qui vont plus loin encore. A chacun d’entre nous de tenter d’en prendre la mesure, pour lui-même. Je n’ai, à cet égard, aucune leçon à donner, aucune autorité, aucune recette, aucune approche préfabriquée, qui serait calquée sur une grille de lecture, religion, psychanalyse, que sais-je ? Chacun de nous doit bien sentir, quelque part en lui, la possibilité d’un gouffre. Face à soi-même, la fragilité d’un vertige. Dans la vie consciente, éveillée, on oublie tout ça, on rayonne, on séduit, on tente d’aller vers l’autre. Et puis, le surgissement d’un rêve, et l’autre vie qui se rappelle à nous. Chacun de nous chemine, sur la ligne de crête, entre ces deux mondes, d’un côté la vie sociale, de l’autre les ébullitions intérieures. Chacun de nous fait ce qu’il peut.
Et puis, quoi ? Et puis, comme le chante Mouloudji, dans l’un de ses plus beaux textes, « Faut vivre ! ». Le temps qui nous est imparti, après tout, n’est pas infini. Vivre, oui, mais quelle vie ? Accomplir une fonction sociale, se réaliser à fond dans un métier qui nous passionne, y affûter ses compétences, les élargir. Tout cela, oui, bien sûr. Mais l’autre vie ? Celle qui nous lance des appels, ces figures qui reviennent, ces vieux rêves auxquels on avait cru renoncer, et qui soudain surgissent ? Tout cette glaise de notre passé, celle qui nous a façonnés, celle qu’on a reniée, celle qu’on n’a pas voulu voir, celle qu’on a voulu oublier, on se défend comme on peut : « Faut vivre ! ».
Un homme, une femme, c’est une vie consciente et une vie refoulée, c’est un passé, des ruptures, des cicatrices. Des maladies aussi, parfois. On les a combattues, de toutes ses forces. Et, si on a eu la chance de gagner, alors on oublie tout, les souffrances, on se demande même on si l’a bien vécue, cette guerre féroce pour la guérison. On ne retient que la légèreté du salut. « Faut vivre ! », alors on oublie. J’ai eu la chance de le voir, Mouloudji, avec quelques amis, dans un cabaret parisien, près de la Bastille, en 1988. Me traverse encore, comme une lave de mémoire, mon émotion, l’écoutant interpréter cette chanson, « Faut vivre ! ».
Alors, la part d’intimité, en chacun de nous ? Bien sûr que je plaide avec passion pour elle, et pour son absolu respect par les tiers. Mais mes mots sont inutiles, chacun sait très bien, au fond, ce qu’il doit à cette petite musique intérieure. Un gouffre ? Un vertige ? Une perte d’équilibre ? Une boîte noire ? Ou alors, peut-être, un retour des cendres. Un cérémonial du souvenir. Une liturgie, dans une langue que seule aurait parlée notre vie ancestrale, et que l’univers de la raison, de la démonstration, de la nécessité sociale, nous aurait fait oublier. Voyez, je donne des mots, et déjà mes paroles sont vaines. Envolées, avec le vent. « Faut vivre ! » : alors vivons, le plus intensément possible. Le temps de vivre est déjà si court, non ?
Pascal Décaillet
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Portugal, Pologne, Roumanie: la patience du curseur !
Sur le vif - Lundi 19.05.25 - 16.33hLe Portugal, la Pologne, la Roumanie ont voté hier, les uns pour des législatives, les autres pour la présidentielle. Ces trois pays sont suffisamment éloignés les uns des autres, surtout le premier, qui constitue la pointe occidentale du continent, pour que nous repoussions toute tentation de tisser des liens entre ces trois scrutins.Chacun a son Histoire, passionnante dans les trois cas, sa langue, ses dialectes, sa littérature, ses marques du passé, ses douleurs de mémoire, ses cicatrices. Chaque nation doit être étudiée en soi, à l'écart de toute aspiration à une interprétation universelle, ou mondialiste. Il faut d'abord entrer dans sa langue, sa pensée. Vous savez qu'infatigablement, pour les Allemagnes, je m'efforce à cette approche, où l'immersion dans la culture poétique et musicale notamment, occupe une place tout aussi importante que la passion pour la politique et l'économie.Dans ces trois nations qui viennent de voter, toutefois, la droite souverainiste et nationale progresse. Mais là aussi, même si la tentation est infinie de voir la percée du parti contestataire, au Portugal, comme une résurgence des décennies salazariennes d'avant le 25 avril 1974 (ah, cette date, les Œillets, je m'en souviens comme si c'était hier !), il nous faut demeurer parfaitement froids, analytiques, dans l'ascèse de lucidité, plutôt que jouer aux éternels colleurs d'étiquettes. Place de ce pays dans l'Union européenne (j'étais à Porto, avec Delamuraz, le 1er mai 1992, pour la signature de l'Accord EEE, qui sera refusé par le 6 décembre de la même année par le peuple et les cantons suisses). Mais aussi, difficultés de l'économie, emploi des jeunes, et tant de clefs d'interprétation autochtones tellement plus pertinentes que les approches globales.Ce soir à GAC, avec quatre invités, nous nous pencherons sur les élections dans ces trois pays. Au Portugal, le bipartisme est culbuté. En Roumanie, le candidat de la droite nationale progresse, sans pour autant s'imposer. En Pologne, le Maire libéral de Varsovie prend l'avantage, en vue du second tour du 1er juin, sur le candidat protestataire.Bref, complexe. Multiforme. Exigeant finesse d'approche, et surtout respect des identités nationales de chacun de ces trois pays, pour tenter quelques éclairages.Une dernière remarque : les pays d'Europe où la droite nationale et souverainiste progresse le plus, ne sont ni le Portugal, ni la Pologne, ni même la Roumanie. Mais trois pays signataires du Traité de Rome (mars 1957), pierre angulaire de l'Europe communautaire : la France, l'Allemagne, l'Italie. Preuve que l'évolution du curseur, partout sur le continent, vers le retour à la nation souveraine, n'est absolument pas l'apanage de tel Etat bananier ou périphérique : elle s'exerce partout, à commencer chez ceux qui, si longtemps, à coups d'anathèmes, ont cru bon de prôner avec arrogance la Raison triomphante contre la résurgence, comme dans la Prusse de 1807, sous occupation française, des récits nationaux et des tellurismes du coeur.Pascal Décaillet