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  • Dugerdil : les enjeux

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 04.06.25

     

    La candidature de Lionel Dugerdil à l’élection complémentaire du 28 septembre pour le Conseil d’Etat n’est pas d’un enjeu droite-gauche : de toute façon, jusqu’en 2028, la majorité de droite au gouvernement est assurée. Si Dugerdil passe, il y aura cinq magistrats de droite, et deux de gauche (les socialistes), Si le candidat Vert passe, on sera encore à quatre/trois.

     

    Non, l’enjeu de la candidature Dugerdil, c’est, enfin, le début d’un rééquilibrage des forces au sein des droites genevoises. La philosophie libérale, au sens large, y est actuellement surreprésentée, avec une libérale (Mme Fontanet), une centriste, mais bien libérale en économie (Mme Bachmann), et une radicale historique, attachée à l’Etat (Mme Hiltpold). Cette dernière est, Dieu merci, la moins libérale des trois.

     

    Manifestement, il manque l’autre droite, celle qui n’en finit pas de monter, la droite protectionniste, souverainiste, sociale, populaire et joyeuse, la droite qui aime et défend l’agriculture, l’industrie, le peuple suisse, en un mot la droite Dugerdil. Cette droite-là, qui n’est vraiment pas celle des multinationales et des génuflexions devant les financiers, manque au Conseil d’Etat.

     

    Lionel Dugerdil a-t-il ses chances ? Oh, ce sera très difficile ! Nicolas Walder, en face, sera un candidat compétent, avec expérience exécutive à la Mairie de Carouge. Et les peaux de bananes, de part et d’autre, ne manqueront pas. Vive la campagne !

     

    Pascal Décaillet

  • N'ayez pas peur : lisez Thomas Mann !

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 04.06.25

     

    6 juin 1875 : nous célébrons les 150 ans de la naissance, dans la magnifique et troublante ville hanséatique de Lübeck, toute proche de la Baltique, de l’un des géants de la littérature allemande. J’ai déjà beaucoup écrit sur Thomas Mann, l’un des écrivains qui comptent dans ma vie, notamment dans ma Série sur l’Histoire allemande, et il y a tant d’angles pour en parler : tiens, le rôle de Lübeck, par exemple, les grandes familles commerciales, dont il est issu, et qu’il décrit à merveille dans l’un de ses chefs d’œuvre, les Buddenbrook (1901).

     

    Si lire Thomas Mann vous fait peur, tant il est statufié, et tant il apparaît comme un rocher marmoréen, alors allez au moins, une fois dans notre vie, visiter Lübeck, ses canaux reliés à la Baltique, sa Vieille Ville aux églises luthériennes rouges, dont celle où le jeune Jean-Sébastien Bach vint, à pied de sa Thuringe natale (400 km !), en 1705, travailler avec le grand Buxtehude. Lübeck, j’y suis allé pour la première fois en 1968, il y avait des traces de boulets de canon sur les murs : « 1945 ? », avais-je demandé au guide, « Oui, ou alors la Guerre de Trente Ans (1618-1648) », m’avait-il simplement répondu. Une marge d’erreur de trois siècles ! Le tragique de l’Histoire se confond dans les mémoires allemandes.

     

    Mais surtout, n’ayez pas peur. Ceux qui ont statufié Thomas Mann lui ont rendu un très mauvais service. Il faut le lire, et le lire encore. En allemand, bien sûr, ceux qui le peuvent, et j’encourage particulièrement les profs d’allemand à oser Thomas Mann, même au niveau Collège (15 à 19 ans), même si sa phrase est longue, tellement subtile et précise qu’il faut s’accrocher, mais c’est cela la langue allemande, cheminant avec la patience d’un diagnostic médical, suggérant ici un chemin, débouchant parfois sur une clairière de respiration, défrichant, laissant des signes, nous semant parfois, pour mieux nous éclairer dans le verbe final. J’ajoute que c’est cela, aussi, la musique allemande, et autrichienne, contemporaine de Thomas Mann, je pense notamment à l’éblouissante « Verklärte Nacht », la Nuit transfigurée (1899), d’Arnold Schönberg.

     

    Vous ne lisez pas l’allemand ? Les traductions françaises foisonnent, et certaines sont excellentes. On parle toujours des monuments que sont les Buddenbrook et la Montagne magique (Der Zauberberg, 1924), mais l’œuvre de Thomas Mann est immense : « Der Tod in Venedig » (1912), qui sera mis en film par Visconti et en opéra par Benjamin Britten, Doktor Faustus (1947), et puis sa vie à lui, sa famille de génie, son frère Heinrich, ses enfants Klaus (le génial auteur de Méphisto), Golo, Erika, son rejet du Troisième Reich, ses années d’exil, son Prix Nobel en 1929. Mais tout cela, c’est encore le monument. Le tissu, plus présent jamais, qui nous reste, comme une relique de vie éternelle, c’est son œuvre : en elle, il faut pénétrer. Ces mots-là, ceux du magicien Thomas Mann, sont un corps vivant, palpitant, sous nos yeux.

     

    Pascal Décaillet

  • Fassbinder, Nogueira, les éveilleurs

     
     
    Sur le vif - Mardi 03.06.25 - 16.18h
     
     
     
    Au début des années 1980, je passais mes soirées au CAC, rue Voltaire, où le maître des lieux, le fantastique passeur Rui Nogueira, nous initiait à des films sublimes, loin des salles grand public et des circuits commerciaux. Loin, surtout, de tout souci de "coller à l'actualité", comme disent les journalistes.
     
    Le CAC ne présentait pas des films en fonction de leur sortie récente, ni de leur retentissement dans la presse. Non, Nogueira nous diffusait des "cycles". Le cycle Cassavetes, qui m'avait tant impressionné. Le cycle Douglas Sirk, dont une séance en présence de l'auteur, en présentation de sa célèbre adaptation du chef d’œuvre d'Erich Maria Remarque. Le cycle Marguerite Duras. Le cycle homosexualité, bouleversant. Et puis, au tout début des années 80, alors que l'auteur vivait encore, le cycle Fassbinder. Celui-là m'avait littéralement emporté.
     
    Rainer Werner Fassbinder est né le 31 mai 1945, trois semaines et deux jours après la défaite. Il est mort à Munich le 10 juin 1982. Il venait d'avoir 37 ans. Il laisse une oeuvre unique, impressionnante au théâtre comme au cinéma. Il y avait bien sûr un cinéma allemand d'après-guerre avant lui, dont les films de Schroeter autour de Maria Callas, et cet incroyable "Hitler" de Syberberg, qui n'est ni documentaire, ni fiction, il dure sept heures, j'étais justement allé le voir avec un ami. Chez qui ? Chez Nogueira, bien sûr !
     
    Il y avait un cinéma allemand d'après-guerre avant lui, mais comment dire ? Ce phénomène autodidacte, bourreau de travail, déménageur d'enthousiasmes, qu'était Fassbinder, a révolutionné un moment clef du cinéma allemand, qui était si vivace avant la guerre, dès l'époque du muet. Mais dans l'après-guerre, le cinéma allemand avait connu un moment d'assoupissement, c'était le temps du non-dit.
     
    Que s'est-il passé ? Disons simplement que Fassbinder a réveillé les mémoires allemandes enfouies. Jamais pour moraliser. Jamais au nom d'un "devoir de mémoire", d'autres s'en sont chargés, il le fallait bien sûr. Non, Fassbinder, lui, nous raconte la vie des Allemands, la vie d'un couple, d'une famille, sur fond de braise et de feu. C'est un dramaturge-né, sur les planches comme à l'écran. "Die bitteren Tränen der Petra von Kant", montées à la Comédie avec une magnifique sensibilité il y a longtemps, par Anne Bisang, c'est lui, texte, dramaturgie, réalisation pour l'écran. Fassbinder, artiste total.
     
    Pour les 80 ans de Fassbinder, nous dirons quelques mots, en direct ce soir 19h, aux Yeux dans les Yeux, avec Laetitia Guinand. J'aurais voulu avoir Nogueira. Lui aussi, aurait adoré venir, mais il est retenu par un problème de santé. Mais je penserai à lui ce soir, comme je pense à lui chaque fois que je revois un grand film, Visconti, Fellini, Anonioni, Pasolini, Bergman, Preminger.
     
    Fassbinder fut un éveilleur de consciences. Nogueira est un guide. Avant chaque film, au CAC de la rue Voltaire, il nous disait quelques mots, en introduction. C'était court, anecdotique, drôle, prodigieusement informatif. Je n'ai rien oublié. Ni lui, ni Fassbinder. Je n'oublie jamais rien de ce qui compte.
     
     
    Pascal Décaillet