Commentaire publié dans GHI - Mercredi 16.10.24
« Obligation de contracter », « catalogue de prestations », « traitement en ambulatoire ou en stationnaire » : les mots de la LAMal (loi sur l’assurance maladie) sont, au crible de l’analyse de communication la plus élémentaire, une honte. En soi, un scandale. Qui s’ajoute à la déroute première : celle de la LAMal elle-même, depuis trente ans, son échec absolu, sa responsabilité devant l’Histoire : être la première cause de paupérisation des Suisses. Avant l’impôt. Avant même les loyers. Les Suisses deviennent plus pauvres, non de se soigner, mais de payer, payer, et payer encore, pour l’éventualité où ils iraient, peut-être, un jour, se faire soigner ! Parce qu’ils auraient eu l’incongruité de tomber malades. Ah, les rustres !
Mais revenons à ces mots-barrages. J’ai assisté, à Berne, à la genèse de la LAMal. Déjà à l’époque, (début des années 1990, lors des travaux préparatoires), le débat parlementaire était pris en otage par une nomenclature incompréhensible. Plus les politiques débattaient, moins on les comprenait. À croire qu’ils faisaient exprès de noyer leur propos sous un tsunami de mots techniques. Au début, nous nous contentions, nous les citoyens, de hausser les épaules. Les primes n’avaient pas pris l’ascenseur comme aujourd’hui, alors nous laissions les jargonneurs pérorer entre eux. Mais aujourd’hui, trente ans plus tard ! Les primes nous prennent à la gorge. Elles nous étouffent. Elles sont, pour beaucoup d’entre nous, avec le loyer, l’impôt, l’une des principales angoisses de fin de mois. Alors oui, il faut le dire : les échanges de mots savants, dans les débats, nous exaspèrent. Une exigence républicaine commence à poindre : celle de la clarté la plus limpide, quand on parle des affaires de santé, en Suisse.
Ce sont principalement les politiciens bourgeois, et parmi eux les libéraux, qui usent et abusent et cet empoisonnement du langage par des mots incompréhensibles. Le public, parce qu’il n’en peut plus de payer, est de moins en moins dupe, il se détourne de la classe politique pour espérer des solutions dans le domaine de l’assurance maladie. Il plébiscite la démocratie directe, pas encore pour accepter ses solutions, mais comme voie de débat : enjeux clairs, vaste débat national, engueulades dans les foyers au moment du repas familial, c’est justement ça, notre démocratie suisse ! Cette fraternelle empoignade, entre citoyennes et citoyens, avec les mots de tous les jours, les mots de la vie : « Caisse unique », « Et tu la financeras comment, pépère ? », « Caisse publique », « Mais tu vas nous filer un impôt de plus ! », c’est ça la vie, c’est ça la Suisse, et pas des « obligations de contracter », ou des « catalogues de prestations », articulés par des nez pincés, tout soucieux de confisquer la réalité des rapports de forces, économiques évidemment, au peuple, pour demeurer dans l’entre-soi des salons bernois. Où tel lobby nous a invités à tel cocktail, pour faire passer telle idée, au service des Caisses. Au service du pouvoir financier. Notre démocratie suisse mérite tellement mieux que cette mascarade des mots.
Pascal Décaillet