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Commentaires GHI - Page 2

  • Méfie-toi du pouvoir. De tout pouvoir !

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 12.06.24

     

    Les Genevois sont des gens sympathiques, mais je me demande parfois s’ils ne sont pas un peu naïfs. Je parle ici de leur rapport d’amour-haine avec les gens qu’ils élisent au gouvernement cantonal, ou dans les mairies des grandes communes, bref les exécutifs. A Genève, nous les désignons au suffrage universel. C’est sans doute très bien, ça leur donne une onction infiniment plus ancrée que d’être élus par un seul Parlement. Chacun d’entre eux peut dire : « Je suis l’élu du peuple, il m’a accordé sa confiance pour cinq ans, j’irai jusqu’au bout de mon mandat ». Traduction : « Foutez-moi un peu la paix, laissez-moi gouverner, je n’ai de comptes à rendre qu’au peuple, au terme de l’élection, si je me représente ».

     

    C’est bien, oui, mais cette légitimité venue d’un large corps électoral a son revers de la médaille : chaque citoyenne, chaque citoyen, qui a élu un magistrat, peut se dire « C’est mon ministre, je lui ai accordé ma confiance, peut-être même mon cœur, j’attends beaucoup de lui, il doit en être digne, il ne doit pas me trahir ». Chaque électeur peut se montrer sourcilleux, possessif, comme un amant jaloux, avec son cher ministre. On a vu ça dans l’affaire Maudet : des gens qui avaient tellement investi affectivement dans ce candidat, soudains déçus, déroutés par la violence de la déconvenue, sont devenus ses pires ennemis, comme parfois dans un couple déchiré par la séparation. Détruire ce qu’on a aimé, le poursuivre de sa vindicte. Lisez Racine, vous saisirez.

     

    Affaire Maudet, affaire Fischer. Dans le second cas, on a vu les partisans du premier se réjouir comme des petits fous des malheurs de l’ex-ministre Verte. Leur joie vengeresse, disons-le, avait quelque chose de pathétique, comme si les ennuis de Mme Fischer avaient pour vertu d’atténuer la première affaire. A ce niveau d’adhésion sectaire à un homme providentiel, la valeur grognarde d’une garde prétorienne, style dernier carré à Waterloo, noble chose en soi, cède hélas la place à l’aveuglement vindicatif. On espère autre chose de l’action politique : admirer un homme c’est bien, lui être fidèle, mais nourrir sa vie de ruminations revanchardes précipite dans l’impasse. Quant au groupe parlementaire qui soutient ce magistrat, on attend de lui, comme de tout élu législatif, indépendance, contrôle implacable de l’exécutif, y compris de son propre magistrat.

     

    Affaire Maudet, affaire Fischer, tant d’autres encore. La leçon de tout ça, c’est la noirceur immanente du pouvoir. De tout pouvoir, d’où qu’il vienne ! Politique, certes, mais aussi économique, social, patriarcal, et jusqu’à la tyrannie entre deux amants. Dès qu’une personne, homme ou femme, gauche ou droite, gentil ou méchant, occupe une position de pouvoir, elle aura naturellement tendance à un abuser. J’ai vu six fois Léo Ferré sur scène, entre 1978 et 1990 : les six fois, à la fin du spectacle, il nous disait : « N’oublie pas que le pouvoir, tout pouvoir d’où qu’il vienne, c’est de la merde ». Excellente semaine.

     

    Pascal Décaillet

  • Guichets fermés

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 05.06.24

     

    En 2024, à quoi sert encore la Poste ? À quoi, si ce n’est à annoncer des fermetures de filiales, comme elle l’a fait le 29 mai ? Ce qui fut, naguère, un fleuron de notre pays, et jusqu’à incarner la Suisse elle-même, sur les cartes postales, les décors de trains électriques, donne l’impression aujourd’hui d’un vaisseau-fantôme, en perpétuelle dérive.

     

    La Poste a l’âge de la Suisse moderne : elle a été créée en 1849, juste un an après la Suisse fédérale, celle des radicaux, entreprenants, imaginatifs, révolutionnaires. En 1920, ce furent les PTT, contenant les services postaux et le téléphone en pleine éclosion. Et le 1er janvier 1998, date funeste, ce fut ce triste divorce, fruit de la mode ultra-libérale de l’époque : on créa d’un côté la Poste, de l’autre Swisscom.

     

    Il fallait parler anglais, privatiser tous azimuts, faire moderne et clinquant, oublier toute notion d’Etat, de service public. Cette idéologie fut dévastatrice, je le disais (bien seul), sur le moment, je le répète, plus que jamais, aujourd’hui.

     

    Depuis, la Poste a voulu jouer dans la cour des grands. Elle s’est tellement diversifiée, dans les points de vente, qu’elle ressemble parfois à un bazar. Et là où il aurait fallu foncer dans la numérisation, elle donne au contraire l’impression d’avoir pris du retard. Tout cela, toute cette errance, à cause du Veau d’or libéral. Ces gens-là, un jour ou l’autre, devront rendre des comptes.

     

    Pascal Décaillet

  • Claude Torracinta, très grand journaliste

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 05.06.24

     

    Durant mes longues années à la SSR, je n’ai jamais travaillé avec Claude Torracinta. Il était à la Télévision Suisse Romande (TSR), et moi à la Radio Suisse Romande (RSR). A l’époque, les entités étaient séparées, les lieux différents (TSR Genève, RSR Lausanne), et surtout les deux cultures d’entreprises semblaient aux antipodes. Je suis un homme de radio, Claude était un homme de télévision. Je n’ai jamais été intéressé par le pouvoir hiérarchique, seulement par le pouvoir opérationnel sur une production, domaine dans lequel j’ai été comblé, puisque j’ai longtemps exercé la fonction de producteur d’émission, qui me va comme un gant. Claude adorait le pouvoir tout court, sur de vastes équipes, il en avait l’envie, les dispositions, le talent. On le disait de la gauche sociale-démocrate, j’avais une réputation de droite, tendance Delamuraz. Bref, à première vue, à part une passion commune pour le journalisme, tout nous séparait.

     

    Mais il faut faire confiance à la vie. Elle nous réserve parfois de magnifiques surprises. Lorsque je suis devenu le producteur responsable de l’émission « Genève à Chaud », sur Léman Bleu, il y a 18 ans (2006), j’ai maintes fois fait appel aux lumières intellectuelles de ce Commandeur en retraite pour venir dans l’émission, comme invité. Sur la politique française (il connaissait par cœur l’Histoire de ce pays depuis la Révolution), sur l’Europe, et même sur la politique suisse, qui a toujours été ma spécialité. Ce retraité majestueux, à la chevelure de jeune homme, aux qualités intellectuelles totalement intactes, est venu tant de fois à l’arraché (je l’appelais quelques heures avant). Pour cette petite chaîne régionale naissante, il avait de l’affection, et nous aussi pour lui. Je le dis aujourd’hui, alors qu’il vient de nous quitter à l’âge de 89 ans, ce fut pour moi un honneur et un bonheur de monter tous ces éclairages à deux voix avec un tel professionnel. Nous nous mettions d’accord, en moins d’une minute, sur un ou deux angles d’approche, sans rien écrire, et c’était parti, en impro, pour de riches et belles conversations. Un bonheur, oui, dans l’ordre professionnel.

     

    Aujourd’hui, je veux dire ma tristesse, ainsi bien sûr que ma sympathie à tous ses proches. Le legs de Claude Torracinta est immense, à commencer par la grande aventure de Temps présent, émission fondée en 1969 : 55 ans plus tard, elle est encore là ! Quasiment l’âge du journal que vous tenez entre les mains ! Il faut rendre hommage aux émissions qui durent, aux journaux qui durent, aux entreprises qui durent, et cesser de se pâmer devant la première « start-up » : qu’elle fasse d’abord ses preuves, plusieurs années, et on parlera d’elle ! Car une émission, une entreprise, une chaîne TV ou radio, c’est d’abord du désir, de l’effort, du sacrifice, de la passion. A quoi s’ajoute, croyez-moi, une métronomique discipline pour l’intendance. Claude Torracinta avait compris tout cela. Il mérite l’hommage de la Suisse romande.

     

    Pascal Décaillet