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Commentaires GHI - Page 3

  • La lucidité oui, la morale non

     

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 12.11.25

     

    La politique doit aimer les citoyens, et se méfier des militants. Elle doit chérir tout compatriote, de gauche comme de droite, progressiste ou conservateur, qui s’engage pour la collectivité. Mais elle doit tenir à distance les enragés d’une seule cause, aussi respectable soit-elle. La politique est un art du possible. Elle exige connaissance de l’Histoire, du terrain, des hommes et des femmes, compétence sur les enjeux, vision générale, sens de l’Etat. Elle exige de mettre en action notre cerveau. Le politique, tous degrés confondus, doit se faire tête froide, et même avec un certain cynisme assumé. Ce mot, non dans le sens diabolique qu’on lui prête trop souvent, mais dans celui d’une démarche dépassionnée, seule possible pour prendre des décisions engageant toute une collectivité, un Etat, une nation. Une communauté humaine, au sein de frontières bien déterminées. Et non la planète entière. Accepter des limites est œuvre de raison. Vouloir convertir le monde est pathologie passionnelle.

     

    Pour cela, il faut commencer à l’école. Dans les cours d’Histoire. Ne surtout pas moraliser. Ne surtout pas condamner les actes de nos ancêtres sans les placer soigneusement dans le contexte de leur époque, qui n’est pas la nôtre. Il faut, avec cynisme (oui, j’insiste sur ce mot, dans ce qu’il a de glaçant et d’appel à la lucidité), expliquer les grandes décisions de l’Histoire en fonction des intérêts des puissants du moment. Comme nous y invitent Karl Marx, et, vingt-cinq siècles avant lui, l’historien athénien Thucydide, il nous faut décortiquer les causes et les effets, aller chercher dans les relations de pouvoir et de domination, principalement économiques, les vraies raisons des guerres. Cela doit être enseigné aux élèves dès l’école primaire, c’est une école de vérité.

     

    En un mot, en politique, la lucidité doit primer sur la morale. C’est valable chez les décideurs. Mais aussi, et surtout, chez les citoyennes et citoyens que nous sommes tous. En Suisse, nous sommes les patrons. Nous avons le dernier mot. Soyez passionnés, si ça vous chante. Mais dans l’ordre de la décision politique, ne votez jamais sans avoir actionné votre cerveau. Peser les intérêts, laisser, en son for, se frotter comme des silex le pour et le contre, écouter tous les arguments, c’est cela le mystère de notre démocratie suisse. Notre pays a besoin d’hommes et de femmes compétents, ouverts, curieux, avides de s’informer, capables de débattre sans hurler ni agresser son adversaire. Il a besoin de la lumière des arguments, et n’a que faire des slogans grégaires, moutonniers, scandés par des foules n’en pouvant plus de rêver du Grand Soir. Les citoyens oui, les éternels militants professionnels, non merci.

     

    La maturité citoyenne exige tout le contraire de l’agrégation à une foule. Elle impose la solitude. La lecture. La réflexion. Et, s’il le faut, le courage d’être seul contre tous. Parce que là, ça tangue, et nul ne viendra vous soutenir, si ce n’est la lumière intrinsèque à chacun de vos propres arguments. En un mot, les forces de l’esprit.

     

    Pascal Décaillet

  • Le retour de deux fantômes

     

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 05.11.25

     

    La libre-circulation, la souveraineté. 33 ans après le débat épique de 1992, les deux pommes de discorde majeures sont encore là. Et ce sont exactement les mêmes ! Cette fois, il ne s’agit plus d’Espace économique européen, mais d’un paquet d’Accords qu’on appelle, pour faire court, les Bilatérales III. Le projet était en consultation jusqu’au 31 octobre, il sera au menu des Chambres fédérales en 2026, et au final, le peuple se prononcera.

     

    Depuis le « dimanche noir » du 6 décembre 1992, l’eau a coulé sous les ponts. Il y a eu la grande aventure des bilatérales, des Accords économiques dont l’aspect pragmatique a convenu au peuple suisse. Ce dernier dit OUI à la collaboration économique sectorielle, et clairement NON à tout ce qui peut ressembler à l’incorporation de la Suisse dans un ensemble supranational.

     

    Dans cet immense débat national qui s’ouvre, ce qui fâche n’a pas changé. La libre-circulation : la directive de l’UE sur les citoyens pourrait amener des centaines de milliers de résidents européens en Suisse. La souveraineté : l’instance d’arbitrage, en cas de litiges, entre la Suisse et l’UE est accusée par les opposants d’être, au final, à la solde de Bruxelles. Libre-circulation, souveraineté : ces deux thèmes, vitaux pour l’avenir de notre pays, porteront toute la bataille.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Delamuraz-Blocher : souvenirs émus

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 05.11.25

     

    Correspondant parlementaire à Berne pour la RSR en 1992, j’avais couvert à fond, dans toute la Suisse, la « campagne du siècle », autour de la votation historique du 6 décembre sur l’Espace économique européen. Une campagne titanesque, inoubliable. Deux Suisses, l’une face à l’autre : celle des partisans, valorisant l’Europe de Bruxelles, plutôt représentés en Suisse romande (disons en Suisse de l’Ouest), dans les villes, dans la plaine. Face à elle, les opposants, plutôt en Suisse alémanique et au Tessin, plutôt dans les campagnes, plutôt en montagne. J’accumule les « plutôt », parce qu’une lecture fine de la carte exige patience et nuances : il nous a bien fallu un an, à la RSR et dans les autres médias, pour affiner notre analyse, découvrir des lignes de fracture plus subtiles, en fonction de l’Histoire de chaque canton.

     

    Mais enfin, le dimanche 6 décembre 1922, sur le coup de 15.22h, ce fut NON. Peuple et cantons. Mon premier commentaire à chaud, à la RSR, fut empreint de tristesse. J’étais triste. La Suisse romande était triste. Il fallait s’incliner, mais c’était dur. Il faut le reconnaître : dans l’équipe des journalistes parlementaires romands, au Palais fédéral, tous médias confondus, nous étions très majoritairement favorables à l’EEE. Nous avions suivi toute l’Histoire en amont de la votation, les longues et difficiles négociations, puis la signature de l’Accord à Porto en mai 1992, puis la campagne, homérique, passionnante. Pour ma part, je confesse, 33 ans après, avoir été un peu sous l’emprise de Jean-Pascal Delamuraz, son intelligence si vive et percutante, son charme, son humour, et surtout son incomparable courage dans le combat. Delamuraz, face à Blocher : deux géants, deux tempéraments, deux guerriers de premier ordre. C’est un honneur que d’avoir couvert une telle campagne. Elle était vraiment celle du siècle.

     

    Lorsque nous sommes allés à Porto, en mai 1992, dans le printemps ensoleillé du Portugal, pour couvrir la signature de l’Accord, nous étions persuadés que la ratification populaire, déjà entrevue à l’horizon de décembre, ne serait qu’une formalité. Nous avions tort, immensément. Nous avions juste sous-estimé le retour tellurique de la Vieille Suisse. Celle de Blocher. Celle de l’attachement viscéral à la souveraineté. Celle du refus des juges étrangers. Celle des dialectes, des traditions, des coutumes locales, tellement puissantes et attachantes dans notre pays. Dès septembre, et de façon incroyablement ascendante les dernières semaines de campagne, la Vieille Suisse nous a signifié son réveil. En Suisse romande, nous étions incapables de voir que Blocher était, chaque jour un peu plus, en train de marquer des points. Nous n’avions rien compris, rien voulu comprendre. Nous nous étions cramponnés aux forces de la Raison, le Freisinn, la Vernunft, toutes ces belles valeurs de l’Aufklärung, les Lumières de la philosophie allemande. Nous avions juste sous-estimé le terrain. Les passions. Le patriotisme, Nous nous étions trompés, c’est tout.

     

    Pascal Décaillet