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Liberté - Page 948

  • Série Allemagne - No 11 - 1813 : Leipzig, la Bataille des Nations

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    L'Histoire allemande en 144 tableaux - No 11 – Leipzig, 16 au 19 octobre 1813 : un choc colossal. Trois Rois et trois Empereurs. Au final, une défaite pour Napoléon. Et pour les Allemagnes, le début du renouveau.

     

     

    C’est une bataille capitale, sans doute la plus importante des guerres napoléoniennes. Pourtant, à part dans l’historiographie allemande, elle est peu connue du grand public : moins que le soleil d’Austerlitz (2 décembre 1805), moins que la morne plaine de Waterloo (18 juin 1815). Mais les Allemands, eux, la connaissent : ils ont quelques raisons de s’en souvenir.

     

     

    D’abord, parce que ce choc monumental de plusieurs armées s’est déroulé chez eux, dans la ville qui était celle de Bach et qui allait devenir celle de Wagner (il y est né le 22 mai, cinq mois plus tôt, et son père mourra des séquelles du typhus, contracté au moment de la bataille). Surtout, parce que Leipzig marque la fin de l’occupation française, le reflux de la Grande Armée vers son territoire national (pour le défendre, ce qu’elle fera admirablement en 1814), la victoire des peuples allemands libérés. D’où le surnom de Leipzig : Völkerschlacht, la Bataille des Nations. A bien des égards, on peut considérer la période 1813-1945 comme un cycle de l’Histoire allemande, celui du réveil national, des conquêtes, puis de la chute, lors de la prise de Berlin au corps à corps, maison par maison, par les Soviétiques.

     

     

    L’historien Stéphane Calvet parle de la bataille des Trois Rois (Murat pour Naples, le roi de Prusse et le roi de Saxe) et des Trois Empereurs (Napoléon, le Tsar Alexandre, l’Empereur d’Autriche). Dans son livre, « Leipzig 1813, la guerre des peuples » Editions Vendémiaire, il nous livre le remarquable résultat de recherches sur le déroulement de la bataille, la violence du choc, les blessures, le rôle de l’artillerie, le sort terrible des mutilés (nous sommes bien avant Solferino). Les Allemands, pour leur part, ont beaucoup écrit sur la bataille de Leipzig, conscients de son rôle capital dans le destin de leur pays.

     

     

    Leipzig, c’est la grande bataille de l’après Campagne de Russie. La Russie, la Prusse, l’Autriche, mais aussi la Suède de Bernadotte sont unies contre la France, qui, également ennemie de l’Angleterre, se trouve seule face à la puissance et la supériorité numérique de cette Sixième Coalition. Sur territoire prussien, dans les mois qui précèdent, Napoléon remporte encore des victoires (Lützen, Bautzen), mais c’est bel et bien dans la ville saxonne que va se dérouler, en automne, l’une des plus violentes confrontations de l’Histoire militaire européenne.

     

     

    La bataille dure trois jours, du 16 au 19 octobre. Encore aujourd’hui, elle est étudiée dans les Ecoles militaires. Les mouvements de troupes sont complexes. Le sort (comme, deux ans plus tard, à Waterloo) ne se décide que sur le tard. Les Alliés sont en nette supériorité numérique. Les canons, innombrables. La violence de l’artillerie, incroyable. Certains font dater de Leipzig le début du concept de « guerre totale », d’autres d'Eylau (1807, la charge de cavalerie de Murat), d’autres encore bien avant. Ce qui est sûr, comme le note Stéphane Calvet, c’est que Leipzig nous fait entrer dans un nouveau type de batailles. Il parle du « crépuscule des guerres dynastiques ». Et de la naissance de guerre des peuples.

     

     

    Certes, la nation en armes s’était levée dès la Révolution, en France, avec les Soldats de l’An II, mais là, ce sont tous les peuples d’Europe qui commencent à se battre pour un autre impératif que le service du prince. Dès lors, comment ne pas rattacher Leipzig 1813 aux Discours à la Nation allemande, Fichte, Université de Berlin, 1807, dont nous avons déjà parlé dans cette Série ? Et la voilà justement, cette Prusse, quittant Napoléon pour se battre avec les autres Allemands, entrant dans un dix-neuvième siècle qui sera celui de sa plus grande puissance, elle qui forgera l’unité allemande.

     

     

    Reste la question des Saxons. Alliés de Napoléon, ils ont allégrement trahi l’Empereur dans la dernière phase de la bataille (au moment où le destin pouvait sourire à la Grande Armée), et l’expression, dans bien des milieux, est restée : « Saxon », comme synonyme de « traître ».

     

     

    Stéphane Calvet nous montre, avec d’autres, à quel point la bataille fut terrible. Les Coalisés perdent plus d’hommes que les Français, mais ils sont beaucoup plus nombreux. Le sort des blessés est terrible. On les isole dans des ghettos, ou des cimetières, les hôpitaux sont débordés, Henry Dunant et la Croix-Rouge n’existent pas encore. Les épidémies se lèvent. On se bat dans les rues. Il est même question un moment, précise toujours Calvet, de faire sauter la ville.

     

     

    Au final, les Français sonnent la retraite. Ca n’est pas une capitulation, mais la Grande Armée s’en va. Le prochain enjeu, ce sera, en 1814, la Bataille de France, qui certes se soldera par le premier exil de Napoléon (île d’Elbe), mais montrera plus que jamais le génie stratégique de l’Empereur, qui promène les Alliés pendant des semaines, de Montmirail à Château-Thierry.

     

     

    Mais diable, nous sommes ici dans une Série Allemagne. Pour les Prussiens, pour les Saxons, pour l’idée naissante de nation allemande, quelque chose se passe, du 16 au 19 octobre, autour de la ville de Leipzig. Oh certes,il faudra encore du temps, le Zollverein, puis, deux générations plus tard, les combats interallemands menant à l’unité, mais Leipzig sera vite considérée, du Rhin à l’Oder, comme le réveil armé des peuples. Que le lieu de ce choc titanesque fût la ville du Cantor Bach, celle où Mendelssohn le fera redécouvrir, celle de Richard Wagner, ne peut être considéré comme un simple caprice du hasard. Très vite, les Allemands y voient un signe du destin. La mère de toutes les batailles, autour de l’un des centres historiques de la culture allemande. La bataille de Leipzig, c’est peut-être, dans le destin allemand, le vrai début du dix-neuvième siècle, qui durera 101 ans, jusqu’en 1914.

     

     

    Pascal Décaillet

     

     

    *** L'Histoire allemande en 144 tableaux, c'est une série non chronologique, revenant sur 144 moments forts entre la traduction de la Bible par Luther (1522-1534) et aujourd'hui. Prochain épisode : Heinrich Mann, le vrai père de L'Ange Bleu.

     

     

     

     

     

  • Les voix, les plumes, la montagne

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    Sur le vif - Samedi 08.08.15 - 15.36h

     

    Clara et Robert : des lettres de feu. Les mots de la passion, mais aussi ceux de l’intelligence, entre deux êtres qui s’aiment, autour de la musique. La correspondance de Robert et Clara Schumann, aujourd’hui connue dans le monde entier, vaut plus que jamais d’être lue. Mieux : d’être entendue. Ce fut le cas, mardi 4 août à la Salle communale de Saint-Luc, par les voix de deux comédiens, Anne Salamin et Jacques Maitre. C’était la fin d’une magnifique journée d’été, les voix se sont élevées au fur et à mesure que la lumière, derrière l’arête de la montagne, déclinait. Les stores, programmation automatique ou hasard du destin, avaient eu la courtoisie de se lever au moment précis où le soleil disparaissait. Le décor prenait son sens, s’intégrait au spectacle.

     

    Les voix, donc, pour lire les plumes. Mais surtout, trois magnifiques autres voix (Géraldine Cloux, mezzo ; Laura Andres, soprano ; Claude Darbellay, baryton-basse), pour interpréter les œuvres de Clara et Robert Schumann, avec Michèle Courvoisier au piano et Florestan Darbellay au violoncelle. Et toute la magie de cette soirée, ce fut celle d’une alternance, celle du jour et de la nuit, celle des lettres lues et des Lieder chantés, à commencer par le « Kennst du das Land », sur un texte de Goethe, puis Heine, Chamisso, Eichendorff et tant d’autres.

     

    Robert aime Clara, Clara aime Robert. Ils se connaissent depuis que Clara a neuf ans, Robert dix-neuf. L’un à l’autre, il sont promis. Le père de Clara n’est pas du genre facile. Il ne veut pas de cette union. La situation s’envenime. Robert devra faire intervenir la justice. Il y a, dans les voix d’Anne Salamin et Jacques Maitre, toute la part de passion musicale, celle d’intransigeance sur la forme et l’invention, mais aussi des moments d’humour : Robert se braque face à l’opposition du père, il s’emporte franchement, la lecture passe à merveille. Au moment où on espère la suite, les comédiens se taisent, laissent place à la musique.

     

    Les voix des deux jeunes cantatrices, Géraldine Cloux et Laura Andres, sont incroyables, le Lied surgit avec cette urgence qui nous saisit, nous emporte, avec le piano et le violoncelle les voix ne font plus qu’un, quelque chose se passe. Un Lied, c’est d’abord une histoire. Un bijou de densité, de brièveté, de captation physique de la salle. Derrière la montagne, le jour n’en peut plus de prendre congé. Ca n’est pas rien d’être là, en Anniviers, pas rien d’être à Saint-Luc, dans la grâce de cette pente, pas rien d’être juste à cette heure-là du soir, tout s’enchaîne, spectacle total, puissance du romantisme allemand, succès, bonheur. Je ne suis pas prêt d’oublier ce moment de poésie et de musique. Il y avait les voix. Il y avait les plumes. Il y avait le témoignage muet de la montagne, allez disons magique, puisqu’on y est.

     

    Le Festival du Toûno s’est tenu toute la semaine, du 3 au 7 août, en différents endroits du Val d’Anniviers, avec même un concert au mythique Hôtel Weisshorn. Déjà, on brûle de l’édition suivante. Car enfin, s’il faut interpréter le romantisme allemand, le faire au milieu d’une nature incomparable s’inscrit dans le sens premier, déjà annoncé au 18ème par le Sturm und Drang, d’un spectacle total. Où le décor réel ne saurait faire l’objet d’un seul hasard visuel. Mais fonctionne dans l’œuvre. Comme jadis à Epidaure, lorsque le soleil se couchait au moment précis où Œdipe-roi se crevait les yeux. Ou comme, beaucoup plus tard, dans les palais de Bavière ou à Bayreuth. Merci à tous, Claude Darbellay, Michèle Courvoisier, merci à Florestan, ce violoncelliste si sensible, merci aux jeunes cantatrices et aux deux comédiens. Il fut un temps où l’été en montagne avait réputation d’être nécessairement ennuyeux. Grâce à cette conception-là de la culture sur un lieu de villégiature en altitude, ce préjugé vole en éclats. Ce Festival du Toûno n’est rien d’autre qu’une grâce.

     

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Série Allemagne - Intermezzo no 3 - 144 épisodes - Mes Années de Pèlerinage

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     L'Histoire allemande en 144 épisodes - Intermezzo no 3 - Quelques notes sur le dessein, et sur la méthode.

     

    A la fin de mon épisode no 10, publié hier soir 18.30h, j’ai annoncé ma décision, prise quelques heures auparavant : ma Série Allemagne ne comptera pas 12 épisodes, mais 144.

     

     

    J’ai pris cette décision, qui va engager une part importante de mon existence dans les deux années qui viennent, la nuit de vendredi à samedi, prenant en considération l’immensité du sujet. Mais aussi, la férocité de ma passion pour la question allemande. Mais encore, l’incroyable télescopage d’idées, dans ma tête, depuis que je me suis mis à l’ouvrage. Une image, un sujet, une part d’instinct en entraînent mille autres, tout va très vite et se catapulte, une forêt de correspondances émerge : bref, j’ai beaucoup à dire, beaucoup trop retenu de choses en moi depuis plus de quatre décennies, il faut maintenant que cela sorte.

     

     

    Les centaines d’ouvrages que j’ai lus, il faut désormais que j’en fasse bénéficier au lecteur. Enfin, à tout lecteur qui voudra bien prendre connaissance de mes textes. Le sujet, j’en suis conscient, n’est pas nécessairement très populaire, il ne pulvérisera pas les audiences. Mais en mon âme, rien de cela n’importe : je veux accomplir ce pèlerinage, j’ai d’ailleurs commencé, j’irai jusqu’au bout. Rien ne pourra m’arrêter.

     

     

    A la vérité, j’ai commencé ce pèlerinage à la fin de l’enfance, et tout le temps que j’ai pu passer en Allemagne, à un âge tellement crucial dans la genèse des passions, puis plus tard comme adulte, et toutes ces centaines de lectures, font déjà partie du chemin. La phase d’écriture, pour laquelle je me donne deux ans, sera l’étape finale, celle de la mise en forme, celle de la transmission.

     

     

    Reste la question centrale de l’organisation du propos. J’ai fait un choix initial, auquel je me tiendrai : celui de renoncer, d’une chronique à l’autre, à la chronologie. J’ai annoncé que l’étendue de mon sujet commençait en 1522, avec la traduction de la Bible en allemand par Luther, et irait jusqu’à aujourd’hui. Je ne m’occuperai donc pas de l’Allemagne médiévale. Mais de 1522 à nos jours, je ne déroulerai pas mes chroniques en fonction de la chronologie. Oh, certes, chacune d’entre elles est dûment datée, inscrite dans le temps, située dans son époque. Mais je veux me laisser la totale liberté de sauter d’un siècle à l’autre. Cela n’empêchera pas, lorsque les 144 chroniques auront été écrites, de les réunir, peut-être, dans l’ordre chronologique.

     

     

    Mes grandes passions sont l’Histoire, la littérature, la poésie et la musique. On ne s’étonnera pas de découvrir ces domaines fort représentés dans la Série. J’assume en cela la totale subjectivité de mes choix. Ma grande ambition est de faire pénétrer le lecteur, petit à petit, avec la lenteur d’une révélation photographique en chambre noire, dans un certain portrait de l’âme allemande. La continuité qui aurait fait défaut aux amateurs de chronologie, je suis habité par l’idée qu’on peut la retrouver ailleurs, en recréant, avec le temps et la patience d’une traversée initiatique, un « fil rouge » du destin germanique. Dans ce dessein, il est très clair que les grands textes littéraires, les grandes œuvres musicales, les actes artistiques ne constituent ni un détail ni un luxe pour bourgeois, mais justement des parts majeures, inaltérables, de l’identité germanique. C’est par elles que dès l’adolescence, je suis entré en passion allemande. C’est donc à travers elles, entre autres, que je veux vous parler d’Allemagne.

     

     

    Cette Série, pour moi, fait partie de mes « Années de Pèlerinage », pour reprendre le si beau titre de Franz Liszt. Pèlerinage, vers quoi ? Je l’ignore totalement. Mais impérieuse nécessité de prendre le Chemin. Je vous invite à le prendre avec moi, dans les deux ans qui viennent. Qu’y trouverons nous ? Nous verrons bien. Laissons-nous surprendre. Et surtout, cheminons.

     

     

    Pascal Décaillet