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Liberté - Page 950

  • SSR-Editeurs : une guerre qui n'est pas la nôtre

     

     Publié dans Le Temps - Mercredi 01.04.15

     

    Pietro Supino, le grand patron de Tamedia, qui prend sa plume (Le Temps du 31 mars) pour nous rappeler que la SSR est trop gourmande et n’a pas le monopole du service public, c’est bien. Mais ça nous rappelle les premiers passages de la Théogonie d’Hésiode, ce merveilleux poète épique des temps homériques : des chocs de Titans et de Géants. Entre eux. Où nul lecteur averti, en l’espèce, n’est dupe du vrai contexte, la guerre entre les grands groupes de presse et la SSR autour des sites d’information. Bref, une histoire de gros sous, entre gros. Pour grossir encore. Jusqu’à l’éclatement ?

     

    Il existe en Suisse trois géants : Tamedia, Ringier, et surtout la SSR. Ils se font la guerre, c’est leur problème. Le nôtre, celui de l’ensemble des citoyens aspirant à s’informer, n’est pas d’assister impuissants, passifs et résignés à ce combat des chefs basés à Berne ou à Zurich. Mais d’exiger de tous les acteurs une nouvelle définition du « service public », ce concept dont la SSR s’autoglorifie, comme si elle en était la seule dépositaire. Alors qu’elle n’est qu’un acteur parmi d’autres. Et surtout, qu’elle produit de moins en moins d’émissions citoyennes, ou de « service public ». Et de plus en plus d’offres n’ayant qu’un lointain rapport avec la promotion de la vie démocratique, de la culture, des arts et des sciences.

     

    Dans son papier du Temps, M. Supino fait référence à des propositions publiées fin octobre par Avenir Suisse (dont le patron ne doit pas lui être totalement inconnu), prônant une complémentarité, dans la reconnaissance de la mission de service public, entre SSR et médias privés. Non seulement je partage le point de vue des patrons de Tamedia et d’Avenir Suisse sur ce thème, mais il se trouve que dans «Edito + Klartext, Le Magazine des Médias », il y a un an, printemps 2014, sous le titre « Financer des émissions, pas des entreprises », je publiais une analyse précédant de plusieurs mois tout ce beau monde. « Et si, au lieu de financer, par l’essentiel de cet impôt déguisé qu’on appelle redevance, une armada de chaînes entières (les innombrables canaux radio ou TV, en quatre langues, de la SSR), on ciblait les aides sur des émissions ? Peu importerait qu’elles émanent de la SSR ou des privés. Pourvu qu’elles soient, par la qualité de leur apport, de nature à aiguiser la citoyenneté, faire connaître les enjeux sociaux et économiques, refléter la puissance des antagonismes, donner la parole aux gens, mettre en valeur les actions culturelles ou sportives de proximité. Cela, aujourd’hui, se fait dans les chaînes privées. Avec un autre enthousiasme, une autre économie de moyens, une autre puissance d’engagement qu’à la SSR ».

     

    L’idée est simple : casser la double équation « SSR = service public », et « TV ou radio privées «  médias commerciaux ». Oh, toute la sainte propagande de M. de Weck, le Saint Patron de la SSR, voudrait nous l’accréditer, ce poncif. Le problème, c’est qu’en 2015, et à vrai dire depuis quelques années déjà, il ne correspond plus à aucune réalité. D’abord, parce que les médias privés (prenez Canal 9, la Télé, Léman Bleu) multiplient les efforts sur l’information de proximité, les débats politiques quotidiens touchant leurs périmètres de diffusion, ils en produisent, au prorata, infiniment plus que la SSR. La politique, les débats électoraux, la valorisation culturelle de proximité, c’est chez eux, et très peu ailleurs, que ça se passe. Mais aussi, parce qu’à l’inverse, la SSR, gavée d’argent, ayant perdu tout sens de la mesure, n’en peut plus de proposer des offres de programmes qui se laissent peut-être voir, mais n’ont strictement aucune relation avec un mandat de service public. Elle a bien sûr le droit de diffuser ce qu’elle veut, mais ces émissions-là, qu’elle les finance par la publicité, pas par la redevance.

     

    Dès lors, l’idée que je lançais dans « Edito Klartext » il y a un an, six mois avant Avenir Suisse et un an avant M. Supino, est de financer, par la redevance (si vraiment il faut qu’il en existe une) non plus des chaînes complètes, non plus des entreprises, mais des ÉMISSIONS. Jugées dignes de l’ambition de « service public ». Et surtout, provenant du privé autant que de la SSR. Et pas seulement des grandes entreprises : le temps est venu, je parle ici comme petit entrepreneur, où des microcellules médiatiques compétentes et dynamiques peuvent, dégagées des lourdeurs de logistique et d’état-major, accomplir des mandats mettant en valeur la vie citoyenne, culturelle, la compréhension économique d’une région donnée. Sur le terrain, en Suisse romande, la bataille est déjà gagnée. Elle doit encore croître en reconnaissance, en luttant contre la propagande SSR, laissant scandaleusement entendre qu’elle détient le monopole du service public. Il y là, pour les mois ou les années qui viennent, une véritable bataille de légitimité à engager. Nous la conduirons avec les seules armes qui permettent de marquer les points : la qualité, jour après jour, infatigablement recommencée, chacun dans son domaine et dans sa région, de notre travail, au service du public.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Duchosal et l'ombre rouge de la fraternité

     

    Sur le vif - Lundi 30.03.15 - 17.29h

     

    C’est peut-être parce qu’il est né l’année du Front populaire, mais régulièrement, avant même les premiers parfums de muguet, ça le tenaille : Jean-François Duchosal, colonel-pèlerin devant l’Eternel, reprend le chemin. Sa toute dernière péripétie (au sens d’Aristote, ou de la rue Saint-Denis, comme on voudra) ne l’a pas conduit, cette année, sur la route de Jérusalem, ni même celle de Carthage, mais sur le contour physique des frontières genevoises.

     

    Il est parti de Versoix, a longé au plus près, comme seul sait le faire un initié des courses d’orientation, l’itinéraire de nos bonnes vieilles bornes. Et il a cheminé, avec la tranquillité naissante d’un printemps encore timide, le long de nos frontières. Avec le Pays de Vaud. Avec celui de Gex. Avec la Haute-Savoie. Il les a photographiées, les bornes de pierre, portant par exemple la date de 1816. Il s’est extasié, comme il en a l’intime secret, sur les bords chantants de l’Allondon, là où rayonnent les primevères. A ce moment, j’aurais voulu être à ses côtés, lui réciter les vers immortels de Friedrich Hölderlin sur le Neckar. Et puis, quelques jours après, il a fini au bord de l’Hermance.

     

    Les voyages du Duchosal me font rêver. Bien qu’ayant 22 ans de moins, je ne suis pas sûr d’avoir la force nécessaire pour les entreprendre. Alors, par procuration, je chemine avec lui. Je l’avais fait vers Arles, « où sont les alyscamps, quand l’ombre est rouge sous les roses… ». Je l’avais fait vers Naples, Tunis, Alger, Cordoue. Et chaque fois que cet ami précieux repartira, à ma manière, je serai avec lui. Car, si le voyage est solitude, il n’en porte pas moins la richesse invisible de la fraternité. Bon vent, Jean-François, pour d’autres rivages.

     

    Pascal Décaillet

     

     *** Jean-François Duchosal sera ce soir, en direct dès 19h, sur le plateau de GAC, pour nous raconter sa péripétie sur le chemin de nos frontières.


  • Pierre Maudet a-t-il compris le message du 8 mars ?

     

    Sur le vif - Samedi 28 mars 2015 - 17.42h

     

    « Je ne vais pas avancer à marche forcée » : l’interview de Pierre Maudet, dans la Tribune de Genève de ce matin, nous laisse sur un double sentiment quant à l’après-8-mars. D’abord, celui d’un ministre intelligent qui a su lire la carte électorale. Mais aussi, à l’inverse, celui d’un homme qui accable trop les autres dans l’interprétation de sa presque défaite, ou si vous préférez de sa minuscule victoire (54 voix). En on se dit que l’essentiel, le rapport de confiance du magistrat élu avec la police, n’est absolument pas réglé. Il faudrait à cet effet, pour peu qu’on y parvienne un jour, de longues années de cicatrisation.

     

    D’abord, l’aspect positif, le ministre qui sait décrypter une carte électorale : « J’ai été surpris de voir les résultats dans les grandes communes suburbaines : c’est un avertissement pour les élections municipales ». Eh bien nous aussi, M. Maudet, nous avons fait ce constat. Nous l’avons écrit ici, 14.32h, le jour même, le dimanche 8 mars, puis trois jours plus tard dans GHI. Vous savez lire une carte, c’est bien. Il vous reste à apprendre cette technique politique de base, impeccablement maîtrisée naguère, sur toutes les circonscriptions de France, par un François Mitterrand qui était passé en 1954-55 à l’Intérieur, à quelques-uns des petits marquis ou laquais de votre cause qui, attirés par le pouvoir comme des éphémères par des phares nocturnes, adhèrent à vos paroles avec la glaise inconditionnelle d’un cadavre d’insecte sur un pare-brise. Parce que dans le genre déni, contrairement à vous et votre lucidité, ils battent les records du monde dans l’ordre de la servitude et de l’aplaventrisme.

     

    Maintenant, l’aspect négatif. Ou inquiétant, pour la suite. Il réside non dans le décryptage de la carte du 8 mars, mais dans l’analyse des causes du très modeste fifty-fifty du résultat. Là, le ministre rejette trop la responsabilité, dans la TG d’aujourd’hui, sur les autres, et ne s’interroge pas assez sur les failles psychologiques dans le rapport qu’il entretient avec la police. Les coupables : les méchants socialistes, qui soutenaient la loi, mais n’ont pas fait campagne. D’autres méchants, qui ont « brouillé le message et désorienté les policiers ». Et jusqu’à la campagne elle-même, qui « ne portait pas sur l’objet ». C’est peut-être vrai, M. Maudet, mais un général ne vient pas, après la bataille se plaindre de l’état du terrain ou des armes choisies par l’adversaire : il mène le combat, c’est tout.

     

    Dans le rapport, complexe et passablement empoisonné, que semble entretenir le ministre avec le corps de police, quelques mots insidieux (« Je ne suis pas rancunier, mais pas amnésique non plus »), lâchés à ma consœur Sophie Roselli, vont presque jusqu’à donner des frissons. Un votant sur deux, à Genève, a dit non à cette loi. Il s’agit certes de l’appliquer, puisque le oui l’emporte de 54 voix, c’est en ordre, la loi passe, mais tout de même, avec une tonalité d’approche où on est en droit d’espérer un effort du ministre. Un effort psychologique sur lui-même. L’interview donnée à la TG ne va pas dans ce sens.

     

    Techniquement, le 8 mars, Pierre Maudet a gagné : la loi passe. Politiquement, il a perdu des plumes. La confiance du corps de police ne lui est toujours pas acquise. Le miracle électoral de la locomotive Maudet ne se produit plus. Il y a quelque chose d’enrayé dans la longue marche de cet homme brillant vers l’éternité du pouvoir. Les opposants du 8 mars, il les retrouvera un jour sur son chemin. Celui de Genève. Ou celui de Berne.

     

    Pascal Décaillet