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Liberté - Page 954

  • Manuel Valls, l'Inquisiteur

     

    Sur le vif - Dimanche 15.03.15 - 15.36h

     

    Matignon, depuis la Cinquième, c’est l’enfer : on n’est plus, contrairement aux deux Républiques d’avant, le lieu du moindre pouvoir, tout s’est déplacé à l’Elysée, on n’est plus là que pour prendre des coups, se meurtrir à la tâche, se lacérer de contrariétés, jouer les paratonnerres, et finalement, épuisé, se faire jeter comme un kleenex. Depuis janvier 1959, depuis Debré, même topo, même destin, même course vers l’abattoir, sous les lambris, les huées. Il ne reste de vous, à la fin, que la queue et les oreilles, pour le public. Au mieux, la musique, sous le soleil encore écrasant d’une fin d’après-midi, l’été. Il est des destins plus rafraîchissants.

     

    A la vérité, une saloperie de job. Tout le monde le sait, et pourtant il se trouve encore, 56 ans après le changement de République, des gens pour s’y coller, accepter le défi, en se disant que leur sort à eux sera peut-être un peu moins infernal. Mais toujours, le piège se referme, toujours en cas de duel, le Président gagne. C’est programmé pour ça, dès le Discours de Bayeux (juin 1946), douze ans avant la mise en application du Nouvel Ordre. La clef de voûte, c’est le chef de l’Etat. Pas question de dyarchie. Donc, le Premier ministre sera au mieux un chef d’état-major travaillant 18 heures par jour, au pire un fusible, bien souvent les deux. Le cosmos ne saurait admettre deux soleils : cent mille, pourquoi pas, mais pas deux.

     

    Tout cela pour dire que Manuel Valls a des circonstances atténuantes. A l’Intérieur, il ne s’en sortait pas si mal, mais depuis Matignon, c’est la catastrophe. En guise de Premier ministre, les Français ont hérité d’un criseux. Un vociférateur. Une boule de nerfs qui perd son sang-froid à la moindre occasion. De lui, on ne voit plus qu’une lave en fusion, ébouillantée par le cours contraire des choses. Une main qui tremble. Les mots de la haine et de la morale. Des postures d’Inquisiteur. La noire prunelle du moraliste. Dire qu’on traverse la France, et qu’on se croirait dans la salle capitulaire d’un couvent espagnol, sous le signe de Saint Dominique.

     

    Car Manuel Valls ne fait plus de politique : il hurle sa morale. Prenez l’incident du Palais Bourbon, face à Marion Maréchal-Le Pen. Indépendamment des sympathies que chacun de nous puisse nourrir pour l’un ou pour l’autre, qu’avons-nous vu ? Une élue du peuple, parfaitement légitime au milieu de 577, lui pose une question. Certes, elle ne lui fait pas de cadeau, le prend à partie. En guise de réponse, le Premier ministre, qui n’est pas chez lui mais chez les députés, vocifère sa hargne. Il n’argumente plus, il crie. Crache son venin. Se drape dans l’ordre du Bien, satanise l’adversaire, lui nie toute autorité à se réclamer de « la République » ou de « la France ». Tout cela, lui qui n’est pas élu mais désigné, face à une personne qu'une majorité démocratique de la 3ème circonscription du Vaucluse a envoyée siéger à Paris.

     

    A la tête du gouvernement français, une boule de haine et de morale. Un indicateur du droit chemin. L’orthodoxie du Bien. Si vous ne pensez pas comme moi, vous n’êtes ni la République, ni la France. Du haut du Matignon, je vous exclus. Par mon geste, vous sortez de la communion nationale. Parce que vous pensez faux. Tel est Manuel Valls, l’homme qui détient les clefs du convenable. Celui qui sépare le possible de l’illicite, les élus des damnés. Pour la plus grande gloire de sa morale, il nous promettrait des châteaux en Espagne. Ou plutôt des monastères. Sous l'incandescente géométrie du soleil, exactement.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Sédentaire et puissante, l'âme des écoles

     

    Sur le vif - Mardi 10.03.15 - 13.05h

     

    J’ai toujours été habité par l’idée que les écoles avaient une âme. Chaque école, son âme. Non des âmes errantes, fantomatiques. Mais justement, sédentaires. Ces lieux, dont parle Barrès au début de son plus grand livre, « où souffle l’esprit ». J’ignore où il se niche, ce souffle invisible, de quelles murailles il se joue, mais sa présence est là, perceptible, puissante.

     

    Alors, hier soir, lorsque deux élèves de Candolle, Ugo et Loris, se sont mis à parler de leur collège, j’ai été pris d’un sentiment très fort. Ils n’ont pas dit : « Nous aimons les murs », ni « Le lieu nous retient », ni « Surtout, ne changeons rien ». Non. Ils ont juste eu quelques mots sur la magie de l’école. Le collège, lieu où on lit ensemble, on parle ensemble, on apprend ensemble. Existe-t-il, entre les humains, beaucoup de liens puis puissants que celui de cette communauté de cheminement ?

     

    Bien sûr, nous rétorquera-t-on avec raison, à leur âge, ils peuvent quand même bouger ! Nous sommes bien d’accord. Mais il y a la présence de cette assemblée des âmes, visible ou invisible. Ces deux élèves, Loris et Ugo, ont fini par dire en mots simples et justes ce que toute la cléricature scientiste de la formation des maîtres ne peut se résoudre à reconnaître : le noyau dur, l’Arche Sainte d’une école, c’est son équipe d’enseignants. Les élèves passent, les profs demeurent. Là encore, retour à Péguy, l’Argent, Cahiers de la Quinzaine, 1913, un an avant sa mort au front : avec fulgurance, il décrit l’intimité, l’éternité de la relation maître-élève.

     

    A partir de là, Mme Emery-Torracinta fera ce qu’elle voudra. Il est vrai qu’elle doit gérer d’en haut, sans argent supplémentaire, des questions de sureffectifs qu’il ne s’agit pas de nier. Au reste, au-delà de cette affaire, ma confiance dans l’esprit de cette conseillère d’Etat demeure intacte : venant de l’enseignement, elle aime profondément ce monde, et tâche de faire au mieux. Seulement voilà : il y a Barrès, « les lieux où souffle l’esprit ». Il y a Péguy, les hussards noirs. Il y a les abysses de nos nostalgies, perdues, enfouies, retrouvées, bouleversantes. L’école, premiers émois vers la connaissance « Unterwegs zur Sprache ». Premiers émois, tout court. Aimer l’école, passionnément, c’est vouloir toujours recommencer la vie. Contre l’inéluctable, jamais très loin.

     

    Pascal Décaillet

     

  • La victoire en déchantant

     

    Sur le vif - Dimanche 08.03.15 - 14.32h

     

    Pierre Maudet voulait un plébiscite, il reçoit un camouflet. Il rêvait d’une large majorité, et voilà qu’un électeur sur deux dit non à sa loi sur la police. 42 voix d’écart, à l’heure où j’écris ces lignes, certains demanderont peut-être qu’on recompte, peu importe : dans un sens ou dans l’autre, l’alliance politique qui soutenait la loi (PLR, PDC, Verts, PS), riche de six conseillers d’Etat sur sept, n’est aujourd’hui suivie que par un électeur sur deux. Difficile, dans ces conditions, au-delà du destin formel de la loi, de voir un autre vainqueur que la constante montée des Marges dans ce canton. Si le vote populaire se ramenait à la frontalité politique du scrutin, avec l’addition MCG + UDC + Ensemble à Gauche, le non aurait dû obtenir un peu plus de 40% des voix. Il en obtient 10% de plus. C’est énorme. Parce que ces suffrages-là, c’est dans le camp pro-gouvernemental que les opposants sont allés les chercher. Et ils les ont trouvés.

     

    La loi, nous l’avons maintes fois écrit ici, brille par sa complexité et manque d’unité de matière. Elle contient trop d’éléments disparates, et ce déficit dans l’ordre même de sa nature est l’une des causes du résultat. Mais l’autre, c’est Pierre Maudet lui-même. C’est lui, le ministre, jouant de sa popularité de locomotive électorale, qui a engagé sa personne. Arithmétiquement, sous réserve de nouveau décompte, il est sauvé des eaux par 42 voix. Politiquement, il perd. La dynamique montante aura été celle du non. Le camp qui aura ajouté 10% de voix à son réservoir naturel, est celui du non. L’alliance pro-gouvernementale, malgré les « bataillons de propagande » de Maudet.com, malgré le soutien de la presse locale, dont les éditorialistes et chroniqueurs de la Pravda bleue, ne recueille que l’adhésion d’un votant sur deux. Et encore, de l’extrême commissure des lèvres.

     

    Désormais, pour Pierre Maudet, rien ne sera plus comme avant. Une victoire à 42 voix d’écart ne se gère pas comme une victoire large. Il faudra que le ministre se mette désormais à l’écoute, notamment à celle des syndicats. Car malgré les torrents de propagande de Maudet.com, parlant ici d’Etat dans l’Etat en évoquant la police, diabolisant ailleurs les opposants en les faisant passer pour des factieux (alors qu’ils n’ont fait que déposer un référendum, voie parfaitement constitutionnelle de notre ordre démocratique), oui malgré tout cela, un votant sur deux a dit non à la loi.

     

    Au-delà de l’objet même de cette votation, nous sommes en ce dimanche face à un canton coupé en deux. Désormais, l’addition des deux Marges, celle de gauche et celle de droite, occupe exactement la même surface, sur la page, que celle du texte. Prochain test, grandeur nature : les municipales des 19 avril et 10 mai, notamment dans les villes suburbaines que sont Lancy, Onex, Carouge, Vernier et Meyrin. Il n’est pas exclu que, dans ces communes-là, les Marges se sentent, dès cet après-midi, pousser des ailes. En attendant, une chose est sûre : ce gouvernement-là, qui en a encore pour trois ans, n’est plus capable de rassembler sur une dynamique majoritaire. Il se laisse déborder par les Marges. Maudet-com commence à patiner. Heureusement, il reste la sérénité céleste du président pour 36 mois d’inaugurations de chrysanthèmes. Excitant, non ?

     

     

    Pascal Décaillet