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La Grèce, l'Allemagne, les commentateurs kleenex

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Sur le vif - Mardi 14.07.15 - 10.12h

 

La vision diachronique : c'est exactement ce qui manque à tant de commentateurs sur la crise autour de la Grèce. La vision diachronique, c'est faire appel, en profondeur, à la connaissance des antécédents historiques d'une situation. Non en tant que tels. Mais comme éléments déterminants d'une chaîne de causes et de conséquences. Cela, depuis Thucydide et sa Guerre du Péloponnèse (431 avant JC), porte un nom : cela s'appelle l'Histoire.

 

Dès la fin de l'année 1990, et pendant toute l'année 1991 et la décennie qui a suivi, ce sont cette vision, cette connaissance, qui ont si cruellement manqué aux donneurs de leçons sur les guerres balkaniques. Prisonniers d'une vision morale, manichéenne, le méchant Serbe contre les gentils Croates, ou les gentils Kosovars, ces moralisateurs en chemise blanche avaient cru bon de faire l'économie de se plonger dans les racines historiques des événements. S'ils l'avaient fait, ils auraient découvert un faisceau de réalités autrement plus complexes que leurs préjugés de Bien et de Mal.



Dans l'actuelle crise autour de la Grèce, ou de l'Ukraine, même cécité. On parle de la Grèce, de l'Allemagne, sans connaître les ressorts historiques de ces deux pays. Il y a pourtant matière ! Sans connaître leur langue, leur littérature, ce qui a forgé leur Weltanschauung, leur représentation du monde. Sans y avoir jamais mis les pieds. Sans lire leur presse, ou si peu, juste les titres. Pire : même l'Histoire de l'Union européenne, depuis la CECA (Charbon et Acier) des années 1950, 51 à aujourd'hui, en passant par le Traité de Rome (1957), la réconciliation franco-allemande (1962), le Traité de Reims, le passage à neuf pays, puis douze, jusqu'aux vingt-huit d'aujourd'hui, le Traité de Maastricht, la Monnaie unique, la naissance de la Zone Euro, toute cette Histoire passionnante, bien des gens (y compris les pro-européens !) la méconnaissent.

 

Ils ne voient que l'instant présent, captifs de la coupe synchronique, arrêtée, figée. Cette vision, ils se refusent à la placer dans la perspective dynamique d'une Histoire en mouvement : ce serait cela, la démarche diachronique. Ils ne voient que la surface. Tétanisés par la toute dernière gesticulation de "l'Euro-Groupe", ou autres mécanismes bruxellois. La vrais ressorts de la puissance d'aujourd'hui, qui sont à chercher dans la résurgence d'ambitions nationales, et non dans l'impuissance impersonnelle de l'UE, ils ne les voient pas. Ne veulent pas les voir. Parce que leur parler encore d'ambitions nationales, ils trouvent cela vieillot, d'un autre âge, dépassé.

 

C'est ce genre d'ignorance, de superficialité, conjuguées à une bonne dose d'obédience aux puissants du moment, qui amenait hier soir un "commentateur économique" de France 2 à trouver normal que la Grèce soit désormais promise à n'être plus qu'une zone de distraction pour touristes du Nord. J'en ai eu la nausée. Accompagnée d'une sourde colère.



Nous sommes à l'heure des commentateurs kleenex. On avance une opinion, on la tente, on la jette, on en en avance une autre. Je ne connais rien d'une situation, je n'ai lu aucun livre sur le sujet, ou juste deux ou trois (alors qu'il faut en lire des centaines), je méprise l'Histoire, la taxant d'inutile vieillerie, je me contente de sautiller, "comme un cabri", sur un réseau social, changeant de vision comme d'humeur, jugeant, étiquetant à l'emporte-pièce, tout cela dépourvu de la moindre profondeur, de la moindre épaisseur, de la moindre consistance. Je donne mon opinion sur tout, instantanément, sur les choses que je connais (ce qui est bien), comme sur celles dont j'ignore tout (ce qui l'est moins). Je sautille, Je papillonne. Je butine. Je bats des ailes, dans le jeu de miroirs de mon réseau social, à l'image d'un éphémère, offrant à la chaque phare qui m'éblouit le cadeau inespéré d'aller m'écraser contre lui.

 

Pascal Décaillet

 

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