Sur le vif - Lundi 13.07.15 - 14.45h
Il y a, bien sûr, un problème grec. Mais il y a avant tout, dans la gestion de cette crise comme dans celle de l'Ukraine, une question allemande. Je crois que c'est celle-là que l'Histoire retiendra.
Non pas le renouveau d'une puissance allemande en Europe (cela, on s'en est bien rendu compte, et depuis des années, pour ma part depuis juin 1991, double reconnaissance de la Slovénie et de la Croatie par MM Kohl et Genscher). Non, ce qui frappe, aujourd'hui en 2015, c'est l'usage insistant, dans la prise de parole allemande sur la Grèce (Mme Merkel, M. Schäuble), de tonalités suzeraines. La Chancelière, son Ministre des Finances, parlent comme s'ils étaient naturellement l'autorité suprême de l'Union européenne. Ils ne le sont pas. Et pourtant, nul ne semble leur contester cette primauté.
Ces inflexions vocales, où le paternalisme le dispute à l'autoritaire, ne rappellent pas le Troisième Reich, soyons sérieux. Ni même l'époque wilhelmine, ni bismarckienne. Mais elles pourraient bien rappeler cette époque qui, de 800 (Charlemagne) à 1806 (Iena), s'est appelée le Saint-Empire. Une portion majeure de l'Europe, non directement allemande, mais construite autour de la suzeraineté protectorale allemande.
Et si la "Zone Euro", depuis le début des années 2000, n'était que la tentative de résurrection, autour des exigences très sévères d'une convergence monétaire, d'une solide et durable influence allemande en Europe ? A cet égard, je mentionnerai, dans un prochain texte, une histoire que m'avait racontée Jean-Pierre Chevènement, après une interview, au sujet de Hans-Dietrich Genscher : le ministre des Affaires étrangères d'Helmut Kohl lui avait dessiné, sur un bout de nappe, au début des années 1990, "l'Europe utile". La Croatie, la Slovénie, en font partie. Pas la Serbie. La France, jusqu'à la Loire (ça vous rappelle quelque chose ?). La Suisse alémanique, pas la Suisse latine. La Tchéquie, pas la Slovaquie. La riche et laborieuse Lombardie, mais aussi la Vénétie, le Trentin, le Haut-Adige. Mais évidemment pas le Mezzogiorno.
Certes, ça n'était rien qu'un bout de nappe. Mais la carte esquissée par Genscher (à l'issue d'une soirée arrosée ?) en dit très long sur la conception allemande de "l'Europe qui fonctionne". Tout le temps que j'ai vécu en Allemagne, cette "Europe utile" revenait dans les conversations. Les Allemagnes, dans toute leur Histoire, n'ont jamais cherché d'influence que continentale, très Mitteleuropa, à vrai dire sur des Marches de prolongation d'un territoire national dont les frontières sont aussi fluctuantes que peu naturelles.
Tous ces sujets, vous le savez, me travaillent. Passionné d'Histoire allemande, je leur ai consacré plusieurs blogs, ces dernières semaines. Avec, à la clef, une question : le vrai problème, dans toute cette affaire, est-il la constante prise de parole de l'Allemagne (on a l'impression de n'entendre au monde que Mme Merkel et M. Schäuble) ? Ou n'est-il pas, plutôt, l'assourdissant silence de la France ? En tout cas, jusqu'à ce matin. Apparemment, le Président de la République française est en train de se réveiller : si c'est bien le cas, c'est une très bonne nouvelle. L'Europe n'a rien à gagner d'une France silencieuse, qui ferait le dos rond, ou raserait les murs.
Demain, 14 Juillet, Fête nationale, 226ème anniversaire de la Prise de la Bastille (acte d'affranchissement majeur, dans l'ordre de la symbolique, face à l'arbitraire de la féodalité), le Président de la République française s'exprimera, dans une interview. Puisse-t-il porter haut et fort la voix de la France, jamais plus grande que lorsqu'elle appelle au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. La voix, par exemple, d'un Charles de Gaulle, dans son Discours de Brazzaville (30 janvier 1944). C'est cela, M. Hollande, que l'Europe attend de vous. Non pour attaquer l'Allemagne. Mais pour porter une autre voix, celle de la souveraineté des peuples. Et puis, vu la date de demain, osons le mot : celle de la fraternité.
Pascal Décaillet