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Liberté - Page 955

  • Christophe Darbellay et la préférence nationale : une étape importante

     

    Sur le vif - Samedi 07.03.15 - 19.23h

     

    Pour un ralliement, c’en est un. Les uns gloseront sur le sens du vent, les autres sur les vertus de la ductilité en chimie, peu importe : la conversion de Christophe Darbellay à la préférence nationale constitue une étape dans la montée en puissance de ce concept en Suisse. Il y a quelques mois encore, personne dans le pays n’osait utiliser ces deux mots, à cause de leur connotation historique en France. Aujourd’hui, dans la Tribune de Genève et 24 Heures, le président de l’un des grands partis historiques de notre pays, d’inspiration chrétienne et sociale, le parti de la résistance à la toute-puissance politique, industrielle et financière des radicaux (1848-1891), franchit le pas. Les esprits superficiels ou moralisateurs ne voudront y voir que le syndrome de la girouette. Je préfère, pour ma part, y décrypter l’adhésion d’un homme qui connaît admirablement la Suisse profonde, celle des périphéries, des délaissés. Au-delà des calculs d’opportunité, c’est une étape de sens, une étape de fond.

     

    Dans l’interview qu’il accorde à mon confrère Arthur Grosjean, le président du PDC suisse décrit comme « calamiteuse » l’installation de cent mille nouveaux étrangers dans notre pays en 2014, alors que précisément, le 9 février de cette année-là, les Suisses ont voté pour une réduction de l’immigration. Un peu plus loin, il attaque le ministre radical de l’économie, Johann Schneider-Ammann, et exige la préférence nationale à l’emploi « pour toute l’Administration fédérale et les entreprises propriété de la Confédération, les CFF, la Poste, Swisscom ». Des propos parfaitement clairs.

     

    La préférence nationale soutenue par le PDC, à sept mois des élections fédérales, voilà qui devrait, à l’échelon local, faire réfléchir le président du parti cantonal genevois, Sébastien Desfayes, qui devra de toute façon, entre les deux tours des municipales, modérer dans l’une ou l’autre commune son intransigeance, en termes d’alliances, par rapport au MCG, le parti de la préférence cantonale. Mais surtout, la déclaration de Christophe Darbellay, alors que la mise en application du 9 février 2014 demeure à trouver, sonne comme un coup de canon contre le PLR. Il n’y a désormais plus que ce dernier parti, plus exactement les ultimes reliquats de sa composante libérale, à rouler pour la continuation d’une immigration disproportionnée à la modeste démographie de notre pays, à sa minuscule taille, encore réduite par le relief montagneux. Les Suisses, ils l’ont montré le 9 février 2014 mais aussi dans l’initiative Weber, ne veulent plus entendre parler du mitage impitoyable d’un territoire, ni de la défiguration rampante d’un paysage auquel ils sont attachés par le cœur autant que par l’instinct. Les Suisses ne veulent pas d’un pays où l’on étoufferait sous le poids de la surpopulation, exigeant toujours plus d’infrastructures de transports et de logements. La croissance, version PLR, en glaciale application du dogme de libre circulation, la majorité des Suisses n’en veulent pas.

     

    Par sa déclaration dans la presse de ce matin, le président du PDC suisse nous rappelle ses premières années chrétiennes sociales, sa souche périphérique, sa proximité avec les petits entrepreneurs, les artisans, les indépendants. Il nous rappelle ce grand texte de 1891 qui, de Rome, appelait à une solution non marxiste à la question ouvrière. En ce jour de centième anniversaire de Jacques Chaban-Delmas, l’homme de la Nouvelle Société et d’un magnifique visage social du gaullisme, les propos de Darbellay, pour ma part, me plaisent. Ils ont un parfum d’humanité, de chaleur, de proximité, d’attention à ceux qui sont là, ont creusé le sillon. Il n’y a strictement nulle honte à porter du respect et une certaine priorité à nos résidents.

     

    Il ne s’agit en aucune manière de fermer les frontières, ni de dévaloriser l’apport, en effet essentiel, de l’Autre. Mais s’occuper un peu de ceux qui sont là, font vivre et prospérer ce pays depuis des décennies, voire des siècles. Pourquoi ces compatriotes, dont les plus défavorisés, hélas, sont les oubliés de cette fameuse croissance magique du PLR et des bilatérales, n’auraient-ils pas droit à notre préférence, notre priorité dans l’ordre du partage, et de la fraternité nationale ?

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Un Collège n'est pas seulement un bâtiment scolaire

     

    Sur le vif - Vendredi 06.03.15 - 18.33h

     

    Je ne doute pas une seconde de l’existence d'une galaxie de bonnes raisons pour lesquelles, au plus haut niveau du DIP, on s’apprête à jouer avec des bâtiments scolaires comme des chaises musicales. Pléthore d’élèves dans l’un, alors on compense par l’autre, on transfère, on équilibre.

     

    Seulement voilà : les lieux où de jeunes humains étudient, où leurs parents, leurs aïeux parfois, ont aussi fait leurs classes, ne sont pas d’anonymes vases communicants. Un collège, ce superbe mot qui indique qu’on lit ensemble, parle ensemble, étudie ensemble, n’est pas seulement un « bâtiment scolaire ». Pas plus qu’une bouteille ne se ramène au flacon de verre qui entoure le nectar. Un collège, c’est un haut lieu. Un lieu d’élévation, d’échanges, de découvertes. Un lieu de lumière et d’ouverture. Un lieu du déchiffrement : celui d’une langue, par l’ascèse de la grammaire et celle de la lecture, est un prodigieux chemin de liberté, c’est ainsi que je l’ai vécu en tout cas, pour les deux langues anciennes et surtout l’allemand.

     

    Alors voilà, le Collège de Candolle, ça n’est pas n’importe quoi. Ni le Cycle de la Seymaz. Ni aucun des autres. N’y voir que des murs pour enseignements, profs et élèves interchangeables, qui gicleraient de l’un à l’autre comme des balles de ping-pong, présente un grand risque : celui de s’attaquer, en technocrates, à cette inaltérable part d’affectif, d’attachement, de nostalgie, et aussi de fierté qui nous lient à un leu précis, celui de nos premiers émois dans l’ordre du savoir, voire de nos premiers émois, tout court. Je ne suis pas sûr qu’une autorité scolaire puisse impunément se livrer à ce grand souk, sans heurter, blesser, une quantité non négligeable des principaux acteurs de l’enseignement : les profs, les élèves, le personnel administratif et technique, les parents.

     

    Et puis, pourquoi un collège n’aurait-il pas le droit de durer ? Le Collège Calvin est toujours là, près de cinq siècles après sa fondation, fidèle à sa fonction première. Parce qu’on a jugé, au fil des siècles, que la transmission de cet immuable devait peut-être primer sur l’obédience à l’esprit du temps, quelles que fussent les nécessités. Pendant des générations, on a voulu que perdure une institution centrale dans la Cité, et jusqu’aux aspects patrimoniaux de l’édifice. On a maintenu les murs, en les entretenant. On a sauvegardé et pérennisé l’institution, en confirmant sans faillir sa finalité première. Pourquoi d’autres Collèges, nés beaucoup plus tard, mais déjà enrichis d’une belle Histoire, n’auraient-ils pas droit aux mêmes attentions, plutôt que d’être traités en kleenex de notre parc patrimonial ?

     

    Le mot « collège », l’un des plus beaux qui soient. Il nous ramène à l’émotion partagée d’une communauté de découverte. Les émois de la connaissance. Les émois, tout court. Ne jouons pas trop avec cela.

     

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • L'USAM, fierté de la vie sociale en Suisse

     

    Publié dans le Temps - Jeudi 05.03.15



    Je m’exprime ici, avant tout, comme petit entrepreneur. Il y a neuf ans, j’ai fondé une société, investi du capital (le mien !) dans des locaux, puis dans du matériel audiovisuel. J’ai engagé des collaborateurs, je sais ce que signifie le risque économique, et même parfois la trouille, parce que certaines entreprises ne tiennent qu’à un fil. Cette angoisse, mais aussi cette passion viscérale de l’indépendance, tout entrepreneur, quelle que soit la taille de sa société, la connaît. Dans le bide. Cette expérience de petit patron ne fait certes pas de moi un grand clerc dans l’analyse des phénomènes économiques, mais disons qu’elle me donne un soupçon de légitimité lorsque je m’exprime sur le phénomène de l’aventure entrepreneuriale. Parce que le monde des PME me passionne. Mais hélas, trop souvent, ceux qui s’expriment en leur nom sont dénués de toute expérience vécue pour en parler.


     
    Ainsi, j’ai découvert, dans le Temps, du mardi 3 mars 2015, que l’USAM (Union suisse des arts et métiers), l’un des fleurons historiques de nos associations faîtières de petits patrons en Suisse, « partait à la dérive ». Sous la plume du conseiller national Fathi Derder, un ex-compagnon d’armes auquel me lient de beaux souvenirs de complicité audiovisuelle, beaucoup de rires aussi, bref de bons moments, on peut déguster une véritable exécution sommaire, d’une balle dans la nuque facturée à la famille, d’une organisation patronale que j’ai toujours, depuis des décennies, infiniment respectée pour sa proximité avec ses membres, son sens du dialogue, son rôle éminent dans la vie sociale et politique de la Suisse. Et puis, comment oublier la grande figure parlementaire que fut, récemment encore, le radical Pierre Triponez (1999-2011), ce remarquable connaisseur de la vie politique et sociale de la Suisse, directeur de l’USAM, mais aussi l’homme qui joua un rôle central dans la genèse de l’assurance-maternité. C’était le temps où le grand parti qui a fait la Suisse était encore capable de produire des hommes-charnières, avec vision d’Etat. Aujourd’hui, dans le parti qui se réclame du grand héritage radical, on cherche de tels hommes sans nécessairement les trouver.


     
    Donc, l’USAM « partirait à la dérive ». Pourquoi ? A lire la charge de l’auteur, parce qu’elle a l’incroyable culot de ne pas être d’accord avec d’autres organisations patronales, concurrentes, à commencer par economiesuisse. Diable ! Il faudrait donc que le petit patronat suisse, séculairement tissé par le monde des artisans et des PME, s’aligne sur l’ultralibéralisme des grands et des puissants. Sur leur arrogance, aussi : Mme Gaggini, directrice romande, interrogée dimanche 22 février sur la Première, n’avait rien trouvé à répondre lorsque son interlocutrice lui avait légitimement fait valoir que les patrons, c’étaient aussi et avant tout ceux qui prenaient sur eux la totalité du risque économique, au point de tout perdre. Elle s’était juste contentée de rappeler que la cotisation annuelle, pour une entreprise individuelle, était de 25'000 francs. On avait compris : economiesuisse ne roule que pour les gros. Les petits ne l’intéressent guère. Dans ces conditions, c’est une chance que puisse exister, en Suisse, une organisation comme l’USAM, tellement plus proche de la population.
     


    L’USAM « partirait à la dérive ». Autre argument avancé par Fathi Derder : « Parce qu’elle s’est politisée, devenant un bras armé de l’UDC ». Là, on aurait espéré, chez l’éminent auteur de l’article, lui-même élu PLR, un peu plus de mémoire ou de culture historique sur les liens indéfectibles qui furent, si longtemps, ceux de cette organisation avec le parti radical. Le problème n’est donc pas qu’elle s’est politisée, mais que ce glissement s’est opéré vers un champ politique que combat l’auteur. En clair, toute sa démonstration tend à rêver d’une USAM qui, docile à l’ordre du cosmos dont il rêve et qu’il tient pour intangible, reviendrait dans le giron du convenable. Donc, au PLR. On peut le comprendre. On n’en acceptera pas, pour autant, la violence injustifiée de l’attaque contre MM Rime et Bigler, en effet plus en phase, sur la question des contingents, avec le « pays réel » du 9 février 2014, que les puissants esprits d’economiesuisse, avec les millions de leur campagne finalement perdue.
     


    L’USAM « partirait à la dérive », parce qu’elle a l’impudence de s’attaquer à la SSR. A l’approche d’un vote populaire sur un financement du « Mammouth » grevant davantage le budget des PME, il est pourtant parfaitement légitime que le petit patronat suisse donne de la voix, dans un débat public et démocratique où chacun peut s’exprimer. En conclusion, l’auteur de l’article défend bec et ongles le grand patronat contre les petites entreprises. Il s’offusque d’un glissement de position, pour la simple raison que ce dernier échappe à son parti. Pour mieux écraser l’USAM, il déifie une economiesuisse qui est pourtant, elle, par son arrogance et sa déconnexion du pays, le « vrai problème » de notre univers patronal, en Suisse romande.
     
     
    Pascal Décaillet