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Liberté - Page 1564

  • Franz Weber, d'écorce arrachée



    Édito Lausanne FM – Mercredi 30.01.08 – 0803h



    Il arrive et parle, existe en plaidant, mais plaide-t-il vraiment ? Submergé de flots d’émotion, qu’il ne contient que partiellement. Franz Weber, 80 ans, et maintenant en combat contre les nuisances des F-18, c’est une vague, une marée, un maelström par lui-même débordé. S’arrêtera-t-il un jour ? – Jamais.

    Franz Weber a sauvé le site de Delphes, et, à ce seul titre, siège chez les immortels. La nature, les animaux : des vignes de Lavaux aux Baux-de-Provence, des chevaux sauvages d’Australie aux éléphants du Togo.

    Il nous a dit, hier soir, qu’il avait perdu sa mère à l’âge de 9 ans, qu’il avait dû fréquenter un home d’enfants, que la nature, dès ce moment, avait tenté de le consoler. « La nature est notre mère. Je ne veux pas perdre ma mère une seconde fois ».

    Franz Weber n’est pas un homme politique, c’est un romantique allemand. Après l’avoir quitté, hier soir, je suis allé ouvrir quelques poèmes, et j’ai pensé à lui : Novalis, mais surtout Hölderlin, qui, sans être littéralement romantique, a sublimé l’idée de nature, comme expression d’une intuition intérieure, d’un sentiment profond, archaïque. Oui, j’ai relu ce « Wie wenn am Feiertage », qu’un Jean Ziegler – eh oui – est capable de vous réciter par cœur. Weber, Ziegler : c’est peu dire qu’un lien puissant réunit ces deux fibres humaines. Ces deux-là, oui, sont d’écorce arrachée avant que d’être.

    Chez Weber, la foule des sentiments, la chaleur de cette résurgence, ces images entremêlées qui se pressent dans le verbe, cette ébullition un peu brouillonne, tout cela – qui chez d’autres serait signe de faiblesse – c’est sa force, sa nature.

    Franz Weber, un homme sur la Terre. Un homme jeté là, comme nous tous, un beau jour, trouvant reconnaissance dans le jeu de signes et de miroirs qu’il appelle « nature ». Il parle de l’innocence des animaux, mais il parle aussi de l’innocence des hommes. Il parle aussi du mal, lorsque atteinte est portée à cet espace sacré.

    Franz Weber n’est pas un politique, mais sans doute un religieux, au sens très large. Au sens où pouvaient l’entendre les Grecs, ou certains Indiens d’Amérique. La nature comme legs, comme ostensoir. Qu’il ait, parmi mille combat, choisi Delphes, ne trompe pas. Franz Weber ne protège pas seulement la nature, il cherche, en elle, le sens de la vie. A 80 ans, il est un homme qui se bat, il est un homme debout. Un exemple.

  • La puissance discrète de l'USAM



    Édito Lausanne FM – Mardi 29.01.08 – 07.50h



    USAM : Union suisse des arts et métiers. L’une des organisations professionnelles les plus importantes du pays, depuis des décennies. Il suffit d’avoir vécu quelques années à Berne, ou de fréquenter de temps à autre la Salle des Pas perdus du Palais fédéral, pour mesurer le poids de cette association, qui regroupe plus de 200 corps de métiers. Lobby, ourdisseur de lois en coulisses, sachant affûter le référendum pour se faire entendre, l’USAM est incontournable. Il suffit de penser à Pierre Triponez, l’un de ses dirigeants, qui aura marqué la Coupole fédérale de son pragmatisme et de son intelligence politique.

    Aujourd’hui, l’USAM est attaquée par l’UDC. On apprenait hier, dans le service de presse du parti, sous la plume du conseiller national argovien Lieni Füglistaller, une véritable OPA du parti de Christoph Blocher sur l’USAM, aujourd’hui en mains nettement radicales. « Ou l’USAM se dote d’une nouvelle direction et adopte une nouvelle culture, ou elle sera confrontée à une organisation concurrente et réellement combative ». Plus dur encore, Füglistaller parle d’organisation devenue gentillette et tombant dans l’insignifiance.

    L’UDC, par exemple, reproche à l’USAM sa position en matière d’assurance maternité. C’est son directeur Pierre Triponez, longtemps conseiller national radical du canton de Berne, qui est le père de ce projet, voté par le peuple. Un projet qui était, par l’intelligence de la négociation entre parties adverses, un modèle de réussite politique en Suisse. Brandir cet exemple comme objectif d’attaque, c’est, résolument, vouloir durcir une organisation dont tout le charme discret passe par le pragmatisme. C’est instaurer une forme de lutte des classes dans un monde plus attentif à la feuille comptable mensuelle qu’aux grandes idéologies. C’est un jeu dangereux, qui pourrait casser quelque chose d’essentiel en Suisse.

  • L'ignoble patron au gilet rayé


    Un gros patron, bien dodu, souriant d’aise, énorme cigare au bec, gilet rayé, boutons de manchettes, assis sur le dos d’un pauvre maçon, qu’il éreinte de sa pesanteur et de son arrogance. Et du bout de son cigare, le nabab à costard allume et enflamme la convention collective de travail du secteur de la construction.

     

    C’est une affiche, pleine page, fond rouge, en page 6 du Temps de ce matin. Elle est titrée « Pyromanes », et émane du syndicat Unia. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle percute, ce qui est bien son but d’ailleurs. Comme affiche, elle est efficace.

     

    J’ai défendu, dans ces colonnes, vendredi, l’absolue nécessité d’une convention dans le domaine des chantiers. J’ai rappelé à quel point ce métier était dur, et méritait d’être protégé. J’ajoute que la récente prise de position de la Société suisse des entrepreneurs, à Zurich, de refuser l’accord du 19 décembre, ne m’apparaît pas comme la plus éclairée de l’histoire de cette association patronale.

     

    Mais voilà une affiche qui n’arrangera rien. Il fut un temps, dans certaine ville d’eau qui tenait lieu de dérisoire capitale de la France, où l’on dessinait aussi des hommes à gros cigares, dans les caricatures des journaux. Le profiteur, le ploutocrate. Dans un contexte certes différent, j’en conviens. Ils avaient juste un nez crochu, ce dont cette affiche a eu l’extrême délicatesse de nous épargner.

     

    Et Unia s’imagine se rasseoir, bientôt, à une table de négociations avec un patronat qu’elle aura ainsi stigmatisé ? Et Unia nous dira un jour ce que lui a coûté cette pleine page du Temps ? Et les syndicats suisses dévoileront un jour, en toute transparence, leurs fonds de campagne ? Toutes questions qu’il est sans doute tabou d’oser articuler, ne serait-ce que du bout des lèvres. Parce que, c’est bien connu, les patrons sont tous des profiteurs, et les syndicalistes sont tous des saints.