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Liberté - Page 1564

  • Mai 68, non merci ! (3/5)



    Édito Lausanne FM – Mercredi 02.04.08 – 07.50h



    Ils ont pris les manuels, les ont lacérés. Trop figés, trop fermés, poussiéreux. Trop Jules Ferry, Troisième République. Ils ont pris les affluents des fleuves, aux noms magiques, le Loiret, le Gardon, et ont décrété qu’il était désormais inutile de les connaître : à quoi bon ce fatras ? Trop Péguy, trop terroir, trop Barrès. Aux orties, la liste des rois de France, des présidents, les grandes batailles, les grands traités, ce qui façonne l’identité nationale. Ils ont voulu une Histoire sans dates (c’est tellement vulgaire, les dates), une géographie sans capitales, des langues sans grammaire.

    C’est tellement fastidieux, la grammaire. Si vulgairement pointilliste de commencer par le particulier pour aller vers le général, ce qui s’appelle, depuis la nuit des temps, construire un savoir. Alors, ils sont venus, comme des commis-voyageurs de médications miraculeuses, nous abreuver de méthodes « globales ». On a vu le résultat.

    Ils ont voulu une Histoire sans grands hommes. Et surtout sans récits. Seulement des structures, des grands mouvements économiques. Bien lents, bien ennuyeux. Surtout ne jamais mettre en avant l’individu, cet ignoble résidu de la culture bourgeoise. Ils en avaient un sous la main, en Mai 68, de grand homme, l’une des figures les plus marquantes de l’Histoire de France, un visionnaire, un solitaire, un libérateur, mille fois plus révolutionnaire que leurs petites éruptions cutanées d’affranchissement individuel. Ils ne l’ont, tout simplement, pas vu. La plupart d’entre eux, les Glucksmann, les Debray, ont admis, avec le recul, ce que cette non-reconnaissance avait eu de ridicule. Mais c’était trop tard.

    Libertaires à l’extrême, ils ne pensaient qu’affranchissement individuel. D’ailleurs, beaucoup d’entre eux sont devenus des libéraux, voire des ultras : la République, au fond, avec ce qu’elle implique de contrat social, n’était guère leur problème. Ils ne pensaient pas politique, organisation d’une société, cimentation, intérêt collectif, devoirs de chacun envers la communauté, institutions. Ils pensaient, avant tout, à eux-mêmes.

    À écouter leurs récits, on a l’impression que la société française des années soixante était une dictature, avec à sa tête un Franco ou un Pinochet ! C’est ce qu’ils racontent – certains d’entre eux – aujourd’hui encore, à la Radio. Ainsi, sur France Inter, ce vendredi 21 mars 2008, lors de la remarquable journée spéciale sur ce thème, dont j’ai eu l’occasion, sur les routes de France, d’écouter toute la tranche 14h – 20h. À entendre certains énergumènes, on pourrait croire que la fin des années soixante, c’était l’Occupation, qu’ils étaient des résistants, que de Gaulle avait gagné ses étoiles de maréchal. On peut en sourire. Moi, une telle déformation de la vérité historique me donne, tout simplement, la nausée.

  • Mai 68, non merci! (2/5)



    Édito Lausanne FM – Mardi 01.04.08 – 07.50h



    Ils voulaient jouir sans entraves, c’était écrit sur leurs murs. Enfin, sur les murs des autres. Il y a ceux qui jouissent sans entraves, ceux qui ont besoin d’entraves, de fer ou de cuir noir, pour jouir, ceux qui ne jouissent jamais, ceux qu’une étincelle enflamme, ceux qui pourraient passer devant Rome en feu, tout juste en sifflotant. Animal politique, l’homme est aussi une bête polymorphe.

    C’était une aventure personnelle, au fond, des dizaines de milliers de rêves individuels. C’était une grande illusion libertaire, je respecte cela, je puis à peu près le saisir. Mais ils prétendaient parler de politique. Ils prétendaient parler de Révolution. Un si beau mot, bouillant comme un astre en fusion. Ils n’avaient que ce mot-là, partout.

    Politiquement, ils n’ont rien révolutionné du tout. Sur le moment, en France (oui, je sais, le mouvement était plus large, mais je parle ici de la France), ils ont même réveillé le pays de la peur, d’où les élections de juin, et le bleu horizon de la Chambre la plus réactionnaire depuis 1919. De leurs rêves, politiquement, rien n’est resté. Rien, si ce n’est leur désir de jouissance, joué et rejoué dans les années 1970. Oh, pour parler de sexe, ils étaient si forts.

    Ils étaient des révoltés, pas des révolutionnaires. Ils étaient, pour beaucoup, une jeunesse nantie, dans une France prospère, et leur mouvement n’a strictement rien à voir avec celui des ouvriers. Dès que ces derniers ont eu, grâce au jeune Chirac et à Georges Séguy, les accords de Grenelle, et cette poussée du SMIC comme une fusée, ils sont bien vite rentrés travailler. Le parti communiste, plus encore que le parti gaulliste, détestait 68. La plupart des dirigeants de l’époque, à commencer par François Mitterrand, sont passés complètement à côté du mouvement, et je ne suis pas sûr que l’épisode de Charléty, opportuniste plus que sémantique, ait vraiment grandi cet homme admirable qu’était Pierre Mendès France.

    Ils voulaient jouir sans entraves, interdire d’interdire, du passé faire table rase. Soit. Mais qu’ont-ils obtenu, vraiment ? Ils voulaient renverser le pouvoir, n’ont fait que le conforter, et dans sa frange la plus dure, la plus bourgeoisement pompidolienne, la jouissance, suintante et sudoripare, par le bas de laine. Au génie visionnaire de Charles de Gaulle, succédait, pour des années, la tranquillité des gestionnaires. La victoire de Guizot sur Bonaparte.

    Socialement, je ne dis pas. Familialement, je ne dis pas. Vestimentairement, je ne dis pas. Sexuellement, je veux bien. Mais politiquement – c’était tout de même le champ avoué de leurs attentes – Mai 68 est un échec.

    Demain, je vous parlerai enseignement. Ou je vous raconterai la traversée de la Bérézina. Ce qui revient à peu près au même.

  • Mai 68, non merci ! (1/5)




    Édito Lausanne FM – Lundi 31.03.08 – 07.50h



    Tous les dix ans, dès les premiers jours du printemps, ça recommence. Ça doit être comme les hannetons, ou les hirondelles, ou de noirs migrateurs, aux ailes déployées. Tous les dix ans, les années en « 8 », on nous reparle de Mai 68.

    Je les aimais pourtant, les années en « 8 » : 1848, l’idée républicaine qui triomphe en Europe ; 1958 : le retour aux affaires, en France, d’un homme d’exception. Mais 68, je l’ai souvent dit et écrit, j’ai toujours eu un problème. Déjà sur le moment : j’avais dix ans.

    Dix ans, c’était trop jeune pour être dans le mouvement : tout mon rejet, dès lors, proviendrait-il de la jalousie de n’avoir pas vécu cet élan libertaire qui emporta mes aînés ? Admettons. Mais c’est un peu court.

    Il y a déjà, c’est physique, le rejet des mouvements de foule. Jamais, de ma vie, je n’ai participé à une manifestation, même quand j’étais pleinement d’accord avec la cause défendue, comme le non à la guerre en Irak, en 2003. Je n’aime pas la rue, c’est ainsi. La démocratie, ça n’est pas la foule qui hurle, c’est un peuple qui vote, dans les règles, à l’issue d’une campagne où tout le monde a pu s’exprimer. Démos contre plèthos, j’avais déjà exposé cette nuance dans une chronique antérieure.

    Et puis, cette jeunesse de 68, contre qui luttait-elle, politiquement, qui voulait-elle clairement déboulonner ? Un dictateur, un Hitler, un Ceausescu ? Non. Elle s’en est prise à un homme qui avait, un quart de siècle plus tôt, sauvé son pays, lui avait rendu l’honneur, donné le droit de vote aux femmes, puis, plus tard, d’extraordinaires institutions à son pays (après un demi-siècle, elles sont encore là). Un homme, aussi, qui avait donné l’indépendance à l’Algérie, et à d’innombrables pays d’Afrique noire. Un homme qui était, en cette fin des années soixante, mondialement admiré et reconnu. Partout dans le monde, sauf dans une frange libertaire de la jeunesse estudiantine française.

    Avoir décrit, dans leurs huées de rues comme dans des discours plus élaborés, cet homme-là comme un dictateur, fait partie des choses que je ne pardonnerai jamais à mes aînés de 68. Mais il y en a beaucoup d’autres. Notamment en matière de rapport à la culture et à la transmission. J’y reviendrai dans mes chroniques de cette semaine.