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Liberté - Page 1565

  • Jeanne et Jacqueline

     


    Édito Lausanne FM – Lundi 28.01.08 – 07.50h


    Jeanne et Jacqueline se connaissent-elles ? Jeanne a-t-elle lu les livres de Jacqueline sur la Grèce, sur Thucydide ? Jacqueline – oui sans doute – a-t-elle vu les films de Jeanne, avec les plus grands auteurs, Bunuel, Losey, Truffaut ? Jeanne et Jacqueline, comme Jules et Jim.

    Ce dimanche télévisuel aura été celui d’un double bonheur. Une émission « Empreintes », France 5, le matin, sur la plus grande helléniste française, Jacqueline de Romilly, 94 ans, presque aveugle, nous parlant de sa vie, du sens des textes grecs, des chemins de mémoire, dans sa magnifique maison de campagne, au milieu des livres. Ou dans sa cuisine, sur une table à carreaux.

    Et puis, le soir, sur Arte, Jeanne Moreau, qui vient de fêter ses 80 ans. Plan fixe sur l’artiste, juste entrecoupé d’extraits. Et, pendant de longues minutes, la grâce de ce visage, ce regard, cette intelligence. Elle nous parle de son métier comme d’un artisanat, n’a qu’une idée en tête : continuer, et surtout faire des progrès. Oui, des progrès. Elle raconte sa vie avec malice, drôlerie, capte la lumière comme personne, évoque sa liberté totale, sur l’espace sacré du plateau, à partir des fameux mots : « Silence, on tourne ! ». Ce moment d’existence, et parfois de folie, où l’acteur, dans sa solitude, se révèle.

    Et, quelques heures avant elle, Jacqueline. Pressée, à 94 ans, d’écrire. Ecrire encore. Elle sent poindre le terme, et redouble sa cadence. Quand elle ne peut plus écrire, elle dicte à une dame, déjà elle-même assez âgée. Elle veut définir, préciser, donner du sens. Elle nous parle d’Euripide et de la Grèce, de Delphes dont, sans doute, elle ne verra plus la lumière. Sur la civilisation grecque, elle n’impose rien de définitif : elle tente juste de poser quelques énigmes.

    Et le soir, l’énigmatique Jeanne pour nous accompagner dans la fin du week-end. Et la grâce de ces deux merveilleuses dames pour nous relancer dans les travaux et les jours d’une semaine nouvelle.

  • Construction: Doris Leuthard doit sortir du bois



    Édito Lausanne FM. Vendredi 25.01.08 – 07.50h



    91 voix contre 14 : c’est à cette majorité écrasante qu’hier, à Zurich, les délégués de la Société suisse des entrepreneurs ont rejeté le compromis qui, après d’âpres négociations, avait abouti le 19 décembre dernier. Les syndicats parlent de refus irresponsable. Le négociateur Jean-Luc Nordmann, l’ancien directeur de la division du travail au Secrétariat d’Etat à l’Economie, se dit « déçu », et annonce déjà qu’il ne rempilera pas. Déception partagée par Doris Leuthard, en fin d’après-midi, à Davos.

    91 contre 14 : ce qui frappe avant tout, ce qui doit nous interroger, ce qui doit être mis dans un contexte plus général que la simple relation contractuelle, c’est l’ampleur de cette majorité. Car il y a une explication : à tant parler de la Suisse de l’après-12-décembre, on aurait comme une certaine tendance à oublier que nous sommes, avant tout, dans une Suisse de l’après-21-octobre. Une Suisse qui, comme jamais, a voté pour des partis de droite : près de 60% des suffrages en additionnant l’UDC, les radicaux et le PDC, et on atteint les 65% avec les « divers droite ». Cela, tandis que le parti socialiste a franchi à la baisse la barre des 20%.

    Une Suisse plus patronale, aussi : une enquête de l’Hebdo, publiée hier, montre l’ascension des petits et moyens patrons dans la nouvelle composition du parlement. Une Suisse où les appels à la grève, avant même négociation, de certains syndicats ultra, n’attirent guère la sympathie du public. Tout cela, toute cette ambiance, les délégués de la SSE, hier à Zurich, ont bien dû le sentir, l’avoir à l’esprit. Leur vote, évidemment, résonne comme un signal de portée nationale.

    Reste l’essentiel: la vie des ouvriers, des maçons, sur les chantiers. Et là, ce matin, il faut être clair : il est inimaginable que puisse perdurer, dans une Suisse écartée depuis 71 ans de la rigueur des conflits du travail, sauf exception style Swissmetall, un vide conventionnel dans un secteur aussi sensible que celui de la construction. C’est l’un des métiers les plus difficile, les plus rudes. La nécessité de protection sociale est évidente. Dans les deux camps, on doit faire des efforts. Côté patronal, on doit arriver à une Convention. C’est une question de dignité du travail. Côté syndical, on doit accepter le principe de flexibilité, qui est d’ailleurs déjà, de facto, la règle sur la plupart des chantiers. Et la Suisse doit montrer aux pays qui l’entourent qu’elle sait maîtriser le vivre ensemble, avec respect mutuel, dans ce secteur capital de l’économie.

    Ces mots-là, on aimerait les entendre un peu plus chez Doris Leuthard : sans se substituer aux partenaires sociaux, l’Etat ne peut éternellement se contenter de voir passer les trains. La médiation politique est, étymologiquement, une forme d’intelligence. François Longchamp, dans ce secteur-clef de la construction, l’a montré – et le montrera encore – à Genève. On aimerait, au plan fédéral, une ministre de l’Economie plus entreprenante, en la matière.

  • Pierre Béguin, l'aîné et l'exemple



    Édito Lausanne FM – Jeudi 24.01.08 – 07.50h



    Mes premières années comme journaliste, je les ai passées au Journal de Genève. Sur lequel planait une ombre immense : celle de Pierre Béguin. Quelques-uns, parmi nos aînés, nous parlaient de cet homme qu’ils avaient côtoyé à la Gazette de Lausanne. « Du temps de Béguin, ceci, cela, etc. ». Bref, Béguin était un mythe, et, pour ma part, je le confondais avec Albert, son frère, le grand germaniste, celui qui avait incarné l’aventure des « Cahiers du Rhône », pendant la guerre. Celui, aussi, qui avait repris la revue Esprit après la mort de Mounier.

    Hier enfin, aux Editions Gilles Attinger, justice a été rendue au semi-oubli de Pierre Béguin dans les consciences de Suisse romande. Et ce livre est tout simplement superbe. Vivre le parcours d’un journaliste d’exception. Un grand penseur de la droite libérale humaniste, plus proche de Tocqueville ou de Raymond Aron que de la spéculation frénétique sur le cours du Nasdaq ou les byzantines complexités des produits structurés, ou dérivés.

    De 1903 à 1978, la vie d’un honnête homme. Qui dirigera, dans les vingt années qui suivent la guerre, la prestigieuse, la regrettée Gazette de Lausanne. Un petit journal d’exception, d’exigence et de densité intellectuelle. La conscience politique et culturelle du libéralisme vaudois, et, Dieu merci, bien au-delà.

    L’un des grands mérites de Béguin, c’est d’avoir attiré autour de lui une pépinière de jeunes talents : Charles-Henri Favrod, François Gross, Gaston Nicole, Christian Sulser, pour n’en citer que quelques-uns. Et il faut lire, dans ce livre, les éditos politiques de Béguin, à travers les décennies : ils n’ont, devant l’Histoire, pas pris une seule ride. L’école de la lucidité, de la résistance aussi, parfois, aux modes du moment.

    Enfin, avec ce livre, un magnifique CD, coédité par la RSR et la TSR, où on peut découvrir Pierre Béguin s’entretenant avec Jacques Matthey-Doret, Claude Torracinta, Guy Ackermann ou Jean Dumur.

    À lire absolument, à voir, à écouter, à déguster, pour tous ceux que passionne l’Histoire de la presse en Suisse romande. Il fallait que cet ouvrage, tant attendu, enfin nous parvînt. C’est maintenant chose faite.

    * « Pierre Béguin, journaliste et témoin de son temps », Editions Gilles Attinger, Hauterive, janvier 2008.