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Liberté - Page 1569

  • Le zeste sucré de l'archaïsme



    Édito Lausanne FM – Jeudi 10.01.08 – 07.50h



    Moderne et décomplexé. C’est l’image que veut donner de lui Nicolas Sarkozy. Il arpente, en jeans, les sites touristiques d’Egypte, avec à son bras l’une des plus belles femmes de France. Il appelle les gens par leur prénom. Il s’exprime sur sa vie privée, la montre, la met en scène. Il voudrait au fond, comme l’Orléans Louis-Philippe, être davantage roi des Français que roi de France, le « roi bourgeois », comme on avait appelé ce monarque, entre 1830 et 1848.

    La question est : « Les Français veulent-ils d’un Président un jeans ? ». Je n’en suis pas sûr du tout. L’image du chef de l’Etat, chez nos voisins, vient du fond des âges. Quarante rois, puis la République. Puis, avec de Gaulle, la République qui rétablit la monarchie. Puis, avec François Mitterrand, qui avait pourtant tant combattu ce style, dans son pamphlet « Le Coup d’Etat permanent », en 1964, la quintessence, dès 1981, du style royal à l’Elysée : figure marmoréenne, immobilité de sphinx, étanchéité des réseaux de relation, puissance de la Maison personnelle, bref le Roi.

    Mais pas n’importe quel roi. Les Français aiment les souverains, mais pas les signes extérieurs de richesse. Ce qu’ils ont tant aimé, en de Gaulle, c’était son côté monastique : le moine-soldat, la rigueur personnelle, l’homme qui ne s’est pas enrichi d’un seul centime pendant son règne. L’homme qui pouvait être orgueuilleux, comme Louvois dans le Grand Siècle, parce qu’en contrepartie de cet orgueil, il assumait la fonction sacrificielle de tout donner, toute sa personne, à son pays. Auquel il vouait une passion intransigeante, mystique, d’un autre âge.

    L’homme qui, le premier, a voulu changer cela, c’est Giscard. Mal lui en a pris. Il était jeune, brillant, il est d’ailleurs loin d’avoir eu un mauvais septennat, mais il a totalement raté son image présidentielle. Il a voulu se mêler au peuple, au bon peuple, il a voulu « décomplexer » la fonction. C’était peut-être louable. Mais ça n’était pas, dans un pays chargé d’une Histoire aussi incomparable, ce que les Français voulaient. Mitterrand, avec génie, a corrigé cette dérive.

    Nicolas Sarkozy est un homme intelligent. Il devrait comprendre que l’image du play-boy est aux antipodes d’une certaine conception profonde, nourrie de tant de références, du service suprême de l’Etat, en France. Il serait tout de même dommage que cet homme compétent, dynamique, inventif de nécessaires réformes, finisse par se griller sur une simple, une élémentaire question d’image.

    Il rêve, comme un enfant, la modernité. Mais sous-estime les vertus – paradoxales, délicieuses et sucrées comme un zeste – de l’archaïsme.



     

  • L'Amérique et nous



    Édito Lausanne FM – Mercredi 09.01.08 – 07.50h



    Il est, bien sûr, totalement impossible de savoir qui, le 4 novembre prochain, sera élu président des Etats-Unis d’Amérique. Barack Obama ? Hillary Clinton ? Un républicain ? Nous n’en savons rien. Et les premières figures qui s’imposent dans les primaires de janvier ne sont pas nécessairement, comme ceux qui entrent papes au conclave, les élus de novembre.

    Une chose est sûre : cette campagne va nous passionner. D’abord, parce qu’elle va tourner la page de George Bush, et beaucoup, par avance, s’en réjouissent. Un président dont l’Histoire équilibrera et affinera le bilan, mais dont la mémoire restera marquée du sceau de l’aventure militaire en Irak.

    Aussi, parce que les Etats-Unis sont, au fond, un régime présidentiel. La personne du chef de l’Etat, comme en France, est le pivot, non seulement des institutions, mais de toute l’attention médiatique. Le président, dans une constante galerie des glaces, se mire, se représente, se met en scène. On ne voit, on ne montre que lui. Et cette personnalisation du pouvoir, dans les grandes heures, a souvent sonné le salut : discours de Roosevelt au lendemain du 7 décembre 1941 (Pearl Harbor), causeries au coin du feu de ce même président d’exception, effet Kennedy, effet Reagan, effet Clinton. Oui, le premier personnage de l’Etat ne se contente pas de régner : il donne des signes, des inflexions, à la terre entière.

    Cette année électorale, avec sa galerie de figures nouvelles, va être, pour nous, l’occasion de tourner nos regards vers l’Amérique. Les Etats-Unis, ce grand pays cette grande Histoire déjà, et surtout cette culture, si mal connue : la littérature, avec ses incroyables rebelles, les arts plastiques, le cinéma. Aucun Suisse, aucun Européen, quels que soient ses sentiments personnels face une certaine politique américaine, son arrogance, son impérialisme, ne peut rester indifférent à cette campagne électorale. Elle sera – elle est déjà – l’un des événements politiques les plus importants de 2008.

  • Spe Salvi: un texte pour ici et maintenant

     

     

    Texte publié dans le journal "Le Temps", ce matin (08.01.08)



    Pascal Décaillet, journaliste, a lu la deuxième encyclique du règne de Benoît XVI. Il ne partage pas du tout les conclusions du vaticanologue italien Giancarlo Zizola, récemment publiées dans nos colonnes.



    « Benoît XVI, un pape désespéré et désespérant » : c’est sous ce titre, dont vous apprécierez l’ouverture au dialogue, que le Temps a publié, ce vendredi 28 décembre, l’interprétation, par Giancarlo Zizola, de « Spe Salvi », la deuxième encyclique du pape allemand, éditée le 30 novembre 2007. Giancarlo Zizola est chroniqueur spécialisé au quotidien « Il Sole/24 Ore ».

    Le moins qu’on puisse dire est que je n’ai pas l’impression d’avoir lu le même texte que Zizola. Car, oui, ce document pontifical, comme tous les autres, nous est accessible à tous, en un tour de main ! Les temps sont révolus où les encycliques n’étaient destinées qu’à la maigre élite d’une cléricature : vous foncez sur le site du Vatican, vous cliquez, et vous avez, sous les yeux, l’intégralité de la version française. Une trentaine de pages en version imprimée. Une heure de lecture, guère plus. La première des choses à faire est donc d’aller voir. Entrer dans le texte, qui n’a rien d’hermétique. Se faire son opinion.

    « Spe Salvi facti sumus » : « Dans l’espérance, nous avons été sauvés ». Théologien lui-même, homme du Livre et de la rigueur des textes, le pape Ratzinger, comme toujours, part d’une citation. En l’occurrence, la célébrissime Lettre aux Romains de Saint-Paul, l’un des textes les plus importants du christianisme : on sait le rôle qu’il joua sur Luther et toute la pensée de la Réforme. L’encyclique du pape est une variation sur le thème de l’espérance. Un texte brillant, à la fois argumenté comme il sied au « logos » démonstratif, cher à Ratzinger, et inventif, avec ses chemins de traverse, ses clairières de chaleur et de lumière. A mille lieues de la « pensée abstraite » et de la « douche froide » que croit y déceler Zizola.

    Un texte qui tente de définir – vaste programme – l’Espérance chrétienne. Vertu théologale, comme on sait, avec la Charité et la Foi, mais encore ? Et d’abord, que signifient ces trois mots, aujourd’hui ? C’est précisément pour les revivifier, les réactualiser, au sens où l’entendrait Brecht (très maladroitement cité par Zizola lorsqu’il évoque le sublime poème du Tailleur d’Ulm : « Bischof, ich kann fliegen… »), que le pape prend la plume. Non, Spe Salvi n’a rien d’une composition précieuse pour initiés : c’est un texte pour ici et maintenant. Pour les hommes et les femmes d’aujourd’hui. Les catholiques, les autres chrétiens, et aussi bien sûr pour les non-chrétiens. Toute personne, croyante ou non, qui voudra bien se donner la peine d’entrer dans la pensée de Joseph Ratzinger.

    Car après le règne du charisme (Jean-Paul II), le monde catholique, à coup sûr, est entré, avec ce pape aussi à l’aise dans l’exégèse de Kant, Engels ou Marx (chapitres 19 et 20 de Spe Salvi) que dans celle des Pères de l’Eglise, dans l’ère de la précision et de la définition. Dessiner quoi ? Mais les contours du catholicisme! Tels que les perçoit, au plus intime de sa lecture et de son immense érudition théologique, l’actuel successeur de Pierre. Rien de plus. Rien de moins.

    « Spe Salvi » : variation, oui, sur un complément d’agent à l’ablatif. Ce qui aurait pu n’être que jeux de miroirs pour doctes en soutane, se révèle, à l’usage de la lecture, un texte pour tous. « De propaganda fide », comme il sied. Chaque lecteur se positionnera face au travail de sertissage sémantique que propose Ratzinger sur le thème de l’espérance. N’est-elle pas assez ancrée, comme le regrette Zizola, dans le chemin historique des humains ? On peut en discuter. Il est vrai que Benoît XVI n’est pas Léon XIII : sa réponse à l’idée de progrès n’est pas exactement celle du lumineux auteur de « Rerum novarum » (1891), le premier pape qui sut parler de la condition ouvrière, et aussi appeler les catholiques de France à rallier la République. Mais de là à voir dans le théologien bavarois un « désespéré », encore moins un « désespérant », il y a comme un chemin d’incompréhension.

    Je terminerai par le grief de froideur. Où le chef de l’Eglise catholique, c’est assez salé et paradoxal, se voit reprocher par Giancarlo Zizola un excès de pensée dialectique, voire métallique, coupée de l’extraordinaire sensualité de cette religion. Là aussi, on peut discuter : il suffit de voir Benoît XVI pour se convaincre, une fois pour toutes, qu’il ne sera jamais de la même fibre que, par exemple, son prédécesseur. Ni de celle du pape Roncalli. Mais de grâce, lisons « Spe Salvi ». Au fur et à mesure qu’avance le texte, il chemine vers la souffrance (chapitre 38), vers le feu (tout le chapitre 47), et finalement vers Marie, « étoile de l’espérance », « étoile de la mer » (Ave Maris Stella), à laquelle l’intégralité du dernier chapitre rend hommage. Dans les voies de l’irrationnel, le pape Ratzinger est sans doute moins pèlerin que son prédécesseur polonais. Mais, par le chemin du logos et de l’exégèse, ce sont, exactement, les mêmes buts théologiques qu’il poursuit. Et cette œuvre-là, Spe Salvi, d’incandescence autant que d’obscures clartés, n’a pas fini de nous marquer, au profond de l’identité catholique.

    Pascal Décaillet