Pierre Mamie, Chiara Lubich. L’évêque et la rassembleuse. L’un et l’autre nés en 1920, l’un et l’autre décédés hier, vendredi 14 mars 2008. Deux parcours, deux chemins spirituels dans le siècle.
Ordonné prêtre en 1946, évêque dès 1968, Pierre Mamie était un homme au cœur de la Cité. Il s’est battu pour une Suisse ouverte, tolérante, accueillante aux flux d’immigration qui viennent l’enrichir. Il n’a cessé, toute sa vie, de réfléchir à l’identité du catholicisme, la place de cette religion en Suisse romande, le dialogue qu’elle devait entretenir avec les autres mouvements spirituels. Tous ceux qui l’ont approché ont connu sa douceur, le rayonnement qui l’habitait.
Ses dernières années, Pierre Mamie les a consacrées a diriger l’édition d’une œuvre majeure : la prodigieuse correspondance entre Charles Journet et Jacques Maritain. Journet, fondateur, en 1926, de la Revue « Nova et Vetera », l’un des seuls prélats, en Suisse, pendant la guerre, à avoir dénoncé haut et fort l’horreur de la déportation. Et puis Maritain, le grand philosophe converti au catholicisme, qui sera l’une des lumières de la pensée thomiste au vingtième siècle.
Cette correspondance, publiée il y a une dizaine d’années par les Editions Saint-Augustin, ce sont quelques centaines de lettres de feu entre deux hommes qui s’aiment, se respectent infiniment, confrontent leurs expériences au milieu de la tragédie du monde. A lire absolument, le volume III (1940-1949), contenant les années de guerre. Cette correspondance-là est l’une des plus belles que j’ai lues. Point n’est besoin d’être catholique, ni même chrétien, pour aller s’enrichir du frottement épistolaire de ces deux grands esprits. Du silex et de la flamme, d’une lettre l’autre.
Et puis, j’aimerais dire un mot de Chiara Lubich. Voilà une femme qui, dans l’Italie de 1943, en pleine guerre, lance la grande aventure des Focolari. Aujourd’hui, à travers le monde, ils sont des centaines de milliers. Un mouvement qui cherche l’universel, ce qui rassemble les humains plutôt que ce qui les sépare. Au fond, étymologiquement, un mouvement totalement « catholique ». Mais tellement libéré de la pesanteur de l’institution.
Pierre Mamie, Chiara Lubich, deux chemins à la recherche de l’esprit. Ou de l’Esprit. Il y a des jours, comme cela, où les majuscules ne sont pas primordiales.
Liberté - Page 1566
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Pierre Mamie, Chiara Lubich, deux chemins spirituels
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Vous avez dit "rupestre"?
Édito Lausanne FM – Vendredi 14.03.08 – 07.50h
Donc, le pays de Vaud est rupestre.
Ça n’est pas moi qui le dis – je ne me permettrais pas – c’est un document très officiel de la Ville de Genève, signé du maire, Patrice Mugny. En toile de fond, la couverture, insuffisante aux yeux des édiles du bout du lac, de l’actualité genevoise par la RSR. Qui aurait « peu à peu fait du rupestre pays de Vaud son centre d’intérêt principal ».
Rupestre ! Ah, le beau vocable ! Tellement éloquent, évocateur, qu’on se fourvoie, la plupart du temps, sur son sens. Mugny, ou le nègre (ah, l’infâme, sur qui on va pouvoir, avec force courage politique, rejeter toute la responsabilité !) de Mugny, a sans doute voulu dire « champêtre ». Ou « agricole », « boisé », « verdoyant », ou encore « pays de terres grasses ». Mais il a dit « rupestre ». C’est plus court, plus dense, ça commence par vous gratter la glotte, ça grimpe en flèche vers le vert extatique du « u », ça finit vite par s’apaiser sur un suffixe où la pâture le dispute à la bovine sieste des champs.
Patrice Mugny, ou son nègre (ah, l’infâme, honte à lui !), auraient pu, dans une irrémissible et soudaine avidité de connaissance et de culture, se saisir d’un dictionnaire. Et se rendre compte, juste en passant, que « rupestre » était relatif au monde des grottes, des peintures murales. Il y a des plantes rupestres (dont certaines, magnifiques, au Jardin botanique de Genève), des dessins rupestres, etc.
Il y aussi des floraisons rupestres. Comme il y a, dans la langue de certains (pas les maires, les nègres), les floraisons lépreuses chères au poète. Cette peste, ce choléra du langage qui nous fait dire (pas nous, nos nègres) un mot pour un autre, et suinter le mépris dans le grisâtre ennui d’un document qu’on remet à l’Ofcom.
Le nègre, qu’on le pende ! Mugny, qu’il survive ! Pour le seul bonheur et la seule fonction de nous inventer de si beaux mots, riches de leur seule inanité, alpestres comme la mer. Ah, le beau maire ! Le maire, le maire, toujours recommencé !
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Le peuple, pas la foule!
Édito Lausanne FM – Jeudi 13.03.08 – 07.50h
Attention, ce matin, je vais sortir mon grec. Que ceux qui n’aiment pas cela s’abstiennent de me lire. Mon grec, pour répondre à un lecteur de mon billet d’hier, qui a tenté de faire croire que, dans ma défense de la souveraineté du peuple, je prônais l’incandescence désordonnée de la foule contre la sagesse d’une assemblée.
Non, le peuple, ça n’est pas la foule. Non, une décision du peuple, ça n’est pas un lynchage. Non, l’espace où le peuple est souverain, ça n’est pas le Far West. Je n’ai jamais été ni pour la foule, ni pour le lynchage, ni pour le Far West. Je déteste même cela, par-dessus tout.
Le mot « peuple », en français, est bien maigre, sémantiquement. La langue grecque, fondatrice de tant de textes politiques, de Thucydide à Aristote, est, à ce sujet, beaucoup plus claire que la nôtre. Laissons « ethnos » qui, dès Pindare, fait référence à la tribu, la loi du sang. La dualité qui nous intéresse, là, c’est « dêmos , le peuple comme corps électoral, constitué, organisé, contre « plêthos », la foule en colère, les grandes masses en révolution, par exemple, dans la « Guerre du Péloponnèse », lorsque les Cités se soulèvent.
Le « peuple » que je décris comme la pierre angulaire de la démocratie suisse, c’est évidemment « dêmos ». Ça n’est pas l’entier d’une population (« Bevölkerung ») ; ça n’est même pas le corps électoral ; c’est la portion de ce corps qui veut bien, quand on le sollicite, s’exprimer sur un bulletin de vote. Dêmos, c’est le peuple comme organe de la démocratie. Son expression a ses règles, très précises. Il n’a jamais été question qu’il hurle son avis. Lorsqu’il tranche, en Suisse, à peu près quatre dimanches par an, c’est à l’issue d’un long procédé, où toutes les instances ont pu s’exprimer. C’est cela que j’appelle « le peuple ». Cela n’a rien à voir avec la rue.
Le peuple, comme organe de la démocratie. Organe, parmi d’autres : le Parlement, la justice, etc. Mais organe dont je souhaite - j’assume cette position - que tout procède. Les députés, il les élit. La Constitution, il peut la modifier. Les institutions, aussi. Je ne demande à personne de partager ma vision de la primauté du suffrage universel. Mais, de grâce, qu’on ne vienne pas la caricaturer en parlant de foule et de lynchage.