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Liberté - Page 1567

  • De grâce, pas les juges!



    Édito Lausanne FM – Mercredi 12.03.08 – 07.50h



    Comment cela ? La souveraineté du peuple serait une forme de dictature ? Vieil argument, que viennent brandir, juste à l’instant où cela sert leur cause, ceux qui craignent le passage d’un texte devant le suffrage universel. C’est ce traditionnel moment où les mauvais joueurs politiques, soudain parés de la toge juridique, commencent à nous donner des cours sur l’ « unité de matière » ou le « droit supérieur », finissent à en appeler aux juges. On se croirait en Fac de droit, alors qu’on est dans l’espace politique et républicain.

    Le procédé, récurrent en Suisse, à tous les niveaux (Confédération, cantons, communes), est détestable. Il faut le dire clairement : lorsqu’une initiative (comme celle, à Genève, qui propose un trajet alternatif au CEVA) a recueilli un nombre suffisant de signatures, elle doit être portée devant le peuple. Lui seul, in fine, est souverain. Si le texte est mauvais, c’est à lui d’en juger. Les institutions, il peut les changer. La Constitution, il peut la modifier. Incroyable, la peine que semblent avoir certains à admettre cette primauté du suffrage universel, qui est pourtant l’essence de notre démocratie suisse. Ils veulent bien l’accepter lorsque cela les arrange, mais se transmuent en juristes grogneux et tatillons dès qu’affleure, à leurs narines, le frisson putatif d’une défaite devant le souverain.

    Je le dis franchement : si j’étais sollicité, comme citoyen, sur le CEVA, je dirais non à l’initiative, et oui au projet du Conseil d’Etat. Nous sommes donc ici dans une question de principe. Surtout quand on vient nous brandir, comme ultime arbitrage possible (si le Grand Conseil en vient à invalider le texte), le Tribunal fédéral. De grâce, dans un débat démocratique, qu’on nous épargne les juges ! Quelle légitimité ont-ils, que le peuple n’aurait pas ? La compétence ? Mais alors, si seuls les compétents peuvent décider, ça n’est plus notre démocratie, c’est le retour à une forme de suffrage censitaire. Sous la Restauration, c’était l’argent ; là, ce serait le bagage juridique.

    L’initiative a recueilli les signatures. Elle doit passer désormais dans les mains du peuple genevois, et non en celles de gens de robe, tout respectables soient-ils.
    L’opinion publique, dans ce genre d’affaire, n’est jamais dupe. Elle sent très bien que certains, craignant l’arbitrage suprême, tentent la dérobade par porte coulissante. Et c’est ce genre de comportement politique, justement, qui alimente les partis populistes. Faut-il, à chaque fois, leur servir, sur un plateau d'argent, les arguments de leurs futures victoires ?




  • Robert Cramer et le non-lieu du Bien



    Édito Lausanne FM – Mardi 11.03.08 – 07.50h



    À force de pâlir, l’étoile de Robert Cramer, à Genève, du brillant vers le lacté, commence doucement à s’évanouir. La gestion – ou plutôt la non-gestion – de la crise des déchets napolitains n’est qu’un exemple parmi d’autres de gouvernance approximative, d’opacité dans la communication, de déficience du contrôle politique sur de grandes régies qui, telles des machines à Tinguely, semblent tourner toutes seules.

    À vrai dire, le problème n’est pas Robert Cramer. Il a bien le droit d’exister et d’être ce qu’il est. Le problème, c’est l’image de Robert Cramer, telle qu’elle fut beaucoup trop longtemps véhiculée, à Genève, dans une bonne partie de la classe politique et médiatique. Le gentil. Le doux. Le sage. Comme si tout le tellurisme de l’attraction du pouvoir, qui aimante tant les autres, par miracle ou exception, avait échappé à cet homme. Comme si la mission sacrée d’être Vert, donc d’agir pour le Bien, l’avait exorcisé de toute immanence du Mal, ou exonéré des coutumières pesanteurs du monde politique.

    Cramer à Genève, comme Brélaz à Lausanne, ont été beaucoup trop longtemps des icônes. Habiles à l’extrême, ils ont su, l’un et l’autre, jouer de leur apparente affabilité pour se tailler une popularité hors du temps, hors d’atteinte des flèches habituelles. Nul ne saurait leur en tenir grief. En politique, chacun joue sa carte, c’est le jeu, et il faut bien avouer que l’intelligence, à ces deux hommes, ne fait pas défaut, ni même la sincérité du goût du bien public, qui ne se discute pas.

    Non, le problème, c’est, au nom du bien, quasiment théologique, que véhicule la cause Verte, la naïveté de réception de l’image de ces deux personnages dans une grande partie du public. Et surtout, chez tant de journalistes. Et jusqu’aux humoristes, compagnons de terroir de Robert Cramer, ne le brocardant, tout au plus, que sur son goût, plutôt sympathique, pour les fruits du pays. Là où il y aurait tant à dire sur son système de pouvoir, ses capacités de verrouillage, le réseau autour de lui tissé, pendant une décennie, cette politique des yeux mi-clos sur ce qui ne va pas.

    Cramer, Brélaz, icônes du Bien et du grand bonheur vert. En politique, on a déjà assez de mal avec le Mal. Mais, par pitié, qu’on nous délivre de ce non-lieu qui s’appelle le Bien.

  • Juppé, l'anti-Sarkozy



    Édito Lausanne FM – Lundi 10.03.08 – 07.50h



    Y aurait-il, sur cette terre, tout de même une justice ? La magnifique réélection, dès le premier tour, hier soir, 55,8%, d’Alain Juppé à la mairie de Bordeaux pourrait le faire croire.

    Voilà un homme qui revient des enfers. Des études brillantissimes, une formation littéraire d’une rare qualité, une carrière politique dans l’ombre de Jacques Chirac, et jusqu’à Matignon. Fidèle à l’homme de sa vie, tellement fidèle qu’il acceptera sans rechigner le rôle du fusible dans quelque obscure affaire parisienne. Ces années de noirceur et de solitude, ces moments où plus personne, dans la rue, ne vous salue, avec les changements de trottoir, il les traverse sans jamais la moindre plainte.

    Juppé, c’est l’anti-Sarkozy. Discret, pudique, avare de ses sentiments, n’étalant jamais sa vie privée, le maire de Bordeaux rappelle ces politiques de l’ancien temps, où servir primait sur apparaître. Les quelques entretiens où il dévoile la richesse de ses goûts littéraires laissent transparaître une personnalité d’une rare finesse. Alain Juppé croit en l’intelligence, est c’est cela, chez lui, qui séduit.

    C’est vrai, il n’aime guère les foules. Nicolas Sarkozy a sans doute mille qualités que lui, n’a pas. Mais rien, jamais, ne m’empêchera de regretter que cet homme d’élite ne joue pas un rôle plus important, en France, au niveau national. Ce regret, je l’ai écrit, formulé, tout au long de sa traversée du désert. À l’époque du pimpant et du clinquant, des flashes sous l’ombre des Pyramides, voilà un homme qui saura vous parler des dynasties, des signes sur les pierres et de l’honneur de vivre. Les Bordelais, qui sont gens secrets et discrets, et qui ont toujours su, de Montaigne à Jacques Chaban-Delmas, élire les meilleurs, ne s’y sont pas trompés.