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Liberté - Page 1562

  • Sainte Eveline et les archanges



    Édito Lausanne FM – Vendredi 11.04.08 – 07.50h



    Existe-t-il un homme, une femme, sur les ondes publiques de Suisse romande, pour refuser de s’associer à l’incroyable élan de martyrologie qui enveloppe et encense Eveline Widmer-Schlumpf ? Je viens d’entendre, il y a moins d’une heure, de longues minutes d’hagiographie, sans une seule seconde de place laissée à l’UDC.

    C’était : « Sainte Eveline, ne cédez pas, Sainte Eveline martyre, nous vous aimons, Saint Eveline, avec les archanges, vous survivrez ». Le tout, couronné par un commentaire de miel et d’Apocalypse, laissant entendre que la démocratie était en danger. J’ai même scruté le ciel, encore bien gris pour un beau jour d’avril, pour guetter, comme naguère Michel Debré, l’arrivée des premiers paras de Blocher, en treillis.

    La vraie fureur, d’où vient-elle ? D’un parti qui, à tort ou à raison, a subodoré chez la Grisonne, dans les jours ou les semaines précédant le 12 décembre, une forme d’intelligence avec l’ennemi ? Et qui, à tort ou à raison, ne parvient pas à comprendre que celui qui les a amenés à leur plus grande victoire électorale, soit renvoyé chez lui au profit d’un personnage n’ayant joué aucun rôle dans la dynamique de cette victoire ?

    Ou bien vient-elle, la vraie fureur, de cette croisade de bien pensants, les mêmes qui, à chaque fois, agitant la morale comme effluves d’encens, montent sur Berne pour sauver la démocratie. La sauver de qui ? De ceux qui sont arrivés premiers, et avec quelle avance, eux élections ! De ceux qui, à l’issue d’une campagne électorale où chacun a eu sa chance, ont obtenu le meilleur résultat !

    Il y a là, dans toute cette ovine et grégaire démarche, quelque chose de singulier. On se mobilise pour une femme qu’on ne connaît pas. On la sanctifie au centième jour. On nie à un parti le droit de régler ses problèmes internes. On se montre tout de hargne et de fiel pour toute personne pensant autrement. Bref, on applique, en pire, les méthodes de ceux que l’on condamne. Cette démocratie de la rue, des pages dans les journaux et de la rédemption pétitionnaire se heurtera, le jour venu, à la vraie démocratie, celle d’un peuple qui s’exprime par les urnes : ce sera en octobre 2011. Autant dire demain.


  • Lisons le Coran



    Édito Lausanne FM – Mercredi 09.04.08 – 07.50h



    Je viens de recevoir la nouvelle traduction française du Coran, par ordre chronologique selon l’Azhar, avec renvoi aux variantes, aux abrogations, aux écrits juifs et chrétiens. Elle est de Sami Awad Aldeeb Abu-Sahlieh, professeur de droit comparé aux Universités de Lausanne et Palerme. Éditions de l’Aire. À parcourir le livre, avant de m’y plonger, je suis impressionné par la clarté de la mise en page, l’ordonnance des sourates et des versets, la richesse de la mise en contexte. Je me réjouis déjà de m’entretenir avec le traducteur.

    Point n’est besoin d’être Musulman pour lire le Coran, ni Juif pour l’Ancien Testament, ni Chrétien pour les Evangiles, les Actes des Apôtres ou les vies des saints. Ces livres-là appartiennent à l’humanité entière. On en partage ou non la foi, on les tient pour révélations ou lentes constructions humaines, on les aime ou on les rejette. On peut aussi les ignorer, vivre sans eux, ne jamais les ouvrir. Mais ils sont là. Comme l’Iliade, ou l’Odyssée, ou Rimbaud, ou le poète allemand Paul Celan, sont là.

    La Bible, le Nouveau Testament, le Coran sont une part inaltérable de ce que nous sommes. Ils fondent non seulement la foi de certains d’entre nous, mais une immense partie de notre patrimoine culturel. Promenez-vous dans la Vieille Ville de Jérusalem, avec ces noms d’églises en grec, en byzantin, en arménien. Allez à Grenade, à l’Alhambra, aux murs couverts de citations du Coran. Emmenez vos enfants dans les églises d’Italie : les sourires des madones, les Nativités, les descentes de croix. Lisez Kafka à la lumière du Talmud : partout, les religions du Livre nous accompagnent.

    Je l’avoue, je suis catholique. Je pourrais tout autant être juif ou musulman, juste les hasards de la naissance. Je le suis, j’y tiens beaucoup, mais ça n’est pas à ce titre que je m’exprime ce matin. C’est au titre, plus large, de citoyen en quête de lumière et de racines.

    Ces références, dans les écoles, doivent être enseignées. L’initiation à l’Histoire des religions, ne serait-ce que les trois du Livre, leur influence politique et leur apport culturel à travers les âges, est une clef de lecture essentielle pour notre monde. La laïcité comme saine séparation des Eglises et de l’Etat, je dis évidemment oui. L’ultra-laïcité, comme ignorance totale (pire : culture de cette ignorance) de tout phénomène religieux, c’est définitivement non.




  • Carla et la raison d'Etat



    Donc, le très doux Hashim Thaci, actuellement Premier ministre du Kosovo, naguère chef de guerre de la très douce UCK, l’Armée de libération nationale, aurait, en 1999, fait déporter 300 Serbes vers l’Albanie, aurait fait prélever sur eux des organes, qu’il aurait vendus à des trafiquants internationaux. Cet épisode, gravissime s’il s’est bien produit, c’est Carla del Ponte qui l’avance. Une femme que nul, ici bas, ne pourra suspecter, vous en conviendrez, de serbophilie aiguë.

    L’important, dans cette affaire, n’est pas le devoir de réserve, par rapport à son Département, de celle qui est aujourd’hui ambassadrice de Suisse en Argentine. Ne vouloir, comme beaucoup le font ce matin, présenter le problème que sous cet angle organique, c’est épouser la vision du DFAE. Et c’est, surtout, faire bien peu de cas du fond du problème, s’il se vérifie.

    La question est : Hashim Thaci, aujourd’hui l’homme fort de Pristina, auprès de qui une bonne partie de l’Europe fait des courbettes, a-t-il, oui ou non, en 1999, commis cet acte ? Faut-il rappeler les yeux de Chimène, à l’époque, de nombre de journalistes romands, au nom d’un romantisme christo-guevaresque, pour l’UCK ? Ces horreurs de la guerre, qu’on a tant condamnées chez les Serbes, faudrait-il, les yeux mi-clos, feindre de les ignorer, dans l’autre camp ?

    Reste la question de la soudaine sévérité du DFAE face à la promotion du livre par Carla del Ponte. Que de doctes leçons, ce matin, sur les ondes et dans les journaux, pour saluer l’application ferme de la ligne par Berne ! Que cet index soit pointé, précisément, par un Département en pleine histoire d’amour avec Pristina (où Madame Calmy-Rey, parmi les premières, vient se de rendre, et de rencontrer Hashim Thaci), ne semble pas exagérément exciter les esprits. Point n’est besoin, pourtant, d’avoir lu Machiavel ni le saisissant « Bréviaire des politiciens » de Mazarin, pour savoir qu’il existe, en politique, des vérités bonnes à taire. Cela porte un nom : cela s’appelle la raison d’Etat.