Édito Lausanne FM – Mercredi 23.04.08 – 07.50h
J’ai sous les yeux, en écrivant ces lignes, mon Péan, acheté en septembre 1994, immédiatement dévoré, puis tant de fois relu : « Une jeunesse française, François Mitterrand 1934-1947 », aux Editions Fayard. Avec, sur la couverture, cette photo-choc : celui qui est encore, en cet automne 1994, président de la République française, serrant la main du maréchal Pétain. C’était plus d’un demi-siècle plus tôt, en octobre 1942.
Que François Mitterrand ait été actif à Vichy, tout le monde le savait ; les activistes gaullistes du SAC se faisaient même un bonheur, dans la présidentielle de 1965, de venir scander « fran-cisque ! » dans ses réunions. Qu’il l’ait été à ce point, c’est ce que nous révèle Péan, tout en nous montrant comment le même homme, de façon progressive comme tant de Français, est passé de l’entourage du Maréchal à une vraie et authentique résistance. La Résistance de l’intérieur, celle dont l’Histoire revue par les gaullistes dès 1944 tentera longtemps de tamiser la mémoire.
À cet égard, grâce à Serge Moati et son équipe, c’est une excellente piqûre de rappel que nous a offerte France 2, hier soir. On peut aimer ou non le genre du docu-fiction, qui mélange des acteurs d’aujourd’hui avec des images d’archives, c’est au moins un moyen de les incarner et de faire accéder les enjeux au plus grand nombre. Dans la bouche de Mitterrand, les propos exacts, d’ailleurs, tenus dans sa correspondance ou ses écrits de l’époque. J’en retiens un, à propos du général de Gaulle : « Lorsqu’ils ont l’âme haute, les fils des bourgeois échappent à leur condition sociale ». Saisissant résumé de celui qui avait été le si éclatant Rebelle à tout l’univers qui l’avait façonné.
En seconde partie de soirée, un documentaire, un vrai, avec archives et témoignages. Notamment le décryptage de la fameuse interview donnée par le Président, alors en chimiothérapie, à Jean-Pierre Elkabbach, toujours en cet automne 1994, et dans laquelle, au fond, il ne fait pas la moindre concession sur les choix de son passé. L’émission, à juste titre, se termine par l’admirable discours de Jacques Chirac au Vel d’Hiv, l’année suivante, où un chef d’Etat français, pour la première fois, rompant avec la légende de « Vichy parenthèse », assume, face aux crimes commis, la continuité nationale.
Très guidé, sur le fond, par le livre de Péan, Serge Moati a fait du bon boulot. Il nous rappelle à quel point l’Histoire est complexe, à quel point il est faux de juger avec les critères de son temps. A quel point il faut lire, et lire encore, pour tenter de saisir, un peu, les secrets d’une époque.
Liberté - Page 1559
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Mitterrand à Vichy : la mémoire tamisée
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Apprendre à perdre, Monsieur Longet !
Édito Lausanne FM – Lundi 21.04.08 – 07.50h
Hier, une très nette majorité du peuple genevois (59%) a élu le candidat de la droite, Daniel Zappelli, contre celui de la gauche, François Paychère, au poste de Procureur général, pour six ans. Les deux candidats, je l’affirme, étaient de valeur, mais enfin c’est ce choix-là que le souverain a fait, à l’issue d’une campagne animée, où chacun, largement, a pu exposer ses positions. L’élu bénéficie même d’une légitimité accrue par une participation record dans ce genre d’élection.
Or, hier soir, qu’avons-nous entendu ? Un homme de valeur, René Longet, nouveau président des socialistes genevois, se contorsionner à n’en plus finir, pour expliquer à quel point le corps électoral n’avait pas compris l’extrême subtilité des thèses socialistes en matière de justice, défendues par François Paychère. Bref, c’est comme en Italie, comme dans la France du Traité européen de 2005 : on nous refait le coup du peuple qui vote mal.
Une telle argumentation, de la part des prédécesseurs de René Longet, n’aurait pas étonné. De sa part à lui, celle d’un homme qui, par sa culture, élève d’un cran le niveau de la fonction de président du PS à Genève, c’est décevant. René Longet est un espoir pour la vie politique genevoise : trop longtemps écarté des instances dirigeantes, cet homme de réflexion profonde sur la société et l’environnement a beaucoup à nous apporter. Sa politique, très claire, de retour aux priorités sociales, respire une cohérence qui a tant fait défaut ces dernières années.
Il manque juste encore à René Longet, une chose : apprendre à perdre. À cet égard, le pathétique duel qui l’opposait hier soir, à Forums, à Charles Poncet, a tellement tourné à l’avantage de l’avocat qu’on a presque eu l’impression de revivre l’exécution de Louis XVI. René Longet mérite mieux. Le débat politique aussi.
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De la Kabylie à Ravensbrück, une très grande dame
Et maintenant, Germaine Tillion ! Deux jours après Aimé Césaire, l’une des plus éclatantes figures de l’intelligence humaine et de la lutte contre le colonialisme, nous quitte. Elle avait 101 ans. Elle avait traversé le siècle avec la passion de comprendre, de transmettre, de rassembler les hommes. L’avoir interviewée, à plusieurs reprises, est l’un des plus grands honneurs de ma vie de journaliste.
Jeune ethnologue, elle décide, dans les années trente, d’aller vivre au milieu des Berbères, dont elle deviendra une spécialiste. Résistante, chef du Réseau du Musée de l’Homme, elle connaît la déportation, et Ravensbrück. A ses compagnes de détention, elle enseigne la grammaire kabyle.
Elle écrira, plus tard, sur l’univers concentrationnaire. Après la guerre, un autre combat l’attendra : la lutte contre la torture en Algérie. Et tant d’autres luttes, aussi, où elle se jette, infatigable. Il y a peu de temps encore, elle répondait au téléphone d'une voix douce, acceptait toujours de parler, disait ses vérités.
Lundi, j’appellerai Jean Lacouture, dans son Vaucluse, et lui demanderai de témoigner sur Germaine Tillion, lui qui en a écrit une si belle biographie : « Le Témoignage est un combat, Seuil, 2001 ». Ce soir, en apprenant le départ de cette si vieille et si grande dame, je pense à une autre déportée de Ravensbrück, Geneviève de Gaulle. Et à toutes ces populations du Maghreb, aussi, qu’elles a tant aimées et tant respectées. C'est une figure majeure, ce soir, qui nous quitte.
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