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Liberté - Page 1560

  • Les Roms, l'unique objet...



    Édito Lausanne FM – Jeudi 29.05.08 – 07.50h



    Reconduire la libre circulation, étendre les accords à la Roumanie et à la Bulgarie : ensemble ou séparément (la question du lien est sous la loupe des Chambres fédérales), ces deux questions vont immensément nous occuper jusqu’au printemps 2009, date d’une très probable votation populaire sur le sujet. La plus importante de la législature. Peut-être la plus cruciale, en matière européenne, depuis le 6 décembre 1992.

    En cas de refus, l’ensemble de l’édifice bilatéral pourrait s’écrouler. C’est-à-dire deux décennies d’efforts, après le « dimanche noir » de Jean-Pascal Delamuraz, pour maintenir, à son meilleur niveau, le lien entre la Suisse et l’Union européenne.

    Tout cela, posé ainsi, apparaît bien cérébral, bien rationnel, quasiment gagné d’avance pour les partisans. Détrompez-vous : une question, tellement populiste, tellement facile à exploiter, occupe déjà la place publique, celle des Roms. Ce peuple migrant, surgi du fond de l’Histoire, ayant partagé et vécu dans sa chair les tragédies du millénaire, le voilà objet de toutes les discussions de bistrot de notre pays. La plupart du temps, on en dit n’importe quoi, par inculture, par crasse méconnaissance, alors, un ou deux mots, ce matin.

    D’abord, c’est ne rien connaître à la complexité de l’Histoire roumaine que d’associer Roms à Roumains, l’un étant tout au plus un sous-ensemble de l’autre, et encore même pas. Ensuite et surtout, quand j’entends le mépris avec lequel on parle de ces gens, sous le prétexte que certains d’entre eux (admettons le, ne soyons pas angélistes) viennent mendier sous les murs de nos banques, j’ai juste envie d’appeler à un minimum de retenue du langage. Quand on sait ce que ce peuple a vécu sous la Seconde Guerre mondiale, les camps, l’extermination, au même titre que les Juifs, l’horreur absolue d’une éradication, on pèse tout au moins ses mots avant de jeter ce nom, en pâture, à l’ignorance de l’opinion publique.

    Il est certain conseiller national, de revendication libérale, qui a dû sa victoire, l’automne dernier, à une campagne sur les mendiants, à Genève. Des mendiants, on passe aux Roms. Des Roms, aux Roumains. Et des Roumains, on passera à qui ? Je préfère ne pas y penser. Je voterai pour la poursuite de nos accords avec l’Europe, même si l’Union européenne, dans sa structure actuelle, ne me fait pas particulièrement rêver. Mais du non rêve au cauchemar, il y un grand pas. Que je préfère ne pas franchir.



  • La mort, sans domicile fixe


    Édito Lausanne FM – Mercredi 28.05.08 – 07.50h

    Un petit livre, aux pages épaisses et denses, il tiendrait dans une vareuse. J’ai d’abord pensé à un psautier, comme ceux de ma famille, où on glisse, au fil des ans, les images des morts. Et ça tombe bien, puisque c’est un petit livre sur la mort. Ou plutôt autour de la mort. Pas la mort métaphysique, non, juste le trépas, celui qui vient de survenir, et le métier des quelques humains qui, les tout premiers, viennent à sa rencontre.

    Ils sont policiers, membres d’une brigade spéciale, médecins légistes, préparateurs, maîtres de cérémonie, croque-mort. Thierry Mertenat, journaliste, et Steeve Iuncker, photographe, ont choisi, pendant des mois, d’accompagner ces professionnels sur le lieu de leur travail. Suicides, accidents, décès solitaires dans des appartements, il faut bien, toujours, que certains, sur les lieux de ces drames, arrivent. Constats, repérages, gants, masques, « la couleur et l’odeur de la mort » (Iuncker), tout un ensemble de gestes pratiques que n’importe quel lecteur de Simenon connaît. Croit connaître. Le docteur Paul, vieux complice de Maigret. Ou encore le grand Moers, de l’Identité judiciaire.

    Saisissantes, les photos de Iuncker. Ici, un Christ sucré et sulpicien, dans la lumière blafarde d’une chambre mortuaire. Là, ce sont des mouches, à une fenêtre. Le texte de Mertenat, sobre et précis, en forme de tableaux. Des deux, lequel est le peintre, lequel le chroniqueur ? La photo n’illustre pas le texte, pas plus que l’écrit ne légenderait l’image. Deux actes de liberté journalistique, deux regards au sens fort, c’est la force de cet ouvrage.

    Restent les portraits de ces femmes et ces hommes qui, à longueur d’année, descendent sur « le terrain », premiers vivants à rencontrer le mort. Les premiers à devoir annoncer la chose à la famille. « Il faut donner l’information très vite, au début », nous confiait hier Christian Luthy, inspecteur, chef de la Brigade du commissariat, 53 ans.

    Un petit livre, rude et sans concessions, avec beaucoup d’humanité. Un livre sur la mort ? Un livre sur les premiers survivants, les premières approches. Un livre, juste à la marge. Celle de la vie. Celle de nos habitudes. Un livre à découvrir, c’est sûr.


    *** « Levées de corps », de Steeve Iuncker et Thierry Mertenat, Editions Labor et Fides, mai 2008.

  • Claude Mauriac, l’humanité d’une œuvre



    Édito Lausanne FM – Mardi 27.05.08 – 07.50h



    Depuis plus de trente ans, Claude Mauriac m’accompagne. L’un des hommes les plus attachants, parmi ceux qui ont écrit des livres. Un nom qui a su se faire un prénom, la troublante pesanteur d’une filiation, et surtout un immense journal intime, « Le Temps immobile », un jeu de miroirs qui semble se rire de la chronologie, dans le fourmillement du siècle.

    Naître en 1914, c’est naître avec le siècle. Lorsque Claude vient au monde, François, son père, 29 ans, est déjà un auteur reconnu, une star des salons parisiens. Toute sa vie, il la vivra dans l’ombre de ce nom, et pourtant nulle ligne, jamais, dans toute son œuvre, où il la définirait explicitement comme encombrante. Claude Mauriac apparaît comme un être angoissé, mais aussi d’une grande douceur, affectueux : besoin de famille, d’amitiés fidèles, besoin de grands hommes à admirer. Sur ce dernier point, il sera servi.

    Je pensais avoir tout lu de Claude Mauriac, d’où ma divine surprise (on me pardonnera cette fugace référence maurrassienne…) à découvrir « Quand le temps était mobile, Chroniques 1935-1991 », qui vient de paraître, aux Editions Bartillat. C’est le Claude Mauriac des chroniques de journaux, un terrain de plus où il n’aura pas eu peur de s’aventurer sur les traces de son père. Rien à voir, d’ailleurs, ni dans le ton, ni dans le style : à des milliers de lieues de la sainte férocité du Bloc-Notes paternel ! Claude nous dit, simplement, les choses telles qu’il les vit. On y retrouve évidemment le de Gaulle de 1944-1945 (dont il est, à ce moment-clef, le secrétaire).  Mais aussi Brasillach (que Claude et François tentent désespérément de faire échapper au peloton d’exécution). Mais encore, pêle-mêle, Gide, Maurice Chevalier, Jean-Paul II, Georges Duhamel, André Maurois, Jean Guitton. Bref, le siècle qui défile, comme en cinémascope.

    Il aime la famille et semble en avoir besoin. Mais nulle référence, et c’est tout de même troublant, à tout ce que ce mot a pu recouvrir de monstrueux dans l’œuvre de son père. Que pensait-il de Thérèse, Claude ? Du Sagouin ? Du Nœud de vipères ? Que pensait-il de Phèdre et d’Hippolyte ? Voilà l’auteur d’un monumental journal qui se livre, et ne se livre pas. On jurerait presque que, sur l’essentiel, il aurait comme choisi de se taire, et c’est cela, je crois, qui me touche. Reste l’humanité de cette œuvre, son regard sur ses contemporains, la chaleur de sa personne. On croit aller vers un grand nom. On rencontre, à la fin, la solitude d’un enfant perdu, la simplicité d’un prénom.


    *** Claude Mauriac, « Quand le temps était mobile, Chroniques 1935-1991 », Editions Bartillat, 2008.