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Liberté - Page 1560

  • Aimé Césaire, les racines et les ailes

    Chronique parue dans le Nouvelliste du 18.04.08


     
    Il y a des jours, comme cela, où les îles sont en deuil, la France entière aussi, et avec elle, sa langue, la musique de ses syllabes, la puissance de feu de ses incantations. Aimé Césaire, là-bas, s’est éteint, il avait 94 ans, grand âge d’un grand homme, immense parcours dans le siècle. Ségolène Royal demande qu’il repose au Panthéon. Et, ma foi, elle a raison.
     
    Car un jour, dans les îles, un homme s’est éveillé à cette langue, qui, avant lui, avait été celle de Racine et de Rimbaud. Elle n’était peut-être pas la plus originelle, mais enfin elle était là, et c’était la sienne. Nous dirons tout au moins qu’il l’avait faite sienne, reconnue comme part inaltérable de lui-même. Chantre de la négritude, infatigable combattant contre le colonialisme, il se trouve que toute son œuvre, c’est dans la langue de la lointaine métropole qu’il la pétrira, la façonnera, la rythmera. Le Sénégal a eu Senghor. La Martinique, Césaire.
     
    Ou plutôt : nous, francophones, d’où que nous soyons, de Sion ou d’Alger, de Québec ou de Fort-de-France, de Dakar ou de Liège, de Lille ou de la Réunion, nous avons eu ces hommes-là. Ils sont nôtres, leur trésor est nôtre, le sel de leurs strophes brûle nos langues. A les lire, il n’est plus de races ni de nations, il n’est plus que l’humanité : « Aimé Césaire, avait écrit Breton, est un Noir qui est non seulement un Noir ; mais tout l’homme, qui en exprime toutes les interrogations, toutes les angoisses, tous les espoirs et toutes les extases, et qui s’imposera de plus en plus à moi comme le prototype de la dignité ».
     
    Aimé Césaire a beau avoir été, pendant 56 ans, le député-maire de Fort-de-France, le défenseur si ardent de la dignité de son peuple, c’est en vain, pourtant, qu’on ira quérir une once de régionalisme dans son œuvre. Etant d’où il est, il est universel, et c’est là sa leçon. Son univers, c’est la langue, le rythme : cela, pour longtemps, pourra tout autant se lire dans les écoles du Valais ou de Provence que dans celles des Antilles. Je dirais même les écoles primaires, où la lecture de la poésie à haute voix ne doit pas surtout pas faire peur.
     
    A la vérité, Césaire n’est pas plus Martiniquais que Chappaz n’est Valaisan, c’est-à-dire qu’il l’est totalement, avec toute la force de son verbe. Et c’est là le miracle de ces œuvres, du Châble ou de Fort-de-France, d’ici ou d’ailleurs : arrachées à la terre, elles en viendraient presque, allez savoir comment, à nous donner des ailes.
     

     
     
     
     
     
     
     
     

  • Valérie Garbani, tenez bon!



    Édito Lausanne FM – Jeudi 17.04.08 – 07.50h



    Valérie Garbani, présidente de la Ville de Neuchâtel, est une femme intelligente, attachante, et pleine de vie. Dans les nombreux débats que j’ai organisés avec elle, pendant des années, dans la Salle des Pas perdus du Palais fédéral, pendant les sessions, elle était toujours disponible, vive, précise et compétente.

    Aujourd’hui, à dix jours des élections communales, on découvre, ou plutôt on a la confirmation d’un parcours humain très difficile, avec violences domestiques subies, et surtout l’évidence d’une très grande solitude. Hier, Valérie Garbani était, d’une certaine manière, « mise en congé » de l’exécutif de la Ville de Neuchâtel.

    J’aimerais dire ici le respect que mérite cette femme, et la retenue qui s’impose avant de dire n’importe quoi à son sujet. La sincérité avec laquelle elle s’exprime, dans le Temps d’hier, décrivant avec beaucoup de pudeur des scènes de sa vie privée, exige un courage qui est loin d’être banal.

    Elle a été chahutée par la vie, et alors ? Ça ne vous est jamais arrivé, à vous ? Elle a passé des nuits à pleurer, dit-elle : vous ne pleurez jamais, vous ? Il lui arrive de boire un peu trop. Et vous, jamais ?

    Au fond, pourquoi un élu devrait-il à tout prix s’imposer comme un être immatériel ? Ce que traverse Valérie Garbani (et on lui souhaite évidemment de s’en sortir au plus vite), beaucoup d’entre nous l’ont vécu, une fois ou l’autre. Parce que la vie est là, la vraie, qui ne fait pas toujours de cadeaux.

    Doit-elle, ou non, continuer sa carrière politique ? La décision incombe avant tout à elle-même. Et puis, si elle dit oui, la seule, la vraie décision sera prise par le peuple de Neuchâtel. Dans lequel il y a, comme partout, des gens heureux et d’autres qui le sont moins, des buveurs d’eau et des buveurs de vin, des gens qui se retiennent et puis des gens qui pleurent.

    Il y a sans doute, aussi, dans le peuple de Neuchâtel, des gens qui font la fête, des gens avec des cicatrices, des gens avec un passé de souffrance à fleur de peau. Des gens comme Valérie Garbani, peut-être comme vous, et peut-être comme moi.

  • Brandt, Varsovie : le geste et la mémoire

     

    Édito Lausanne FM – Mercredi 16.04.08 – 07.50h



    Un chancelier d’Allemagne fédérale, sans doute le plus grand du vingtième siècle, à genoux devant le monument aux morts du ghetto de Varsovie. Image noir blanc, 8 décembre 1970, scène inattendue, foule étonnée, photographes pris de cours, quelque chose qui bascule dans la conscience allemande. Je m’en souviens comme si c’était hier, j’avais douze ans, j’étais saisi.

    Hier, sur les lieux de ce même ghetto, cérémonie de la mémoire. Avec, entre autres, le président israélien, Shimon Peres, enfant de Pologne, il faut s’en souvenir. 65 ans après, les hommes et les femmes d’aujourd’hui pensent aux morts et se recueillent.

    Il faut, sans cesse, dire et rappeler aux jeunes ce qu’a été l’insurrection du ghetto de Varsovie. Un acte de courage invraisemblable, dans une Pologne encore totalement sous la botte du Reich. Une Pologne où le pire du pire de l’Histoire humaine, en ce printemps 43, est en train de se produire. La solution finale, décidée quinze mois plus tôt à la conférence de Wannsee, produit ses effets, et cela va durer encore deux ans. L’Armée Rouge, qui vient de remporter Stalingrad (30 janvier), est encore bien loin. La Pologne est seule. Seule au monde.

    Plus seuls que tous, les juifs du ghetto. On sait à quel point (le rabbin Garaï, à Genève, l’a rappelé hier soir) la résistance polonaise s’est tenue à l’écart de cette insurrection. Et malgré cela, malgré le poids du monde sur eux, les gens du ghetto ont pris les armes. Et ils se sont battus.

    Dans toutes les biographies de Willy Brandt*, l’épisode de la génuflexion apparaît comme une énigme. Peut-être un acte instinctif, décidé au dernier moment, comme la poignée de mains Kohl-Mitterrand, à Verdun. Le successeur de Brandt, Helmut Schmidt, avec qui je me suis entretenu, dans son bureau de Hambourg, en 1999, de ce geste, plaide pour la thèse de l’acte improvisé.

    Peu importe, au fond. Ce qui compte, c’est que Willy Brandt l’a fait. Et ce geste a été le déclic, en Allemagne, d’un long travail de mémoire. Et ce geste venait d’un homme qui, dans sa jeunesse, avait payé d’un long exil, en Scandinavie, son opposition à Hitler. Mais qui, en cet instant de décembre 1970, avait, simplement, assumé la continuité. Sans une parole. Juste un geste. Pour l’Histoire.

    •    Gregor Schöllgen, Willy Brandt, Die Biographie, Propyläen, 2001.

    •    Brigitte Seebacher, Willy Brandt, Piper München Zürich, 2004.

    •    Carola Stern, Willy Brandt, rororo Bild Monographien, 1995.