Édito LFM – Mardi 06.05.08 – 07.50h
Jeunesse est mort, il avait 89 ans, et ce paradoxe, déjà, le résume. Il a été la voix la plus connue de la radio française, trois mots, trois mots seulement, un sourire, comme un soleil de midi : « Chers amis, bonjour ! ».
C’est tout. Et c’est immense. Tenir trente ans une émission comme le « Jeu des mille francs », juste avant le journal de 13h de France Inter, avaler des millions de kilomètres en sillonnant le corps le plus profond de la Province française, faire jouir une salle sur le seul mot de « Bingo ! », voilà qui paraît simple, à portée de tous, mais qui était un métier, une obstination, une passion.
Il venait de l’opérette, cette homme-là, chanteur de charme. « C’est si bon », c’est lui. Sa voix était la plus douce, la plus délicieusement aimable des ondes françaises. Plus de dix mille émissions, quelque quatre-vingt mille questions. Une sorte de quizz de culture générale, de tout et de rien, que les auditeurs adoraient. Et avec ce rien, ce bric et ce broc, l’émission, au sommet de l’audience, a tenu, avec lui, trente ans.
Parce que c’était lui, c’était Jeunesse, c’était cette vieille Province de France, ces petits Lirés, ces Saint Amand Monrond, ces bords de Loire ou de Garonne. Au fond, la voix solaire de ce saltimbanque de charme nous emmenait, en plein zénith de la journée, dans la France du grand Meaulnes. La modernité de cette émission, c’était son archaïsme. Et les gens, devant le transistor, adoraient ça.
La richesse d’une radio est celle des voix qui la composent. Celle de Jeunesse, dans nos mémoires, restera. Alors à bientôt, Lucien. Si vous le voulez bien.
Liberté - Page 1556
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Adieu, Jeunesse !
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Une droite à fédérer
Édito LFM – Lundi 05.05.08 – 07.50h
Nettement majoritaires dans les urnes le 21 octobre 2007, les différents partis de la droite suisse n’ont su montrer, dans le tohu-bohu du 12 décembre suivant, que le spectacle de leurs divisions. Depuis cinq mois, on ne parle plus que déchirure au sein de l’UDC, recherche désespérée d’identité chez les radicaux (le plus vieux parti du pays multiplie les séminaires pour savoir qui il est), quête effrénée de la couleur du vent au PDC.
Lorsqu’on aura, pour la millième fois, instruit ce que chacun a fait, minute après minute, la nuit du 11 au 12 décembre 2007, il sera peut-être temps – il est déjà bien tard – de se tourner vers l’avenir. Au-delà du roman, des anecdotes et des passions d’un moment, la recomposition des droites suisses sera l’un des enjeux de la législature.
Pour le moment, l’aventure et le jeu d’ambitions de quelques-uns n’ont fait que transformer une victoire électorale, assez rare en Europe par son ampleur (avec un PS qui a franchi, à la baisse, la barre des 20%), en un prodigieux gâchis. Les chefs du PDC et des radicaux se querellent pour des vétilles. Dimanche après dimanche, l’un se félicite du revers de l’autre dans des scrutins cantonaux alémaniques, semblant ignorer l’essentiel : le parti, depuis cinq mois, qui continue de monter dans ces cantons, c’est l’UDC. Pas celle de Madame Widmer-Schlumpf. Celle de Blocher.
Au plan fédéral, pourtant, il n’y a pas l’épaisseur d’un papier à cigarettes entre la politique des radicaux et celle du PDC. En matière financière, fiscale, en politique européenne, en position sur les bilatérales, dans le domaine migratoire et même scolaire, ces deux partis (auquel il faut, bien sûr, ajouter les libéraux, ou ce qu’il en reste) prônent le même modèle de société.
Une société qui mise sur l’individu, son énergie, sa prise de risques, sa responsabilité. Mais aussi sur la qualité de la formation, à tous les échelons, pour affronter la concurrence internationale, et les défis du futur. Une société du respect mutuel, à commencer par celui des plus faibles. Entre l’assistanat généralisé préconisé par une certaine gauche et la brutalité d’une certaine droite ultra, il y a, largement, l’espace pour un grand rassemblement. Pouvant inclure la démocratie chrétienne, le libéral radicalisme, et aussi ceux de l’UDC, beaucoup plus nombreux qu’on croit, qui ne veulent ni xénophobie, ni affiches nauséabondes. Cela fait pas mal de monde. Une très nette majorité, dans le pays.
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Mieux qu'un humain: un livre
Édito Lausanne FM – Mercredi 30.04.08 – 07.50h
Fréquenter les Salons et les Foires n’a jamais été mon fort, et ma dernière visite au Salon de l’Auto doit sans doute dater des années soixante. Mais le Livre, si. Toutes les années, depuis le début. Parce que le Salon du Livre, comme une promesse de mai, c’est la vie qui va, la vie qui recommence.
J’irai, pourquoi ? Pour dénicher une perle ? Sûrement pas. Il y a longtemps que je préfère les librairies d’occasion, Vieille Ville de Genève, Barcelone, Londres, Berlin, petites villes italiennes, marché aux puces de Saint-Rémy de Provence, c’est selon. Pour la seule et vivifiante jouissance d’aller y flairer quelques libelles ou pamphlets que les différents pouvoirs, au fil des âges, ont eu la sottise de condamner à fleurir sous les manteaux. Celui de 1944-1945, en France, pourtant si créatif à tant d’autres égards, n’ayant pas été, en l’espèce, le plus brillant. Bref, j’aime décider moi, sans tutelle ni censure, si un livre doit être lu ou non.
Non, à ce Salon, j’irai simplement par reconnaissance. Sans les livres, je ne serais rien. Je leur dois tout, ainsi qu’à mes vieux maîtres. Sauf qu’eux, les bouquins, feignant de gésir, sont encore bien vivants. Leur rendre souffle et vie ne tient qu’à nous. Ils sont là, alignés ou entassés, il suffit d’aller les cueillir. Ils sont là, et c’est votre vie même que vous revivez en les rouvrant, parfums, annotations, amours et transports de l’époque. Il y en a certains, comme les biographies de Lacouture, que j’ai bien dû lire vingt fois. Et Hergé, cent mille ! Dire qu’ils sont des compagnons n’est pas assez fort. Sans eux, c’est le parfum de mort, sur la terre.
Aller au Salon, dans ces conditions, c’est un peu rentrer chez soi. Et puis, Foire pour Foire, autant faire la fête aux livres ! Et tant pis si les puristes rechignent : le principe des comices, on le savait déjà avant Flaubert, n’a jamais été ciselé dans le silence ni la nuance. Non, c’est une affaire de fatras, de fracas, de tintamarre. Avec, dans le meilleur des cas, les délices rougissantes d’une rencontre fortuite. Un être humain, par exemple, allez disons une femme. Ou, mieux encore : un livre.