Ou : le printemps de Dom Juan et de Monsieur Dimanche
Édito Lausanne FM – Mercredi 14.05.08 – 07.50h
Un pouvoir politique en perdition, une République qui se meurt, des paras en treillis qui lancent des ultimatums aux élus légitimes, un homme, à Colombey, qui se mure dans le silence en attendant son heure. C’était il y a juste cinquante ans. C’était Alger, c’était Paris, c’était la France. Quelques jours d’une rare intensité dramatique. C’était mai 1958. Tout un enchaînement d’actions et d’événements qui allait aboutir au retour aux affaires, après douze ans et quatre mois de traversée du désert, du général de Gaulle.
La Quatrième République, pourtant, n’avait pas manqué d’hommes de valeur, à commencer par le premier de tous, Pierre Mendès France, dont les quelques mois au pouvoir, en 1954-1955, avaient été lumineux. Non, ça n’était pas une question d’hommes, mais de structures : un pouvoir parlementaire beaucoup trop fort par rapport à l’exécutif, à la merci des combinazione et des petits arrangements de partis. À la tête de l’Etat, le désert. L’impuissance impersonnelle, alors que des enjeux aussi vitaux que les guerres coloniales étaient à régler.
Sachant tout cela, l’ayant génialement diagnostiqué dans son discours de Bayeux, le 16 juin 1946, alors qu’il venait de quitter le pouvoir, de Gaulle avait toujours dit qu’il ne reviendrait que pour donner à la France de nouvelles institutions. Avec, comme clef de voûte, le chef de l’Etat. Il aura fallu ces incroyables événements d’Alger, la grande peur de la guerre civile, pour qu’il parvienne à ses fins.
A-t-il volontairement laisser pourrir la situation ? Réponse : oui, tous les historiens en tombent d’accord. Etait-il au courant de l’opération « Résurrection » qui prévoyait son retour aux affaires par des moyens plus prétoriens que démocratiques ? Réponse : oui. Mais l’homme a eu le génie de ne donner aucun gage, ni écrit ni définitif, jamais, aux quelques ultras qui s’imaginaient qu’il allait conserver, pour quelques siècles, l’Algérie française. Il faut lire Lacouture, sur ces moments incroyables, notamment lorsqu’il compare la prestation (la seule de sa vie) de De Gaulle devant l’Assemblée nationale, au dialogue de Dom Juan avec Monsieur Dimanche.
Oui, en termes de légalité, ce fut limite. Mais pour quel résultat ! Douze ans d’une stabilité et d’une prospérité exceptionnelles, un homme d’exception visible du monde entier, de nouvelles institutions qui, aujourd’hui, sont encore là, le règlement dans l’honneur de la question algérienne, la réconciliation franco-allemande. Je ne prétends certes pas que cette décennie-là ait été parfaite, rien dans l’Histoire ne l’est. Mais je serais très heureux qu’on vienne m’en citer une seule, dans l’Histoire de France, de Philippe le Bel à l’actuel orléaniste de l’Elysée, qui puisse prétendre avoir été meilleure.
Liberté - Page 1554
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L'autre mois de mai
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L'affaire sous l'affaire
Ou : la politique, cornes contre cornes
Édito LFM – Mardi 13.05.08 – 07.50h
Il faut vraiment débarquer de la Lune, ou de Patagonie, pour ne pas déceler, en filigrane de l’affaire Bagnoud, une seconde affaire, politique celle-là, dont les échéances sont extraordinairement proches : la première d’entre elles intervient demain déjà. Avec, en éclatante apparition du palimpseste, une fois décollée la fine couche de l’affaire Bagnoud, un personnage principal : Christophe Darbellay. À la vérité, il n’y a pas d’affaire Bagnoud, tout juste bonne pour le vaudeville et le juge d’instruction. Mais il y a, à l’évidence, une affaire Darbellay.
Président du PDC suisse, candidat au Conseil d’Etat de son canton (mars 2009), Christophe Darbellay doit affronter demain Nicolas Voide, pour la désignation du candidat du district de Martigny au poste de conseiller d’Etat. Autre étape, le 6 juin : le vainqueur du match Darbellay-Voide sera opposé à un poids lourd : Maurice Tornay, d’Orsières.
Or, le Nouvelliste, dans son édition de samedi, a rendu, à son corps bien défendant, un fier service à Darbellay. À quatre jours de la décision du PDC de Martigny, le quotidien valaisan a décoché les orgues de Staline contre lui, en donnant, sur une page complète, la parole à son très vieil ennemi, le féodal anniviard Simon Epiney. Présenté, en tête de page, comme une « figure tutélaire » du PDC valaisan. Quand on sait que le Nouvelliste roule pour Maurice Tornay, la ficelle apparaît plus épaisse, encore, qu’un câble de téléphérique. Téléveysonnaz, par exemple ?
Trop énorme, la ficelle, pour échapper à la sagacité du public, même si on sait que le gros des troupes conservatrices, y compris certains UDC reconvertis au PDC, investira Saxon, demain, pour voter contre Darbellay. Mais il y a mieux : on apprend ce matin que Nicolas Voide, rival de Darbellay demain soir, homme politique de valeur, qui n’était autre que l’avocat de Xavier Bagnoud (si !) dans cette affaire de douche et de poudre, renonce à l’être ! Nicolas Voide aura donc commis, en quelques jours, une double erreur : être l’avocat de Bagnoud ; ne plus l’être. Du coup, l’homme apparaît comme instable, et Darbellay regagne du terrain. Vous me suivez, ou vous êtes à nouveau sous la douche ?
Vous avouerez que jamais désignation d’un candidat par un simple district n’aura, à ce point, dépassé les frontières du Valais. Dans toute cette affaire, la maîtrise de la communication par Christophe Darbellay a été d’une rare orfèvrerie : il reste au-dessus de la mêlée, suppute avec une assassine douceur, samedi soir, que « Simon s’ennuie dans sa retraite », apparaît le lendemain avec sa fiancée à la finale des Reines d’Aproz, rend hommage à Voide, se comporte comme un homme que les missiles n’atteignent pas.
Bref, plus on l’attaque, plus il adore. C’est la politique cornes contre cornes. Avec tout le poids du corps. Des sabots qui remuent des tonnes de poussière. Et que le meilleur gagne !
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L'Evangile selon Saint Simon
Ou : le match Valais-Judas
Sur le vif, samedi 10.05.08, 14.40h
Si vous êtes trop jeune pour avoir assisté à l’exécution de Louis XVI, sur l’actuelle place de la Concorde, le 21 janvier 1793, et si par hasard vous goûtez le genre (assumons nos fantasmes, que diable !), il vous reste le loisir d’ouvrir, en page 8, le Nouvelliste de ce matin. Point n’est besoin d’être grand clerc en politique valaisanne pour découvrir, en palimpseste de chaque mot prononcé par le grand invité du jour, l’ancien conseiller aux Etats anniviard Simon Epiney, une calcination au napalm de son « cher ami » Christophe Darbellay. Dont le nom, au reste, n’est jamais prononcé. Chez ces gens-là, Monsieur, on poignarde, on retourne en jouissant sa lame dans les entrailles de l’être aimé, mais en silence.
Il y a beaucoup à dire sur cette interview, réalisée par mon excellent confrère Vincent Pellegrini : ce qu’elle dit, ce qu’elle cache, le moment où elle paraît, la haine qu’elle révèle entre deux hommes de valeur, dont chacun sait qu’ils n’ont jamais pu se supporter.
En gros le dalaï-lama de Vissoie reproche au flandrin des glaciers sa versatilité dans l’affaire du 12 décembre 2007, son alliance avec la gauche, son goût excessif pour le sens du vent au mépris des polarités magnétiques : « Le PDC, nous dit le titre de la page, doit utiliser la boussole plutôt que la girouette ». Bref, Epiney exécute. Il le fait, c’est bien sûr un hasard, à quatre jours de la décision que doivent prendre les démocrates-chrétiens du district de Martigny, entre Nicolas Voide et Christophe Darbellay, dans la course au Conseil d’Etat (mars 2009). Et à moins d’un mois du Congrès du PDC du Valais romand, le 6 juin prochain, à Châteauneuf-Conthey, où le vainqueur du match Voide-Darbellay devrait affronter un poids lourd : Maurice Tornay, d’Orsières. Accessoirement (mais c’est un hasard total) administrateur du Nouvelliste. Besoin d’une aspirine ? Vous me suivez toujours ?
Si j’étais correspondant de guerre, je résumerais le front en paraphrasant le plus grand écrivain valaisan encore vivant : je parlerais d’un match Valais-Judas. Avec un quotidien orangé qui roule, par poudres et douches interposées, pour Darbellay, le quotidien valaisan qui roule pour Tornay, le public qui commence à n’y plus rien comprendre, ce qui m’a amené, dans la douceur de ce samedi après-midi précédant Pentecôte, à prendre modestement ma plume exégétique.
Tu me diras, ami lecteur, que je ne fais que décrypter, sans donner mon commentaire. Tu as raison. Pour une fois, je m’en tiens là. Je ne dirai donc pas à Simon Epiney qu’il a raison sur le « grand parti de centre droit auquel on peut associer une partie de l’UDC ». Tellement raison qu’il me semble même l’avoir dit, exactement en ces termes, dimanche soir à Infrarouge. Je ne lui dirai pas, non plus, que tout cela, tout ce qu’il sort aujourd’hui, il aurait eu des années pour le faire, plutôt que quatre jours avant une échéance capitale pour son vieil ennemi. Mais enfin, nul, même sur les bords de la Navisence, n’est à l’abri d’une petite faiblesse, non ?
Ficelles, trocs et combines, câbles de téléphérique, hommes de paille et hommes de main, la politique valaisanne, décidément, n’a pas fini de nous passionner. Parfum de trahison, tentative de rédemption, promesses de postes, il y aurait là tous les ingrédients d’un roman. Le prochain de Monsieur Janus, peut-être ?
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