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Italie : le quota qui fait peur

 

Sur le vif - Samedi 09.01.10 - 17.40h

 

De tous les pays du monde, l’Italie est celui que je préfère. L’air y est doux, la cuisine divine, les vins incomparables, les huiles variées et savoureuses, la langue souple et sonore, l’Histoire omniprésente. Ne parlons pas des paysages, des rivages abrupts du Trentin, sur le lac de Garde, aux collines de Toscane ou d’Ombrie, en passant par la grande plaine d’Emilie, où coule le grand fleuve. Ne parlons pas de Manzoni, Verdi, Toscanini, Fellini, Visconti, Pasolini. L’Italie, où je me rends depuis un demi-siècle, est pour moi une parcelle du paradis : c’est bien sûr la vision de quelqu’un qui n’y habite pas toute l’année, n’a pas à en supporter tous les défauts, dont une bureaucratie étouffante, j’en suis conscient.

L’Histoire italienne, justement, très complexe, je l’ai beaucoup étudiée. Extraordinairement difficile de trouver, comme dans l’Histoire de France, un fil conducteur : le long chemin du pouvoir central (quarante rois, puis la République) pour s’affirmer face aux ferments de dispersion. Non, dans l’Histoire italienne, il y a le poids des régions, celui des dialectes, l’impossibilité, jusqu’à une période très récente, de constituer une nation. Pire : l’impression que rien n’est définitif, la construction de Garibaldi, Cavour, Victor-Emmanuel, et au fond aussi le Mussolini des premières années, puis celle de la Democrazia Cristiana de l’après-guerre, qui pourrait à tout moment se lézarder, Ligue du Nord par ci, disparité des richesses entre une Lombardie d’une incroyable vitalité économique et un Mezzogiorno encore très agricole. Non, la question italienne n’est pas réglée, comme aucune question nationale d’ailleurs. Mais enfin, j’aime ce pays, je suis attentif à son destin. Il m’emplit souvent de joie, et parfois, surtout ces temps, me fait un peu peur.

Peur, oui : limiter à 30% le quota d’enfants étrangers dans les classes des écoles me fait peur. Je ne nie pas une seconde que la démographie italienne se heurte à un important problème d’immigration. Je ne disconviens pas non plus qu’il soit plus facile de juger de Genève, où j’habite, que de la Calabre (où une véritable chasse à l’immigré vient de se produire) ou des Pouilles, sur les plages desquelles affluent régulièrement des embarcations clandestines. Tout cela, oui. Mais ce quota, dans une grande démocratie occidentale, qui n’est pas une République bananière, mais l’une des souches et des racines les plus puissantes de notre culture européenne, je ne puis en admettre le principe.

Car l’école, c’est le creuset. Bon an, mal an, avec sans doute plein de défauts et plein de choses à redire, il se trouve que la République et Canton de Genève, depuis un Monsieur qui s’appelait André Chavanne, assume des classes avec des proportions souvent bien au-delà de 30% d’étrangers, et je ne crois que cela ait perdu notre Ecole. Un peu freiné, un peu ralenti, sans doute, mais enfin au prix incomparable de l’intégration. Avant d’entrer en journalisme, il y a un quart de siècle, j’ai enseigné l’allemand dans un Cycle d’Orientation à forte proportion d’étrangers : je n’ai jamais senti cela comme un inconvénient, bien au contraire. D’ailleurs il se trouve que nombre de ces élèves-là, souvent, étaient les meilleurs.

Admettons que ce quota italien provienne d’une bonne intention, répartir les migrants pour éviter les éruptions de xénophobie, une sorte de seuil de tolérance. Ce serait là, au mieux, une vision sociologique. Mais pas une vision républicaine. La République, c’est l’école pour tous. Et chaque élève, égal à un autre. Non pas égal en dons, en talents. Mais égal en considération. Là, il n’y a plus de races, plus d’étrangers, plus de religions : il n’y a que des élèves, face aux exigences d’un programme. Dans cette vision-là, au fond française (mais aussi suisse romande), l’idée de quotas ne passe pas.

La jeune ministre italienne de l’Education, Mariastella Gelmini (36 ans), dit que l’Ecole de son pays doit maintenir ses propres traditions avec fierté et diffuser la culture du pays. Là, elle a parfaitement raison : toute communauté humaine a des valeurs à transmettre, et n’a nullement à en avoir honte. Mais précisément, l’intégration, c’est recevoir des étrangers, en leur indiquant qui sont les hôtes, ce qui les fédère, quelles sont leurs règles. En quoi ce travail, capital, se ferait-il moins bien avec 35% qu’avec 29% de migrants ?

Au-delà de cette affaire de quotas, le rapport des Italiens à l’immigration devient un thème majeur de la politique en Europe. A suivre, de très près, car nous ne sommes pas là dans les marches improbables d’un empire. Mais dans notre grand voisin du sud, ami, aimé, qui nous a tant donné. Et qui constitue pour nous, en tout cas pour celui qui signe ces lignes, une matrice incontournable, incomparable. Comme un réseau de racines, enchevêtrées, quelque part dans la chaleur de notre passé. Une mère, au fond.

 

Pascal Décaillet

 

 

 

 

 

 

 

 

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