Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Liberté - Page 1552

  • Moritz et la pâleur de l’éternité



    Edito Lausanne FM – Mercredi 21.05.08 – 07.50h



    Revoilà donc, en direct de la voie lactée, notre Pierrot lunaire. L’homme qui ne gouverne pas, ne décide pas, mais, tel la Pythie de Delphes, se contente de donner des signes. Il s’appelle Moritz Leuenberger, il est là depuis treize ans : de loin le plus ancien de nos conseillers fédéraux. Déjà, l’éternité le guette.

    L’homme des signes. Que, d’ordinaire, nul mortel ne saisit. Ni ses adversaires, ni surtout ce qu’il est convenu d’appeler ses amis politiques, mais ces deux mots sont un oxymore. Ses « amis », les socialistes, à chacune de ses déclarations, s’arrachent ce qu’il leur reste de cheveux, littéralement horripilés, au bord de la crise de nerfs, Almodovar.

    Lui, au-delà des nuées, plane. Le week-end dernier, il « lance l’idée » de privatiser partiellement les CFF. Tabou, tollé, ramdam, patatras. No problem : cette idée, aussitôt, il la retire. C’est vrai quoi, on ne va tout de même pas se battre pour des idées, c’est d’un autre temps, un temps d’avant l’art contemporain et les cuillers de caviar dans les galeries zurichoises, calmez-vous camarades, c’était juste un ballon d’essai.

    Plus céleste, encore : lundi, il lance l’idée de détruire les voitures des chauffards. C’est un peu méchant pour les voitures, qu’il avait si poliment saluées lors d’un Salon de l’Auto, mais enfin pourquoi pas. Il la lance, mais aussitôt ajoute : « Peut-être, c’est juste une idée, je ne sais pas ».

    C’est cela, peut-être, son problème : juste des idées. Qu’il sème, à tous les vents, c’est Larousse et c’est le discobole. C’est Moritz Leuenberger. Que guette l’éternité. Pâle et lunaire, comme un bon mot. Dans une galerie, à Zurich.

  • Zappelli, l'Ange exterminateur

    Un Procureur général, dans la nef d’une Cathédrale, « instruisant » ouvertement ses ordres à une cheffe de la police vêtue d’une écharpe de maire, de beaucoup de probité candide, d’un éphèbe duvet d’écarlate sur les joues. Voilà, hier soir, qui ne relevait pas de la République de Genève, mais de l’un des plus grands films de Bunuel, l’Ange exterminateur.

    Rarement, dans le même site, tant de confusion des pouvoirs. Daniel Zappelli, ivre de son triomphe face à l’aérien Paychère, s’adressant avec une jupitérienne immédiateté à une haut fonctionnaire ne dépendant absolument pas de lui, mais du conseiller d’Etat Moutinot, au demeurant présent, mais Belle au Bois dormant, innocence, pesanteur des paupières, torpeur, tristesse de la chair, face à la tonitruance de l’homme en chaire.

    C’était tout cela, c’était Saint-Pierre, clefs du Paradis, de la toute puissance. Débordement des compétences, obédience de l’assistance, conformisme de pouvoir, noce chez les petits-bourgeois, orthonormés comme des pingouins, nord-sud, dans les travées.

    C’était une cérémonie ordinaire, retransmise, hertzienne, mariage d’Elisabeth, couronnement de Napoléon. Ne manquait que Madame Mère. Et son énigmatique sourire. Au pays de Calvin, de François Paychère, de Michel Simon, et de la longeole. Sont-ils au moins, la cérémonie finie, sortis de la Cathédrale ? Cela, seul l’Ange exterminateur le sait. Et, peut-être, quelques gisants. Souriants et rassasiés.



  • Balmer, magnifique Guitry



    Édito Lausanne FM – Mardi 20.05.08 – 07.50h



    « La Libération, j’en aurai été le premier prévenu ! ». Un bon mot, de Guitry lui-même, pour résumer avec élégance les soixante jours de prison, sans la moindre inculpation, qu’il aura dû traverser au moment où Paris, « par soi-même libéré », cherchait partout des coupables, y compris dans les directeurs de théâtre ayant continué de monter des pièces sous l’Occupation. « Reprocherait-on à un boulanger de continuer à faire du pain ? », demande Guitry à son juge d’instruction.


    Ce Guitry de presque soixante ans, cueilli dans sa maison, en robe de chambre et pantoufles, par de petites frappes qui se font appeler « FFI », c’est Jean-François Balmer qui l’incarne. C’était hier soir, sur TV5 Monde. Et c’est un bonheur que ce jeu d’acteur : comédien incarnant un autre comédien, tantôt grave et tantôt cabot, ici fataliste, là révolté, confessant ses faiblesses et ses accointances, mais rappelant qu’il n’a commis nul crime, c’est Balmer au sommet de son art. C’est Balmer et c’est Guitry, tant l’un se fond dans l’autre, l’incarne : quelques haillons, sous le peignoir rouge, de saisissante humanité.

    C’est le 23 août, soit 48 heures avant la libération officielle de Paris, que l’immense homme de théâtre est arrêté. Au milieu des combats, des sacs de sable entassés qui forment barricades contre les ultimes troupes du général von Choltitz, on l’emmène au Dépôt, cher à Simenon. Puis au Vel d’Hiv, puis à Drancy, deux lieux tout sonores, encore, de l’infamie qui s’y était perpétrée, deux ans avant. Puis à Fresnes. La prison, mais nul chef d’inculpation, jamais. Juste « la rumeur », ose confesser le juge d’instruction.

    Ce Guitry-là subit, davantage qu’il ne se révolte. Il fait souvent référence à son père, le grand Lucien Guitry, dont il tente d’extraire au greffe le portrait, qu’il veut garder sur lui. Pendant ces soixante jours, il fréquente tous les premiers clients d’une Epuration qui ne fait que commencer : ministres du Maréchal, prisonniers pour délits d’opinion, innocents ramassés à la hâte, mais aussi authentiques crapules, ayant livré des Juifs. On sait, aujourd’hui, à quel point cette « justice »-là fut expéditive, et souvent, tout simplement, n’en fut pas une.

    Reste Balmer, dans Guitry. Un travail d’acteur magnifique. À voir, et revoir. Pour Guitry, pour Balmer, et avant tout pour la seule chose que rien ne peut épurer : le bonheur, fugace mais si délicieux, de l’incarnation d’un humain par un autre.