Nous sommes le 22 novembre 2009. Il y a 46 ans, John Fitzgerald Kennedy tombait, quelque part à Dallas, sous les balles d’un tueur. Il avait lui-même 46 ans. De sa naissance à sa mort, de sa mort à aujourd’hui, la distance est égale. Amoureux fou des chiffres, je me laisse troubler par cette équidistance.
La nouvelle de l’assassinat de Kennedy est mon plus vieux souvenir politique. J’ai cinq ans et demi. Je reviens de l’école, enfin de la maternelle. Cuisine. Vieille radio, très grande, dans un coin de la salle à manger. Et ma mère qui pleure. « Kennedy a été assassiné ». Je ne sais ni qui est cet homme, ni surtout ce qu’est un assassinat. Le cortège de Dallas, Jacky qui fuit sur le capot arrière, tout cela, nous ne l’avons vu que plus tard. Pour l’heure (c’était midi), il n’y avait que la résonance de ces dix syllabes : « Kennedy a été assassiné ». Nous étions en 1963. Un an avant, l’Algérie était encore française.
Ensuite, il y a eu Johnson, les années Vietnam (que Kennedy avait d’ailleurs initiées), la contestation. Et nos premiers jeux d’enfants, dans d’improbables chantiers, consistaient à nous répartir les rôles : « Toi tu fais Kennedy, moi je fais l’assassin ». Pour Jacky, il n’y avait personne : la notion de « fille » était pour nous aussi étrangère que celle de l’eau vive au plus profond du désert. Nous n’étions ni heureux, ni malheureux. Nous vivions nos vies. Mais une chose est sûre : pour beaucoup d’entre nous, ces dix syllabes auront sonné comme la fin de l’insouciance. Non pas celle de l’enfance (encore que…), mais à coup sûr celle de l’âge d’or.
Pascal Décaillet