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Liberté - Page 1550

  • La mort, sans domicile fixe


    Édito Lausanne FM – Mercredi 28.05.08 – 07.50h

    Un petit livre, aux pages épaisses et denses, il tiendrait dans une vareuse. J’ai d’abord pensé à un psautier, comme ceux de ma famille, où on glisse, au fil des ans, les images des morts. Et ça tombe bien, puisque c’est un petit livre sur la mort. Ou plutôt autour de la mort. Pas la mort métaphysique, non, juste le trépas, celui qui vient de survenir, et le métier des quelques humains qui, les tout premiers, viennent à sa rencontre.

    Ils sont policiers, membres d’une brigade spéciale, médecins légistes, préparateurs, maîtres de cérémonie, croque-mort. Thierry Mertenat, journaliste, et Steeve Iuncker, photographe, ont choisi, pendant des mois, d’accompagner ces professionnels sur le lieu de leur travail. Suicides, accidents, décès solitaires dans des appartements, il faut bien, toujours, que certains, sur les lieux de ces drames, arrivent. Constats, repérages, gants, masques, « la couleur et l’odeur de la mort » (Iuncker), tout un ensemble de gestes pratiques que n’importe quel lecteur de Simenon connaît. Croit connaître. Le docteur Paul, vieux complice de Maigret. Ou encore le grand Moers, de l’Identité judiciaire.

    Saisissantes, les photos de Iuncker. Ici, un Christ sucré et sulpicien, dans la lumière blafarde d’une chambre mortuaire. Là, ce sont des mouches, à une fenêtre. Le texte de Mertenat, sobre et précis, en forme de tableaux. Des deux, lequel est le peintre, lequel le chroniqueur ? La photo n’illustre pas le texte, pas plus que l’écrit ne légenderait l’image. Deux actes de liberté journalistique, deux regards au sens fort, c’est la force de cet ouvrage.

    Restent les portraits de ces femmes et ces hommes qui, à longueur d’année, descendent sur « le terrain », premiers vivants à rencontrer le mort. Les premiers à devoir annoncer la chose à la famille. « Il faut donner l’information très vite, au début », nous confiait hier Christian Luthy, inspecteur, chef de la Brigade du commissariat, 53 ans.

    Un petit livre, rude et sans concessions, avec beaucoup d’humanité. Un livre sur la mort ? Un livre sur les premiers survivants, les premières approches. Un livre, juste à la marge. Celle de la vie. Celle de nos habitudes. Un livre à découvrir, c’est sûr.


    *** « Levées de corps », de Steeve Iuncker et Thierry Mertenat, Editions Labor et Fides, mai 2008.

  • Claude Mauriac, l’humanité d’une œuvre



    Édito Lausanne FM – Mardi 27.05.08 – 07.50h



    Depuis plus de trente ans, Claude Mauriac m’accompagne. L’un des hommes les plus attachants, parmi ceux qui ont écrit des livres. Un nom qui a su se faire un prénom, la troublante pesanteur d’une filiation, et surtout un immense journal intime, « Le Temps immobile », un jeu de miroirs qui semble se rire de la chronologie, dans le fourmillement du siècle.

    Naître en 1914, c’est naître avec le siècle. Lorsque Claude vient au monde, François, son père, 29 ans, est déjà un auteur reconnu, une star des salons parisiens. Toute sa vie, il la vivra dans l’ombre de ce nom, et pourtant nulle ligne, jamais, dans toute son œuvre, où il la définirait explicitement comme encombrante. Claude Mauriac apparaît comme un être angoissé, mais aussi d’une grande douceur, affectueux : besoin de famille, d’amitiés fidèles, besoin de grands hommes à admirer. Sur ce dernier point, il sera servi.

    Je pensais avoir tout lu de Claude Mauriac, d’où ma divine surprise (on me pardonnera cette fugace référence maurrassienne…) à découvrir « Quand le temps était mobile, Chroniques 1935-1991 », qui vient de paraître, aux Editions Bartillat. C’est le Claude Mauriac des chroniques de journaux, un terrain de plus où il n’aura pas eu peur de s’aventurer sur les traces de son père. Rien à voir, d’ailleurs, ni dans le ton, ni dans le style : à des milliers de lieues de la sainte férocité du Bloc-Notes paternel ! Claude nous dit, simplement, les choses telles qu’il les vit. On y retrouve évidemment le de Gaulle de 1944-1945 (dont il est, à ce moment-clef, le secrétaire).  Mais aussi Brasillach (que Claude et François tentent désespérément de faire échapper au peloton d’exécution). Mais encore, pêle-mêle, Gide, Maurice Chevalier, Jean-Paul II, Georges Duhamel, André Maurois, Jean Guitton. Bref, le siècle qui défile, comme en cinémascope.

    Il aime la famille et semble en avoir besoin. Mais nulle référence, et c’est tout de même troublant, à tout ce que ce mot a pu recouvrir de monstrueux dans l’œuvre de son père. Que pensait-il de Thérèse, Claude ? Du Sagouin ? Du Nœud de vipères ? Que pensait-il de Phèdre et d’Hippolyte ? Voilà l’auteur d’un monumental journal qui se livre, et ne se livre pas. On jurerait presque que, sur l’essentiel, il aurait comme choisi de se taire, et c’est cela, je crois, qui me touche. Reste l’humanité de cette œuvre, son regard sur ses contemporains, la chaleur de sa personne. On croit aller vers un grand nom. On rencontre, à la fin, la solitude d’un enfant perdu, la simplicité d’un prénom.


    *** Claude Mauriac, « Quand le temps était mobile, Chroniques 1935-1991 », Editions Bartillat, 2008.

  • L'Ecole, un enjeu national



    Édito Lausanne FM – 26.05.08



    Jeune conseiller national genevois, le radical Hugues Hiltpold n’a pas peur de se faire des ennemis. Lancée dans la presse ce week-end, sa proposition de quotas d’élèves allophones (non francophones, pour la Suisse romande) par classe va manifestement faire parler d’elle. Les uns applaudiront, d’autres crieront à la ségrégation. Mais l’idée fera son chemin : Hiltpold entend la porter au plan national. Et c’est cela, dans la question scolaire, qui devient de plus en plus intéressant.

    On pourra invoquer tant qu’on voudra le fédéralisme, cette étrange juxtaposition de 26 systèmes dans un pays moins peuplé que la seule région parisienne, une réalité, doucement, s’impose : les grands enjeux, autour de l’Ecole, de plus en plus, vont se poser au niveau intercantonal, voire fédéral. Les partis politiques nationaux, qui ont, pendant des décennies, laissé en friche la question scolaire, commencent à s’y intéresser avec une vision suisse globale. L’Ecole sera par exemple, à coup sûr, l’un des premiers dossiers communs du regroupement de la droite non UDC : PDC, radicaux et libéraux.

    Oh, certes, il faudra encore du temps, chaque canton ayant ses problèmes propres à régler : à Genève, la réforme du Cycle d’Orientation, avec une votation populaire (sans doute en décembre) entre deux initiatives antagonistes, et un contreprojet du Conseil d’Etat. Mais, progressivement, on va de plus en plus parler de l’Ecole obligatoire dans des débats nationaux.

    L’Ecole obligatoire : la plus importante, la plus fondatrice, la plus universelle, puisqu’elle touche tout le monde. Il est bien temps que son destin soit sur la place publique. Que son avenir soit tranché par l’ensemble du corps électoral, c’est bien le moins en République. Car l’Ecole n’appartient ni aux seuls enseignants, ni aux parents, ni surtout aux experts. Elle est – elle devrait être – la chose de tous. Il ne s’agit évidemment pas de confier au suffrage universel le détail des programmes, il faut pour cela faire confiance aux enseignants, et les appuyer dans leur magnifique métier. Mais les grandes lignes, les grandes options stratégiques, oui, doivent se trancher par le corps électoral le plus large possible, à la suite de grands débats citoyens, où toutes les voix auront pu s’exprimer.