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Liberté - Page 1551

  • Radio: l'illusion participative

    Sur le vif - Dimanche 25.05.08 - 16h

     

    « Gestionnaire de plate-forme » : ça n’est pas une annonce pour un poste de concierge dans la prospection pétrolière en mer du Nord, c’est la nouvelle définition du journalisme. Elle a été libellée, comme telle, ce lundi 19 mai 2008, aux alentours de 09.57h, dans l’émission Médialogues, au demeurant excellente, sur la Première.

     

    Je suis entré dans ce métier voilà bientôt un quart de siècle, je lui ai donné toutes mes forces, beaucoup de passion, des années d’écrit, vingt ans d’audiovisuel, des amis, des ennemis tenaces, la santé qui essaye de suivre, mais je ne savais pas que j’étais un gestionnaire de plate-forme. C’est fou, tout de même, ce qu’on peut s’ignorer soi-même. A s’étrangler de ciguë, non ?

     

    Je pensais, un peu naïvement, à mes débuts, au « Journal de Genève », au milieu des années 80, qu’il y avait dans ce métier une mission d’information, une fonction républicaine : faire vivre la Cité, dans toutes ses tensions dialectiques. Et puis, aussi, parallèlement, proposer une vision éditoriale : les uns vous encensent, d’autres vous conspuent, mais enfin c’est vous, vous êtes responsable : j’ai toujours considéré l’exercice du commentaire comme un acte de liberté, ou tout au moins de patient affranchissement, où l’individu, comme en ombre chinoise, doit exister très fort. Là aussi, on me rejoint ou non, mais c’est ma vision. Celle aussi, je le sais, celle de pas mal de confrères et consœurs qui osent plus ou moins le dire tout haut.  Elle aurait pu être, bien avant nous tous, la vision d’un Docteur Stockmann, le héros de « L’Ennemi du Peuple », de Ibsen : je vois encore Jean-Louis Hourdin, de façon si bouleversante, l’incarner. Ibsen, Norvège, pétrole, plates-formes : tout se tient.

     

    Alors quoi, assumer sa solitude ou s’en aller gérer des plates-formes ? Une affaire de collier, de chien et de loup, qui rebondit à la lueur de la nouvelle mode radiophonique : le tout au participatif. Désormais, le public est à ce point encensé, ses réactions à ce point sollicitées, que la fonction du journaliste, toute castration bue et consommée, ne serait plus, désormais, que de canaliser, mettre en page, en ondes, le flux ontologiquement génial des « contributions » citoyennes. « Une forme de gestion de plate-forme » : Médialogues, lundi 19 mai 2008, 09.57h, en réponse à une excellente question d’Alain Maillard.

     

    Canaliser, mettre en page, cela porte un nom : cela s’appelle un secrétaire de rédaction. Fonction certes majeure, mais à laquelle nul de sensé (si ce n’est l’éminent confrère qui veut faire gérer des plates-formes) ne saurait réduire le journalisme. Il est où le journaliste, dans toute cette conciergerie ? Il est où, son passé ? Elle est où, sa mémoire ? Ses frottements, son vécu, ses combats, sa vision ? Au vestiaire ? Dans le sas de décompression de la plate-forme ? On le stérilise, on le neutralise ? Pour en faire quoi ? Un ventilateur de plate-forme ? C’est peut-être une vision du métier, pourquoi pas. Mais vous aurez sans doute compris que ça n’est pas exactement la mienne.

     

    Reste une question, la seule qui vaille : en admettant que les énergies fossiles aient encore quelque avenir, la jouissance existentielle, elle viendra d’où ? De celui qui gère la plate-forme, sa cafétéria, son magasin du matériel ? Ou de celui qui, de temps en temps, peut-être, trouve du pétrole ?

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • La poésie, à haute voix



    Édito Lausanne FM – Vendredi 23.05.08 – 07.50h



    Hier soir, j’ai invité Richard Vachoux à venir lire en public « Le rêve de Bismarck », cet inédit de Rimbaud publié le 25 novembre 1870 dans le « Progrès des Ardennes », sous le pseudonyme de Jean Baudry. Certains y voient un faux. Mais Jean-Jacques Lefrère, grand spécialiste de Rimbaud, nous affirmait hier sa certitude d’un texte authentique, dont on connaissait d’ailleurs l’existence, mais qui s’était perdu.

    Très rimbaldiens à coup sûr, le style, le rythme, la couleur, le piquant : ce Rimbaud de seize ans, l’année de la guerre franco-prussienne, son génie poétique déjà en marche. Et ce texte, Richard Vachoux est venu le lire, le découvrant d’ailleurs en se l’entendant dire. On aime ou non le style d’interprétation de ce bel acteur qui a tant fait, depuis des décennies, pour la notoriété des poèmes, mais ce fut un moment privilégié.

    « Dire la poésie », insiste Vachoux. À haute voix, face à un public. Il rappelle volontiers l’oralité perdue des grands chants épiques, celle de l’Iliade et de l’Odyssée, colportées par des aèdes qui les connaissaient par cœur, et qui ne furent mises sur papyrus que plusieurs générations plus tard. Dire le poème, le mettre en voix, avec du volume, des intonations, un rythme, des couleurs. Et, bien sûr, le risque de déplaire. De trahir la petite chanson qui trottinait, sur tel texte, en chacune de nos têtes. À coup sûr, l’exercice est périlleux.

    Dire un poème, dès l’école. Amener les enfants à ce moment, jouissif pour les uns, tétanisant pour d’autres, où ils doivent, un peu, beaucoup, se dévoiler devant leurs camarades. Trop monocordes, on rira de leur réserve. Trop expansifs, on en rira encore plus. De l’un à l’autre, pourtant, quelques critères objectifs : parler clair, jusqu’au fond de la classe, dégager les syllabes, mettre en valeur le texte, respecter le rythme, et, pour les plus doués, la prosodie. Pour les uns, oui sans doute une petite torture. Mais pour d’autres, peut-être, le bonheur d’une découverte, un chemin de traverse, un imprévu, la promesse d’en lire d’autres, et d’autres encore. Rien que pour cela, l’exercice vaut la chandelle.


    *** Richard Vachoux anime les «Dimanches poétiques» du Poche, Genève, les 25 mai et 1er juin à 11 h 30.




  • Pharmaciens socialistes, votre avis nous intéresse !

     

     Édito Lausanne FM – Jeudi 22.05.08 – 07.50h



    J’ai déjà dit et souligné les mille bonnes raisons qu’il y avait à combattre l’initiative de l’UDC sur les naturalisations. Non sur le texte lui-même, qui se contente de replacer la commune au centre de gravité de la décision, mais sur ce qui pourrait, in fine, se produire, en cas de oui : des citoyens octroyant à la tête du client, voire à la consonance du nom, la nationalité suisse. Le débat est dans l’arène, le peuple tranchera dans dix jours.

    Et elle semble – soyons prudents – avoir basculé, l’opinion publique, à en croire le dernier sondage GFS-SSR, publié hier soir. Il y aurait une majorité de non. Déterminantes seront, le 1er juin, la majorité des cantons, et surtout la carte électorale des Ja et des Nein, la Suisse alémanique étant appelée à être un théâtre décisif de la votation.

    Un mot sur la propagande : vous avez remarqué ? Pas un jour sans qu’un Grand Conseil de Suisse romande, ou un Conseil d’Etat, ou le gouvernement d’une Ville (Genève détenant la palme d’or de l’exercice) ne vienne, en grand défenseur des droits fondamentaux, appuyer le camp du non. Dernière en date de ces interventions, celle des « Conseillers d’Etat radicaux et libéraux de Suisse romande » ! Annonce payante (par le contribuable ?), en page 8 du Temps de ce matin.

    Diable ! Voilà bien une instance capitale, fondamentale, vous y auriez pensé, vous ? Il y avait déjà les professeurs de droit, à peu près toujours la même liste de signatures, à prétention urbaine, éclairée et moralisante, de scrutin en scrutin, voilà maintenant la modeste relique (Dieu, ce qui frappe, c’est qu’ils sont si peu, désormais !) de grands vieux partis gouvernementaux.

    Demain, peut-être, les pharmaciens socialistes ? Les notaires genevois d’origine jurassienne ? Les partisans de Tornay passés dans le camp de Darbellay ? Les bisexuels protestants ?

    Oh, certes, chacun, ici-bas, a bien le droit de s’exprimer, nous sommes libres de nous associer, de nous assembler, de nous réunir dans des cabines téléphoniques, de nous y embrasser jusqu’aux pâles heures de la nuit. Libres, aussi, d’assumer ce zeste de dérisoire qui rend la vie, décidément, si surprenante et si belle.