Sur le vif - Samedi 18.03.23 - 18.46h
Je suis absolument opposé à l'idée que les journalistes devraient être gentils entre eux, se ménager, ne jamais s'attaquer mutuellement, sous prétexte que "la situation est déjà assez difficile comme cela dans la presse suisse".
Je rejette toute idée de corporation dans le journalisme. Je suis journaliste professionnel depuis bientôt quarante ans, mais en même temps, je suis entrepreneur depuis dix-sept ans. Ceux avec qui je discute le plus, avec qui je me sens le plus d'affinités, ce sont les autres petits entrepreneurs, ou même minuscules entrepreneurs. Mais entrepreneurs quand même !
Je les côtoie tous les jours, dans le quartier où j'ai le bureau de mon entreprise, ils sont de tous les secteurs, artisanat, petite industrie, garages, bureaux d'architectes, etc. Avec eux, j'ai des valeurs communes. Le combat pour l'indépendance, la survie économique, la qualité des finitions, le lien de confiance avec les partenaires. Mon état d'esprit professionnel, c'est celui-là.
Il y a plein de journalistes que j'apprécie, ne serait-ce que mes excellents confrères - et soeurs - de Léman Bleu, GHI, et pas mal d'autres, tous médias confondus. Mais je rejette violemment l'idée qu'il faudrait sauver à tout prix le journalisme en tant que tel, celui qui (sans remonter à Théophraste Renaudot), a pris forme à l'époque de Balzac, celui des "Illusions perdues", puis de la Révolution industrielle, et a vécu deux siècle. J'en connais, au passage, toute l'Histoire par coeur. En Suisse. En France. En Allemagne.
Je suis un partisan acharné des réseaux sociaux, enfin plus précisément de celui sur lequel vous me lisez, c'est le seul où je sois actif. Je n'y suis pas pour bavarder, ne commente jamais les textes des autres, ni même les miens propres. Non, c'est un outil de travail et d'expression, il est souple, rapide, il ne peut que convenir à merveille à l'homme de radio que je suis fondamentalement. Les journalistes qui se permettent de vomir sur les réseaux sociaux, sous prétexte que ces derniers charrieraient plus de "fausses nouvelles" qu'eux-mêmes, sont des ectoplasmes d'archaïsme, de conformisme, de conservatisme, de jalousie.
Le temps des salles de rédaction se termine doucement, avec horaires de présence, séance le matin à 9h, séance à 14h, séance de finition à 18h, tout cela c'est révolu. Les "équipes", les ineffables "rubriques", les petits chefs, les armées mexicaines, les syndicats, les rumeurs de cafétérias, les clans rivaux, tout cela c'est bientôt fini. La numérisation, l'individualisation, la simultanéité du réseau, l'accès immédiat à des milliards de données, tout cela s'apprête à faire voler en éclats le petit monde des "équipes rédactionnelles", des "discussions enrichissantes en briefing" (tu parles, des matamores, souvent les plus nuls pour le produit final), tout cela c'est fini.
Je ne veux plus entendre parler du journalisme. C'est du passé. Ce qui compte, c'est la curiosité de chacun de nos esprits, le tien, le mien, ceux de tous les autres. Ce qui compte, c'est le chemin de connaissance, le "Unterwegs zur Sprache" de Martin Heidegger. Ce qui compte, c'est la passion viscérale de se renseigner, aller voir, ne rien tenir pour acquis.
Le reste, les étiquettes ronflantes sur les cartes de visite, le papier à lettres qui se meurt au fond des tiroirs, la "mission d'informer", celle (encore plus délirante) "d'éduquer les citoyens", tout cela c'est du vent. De la vanité. Du vacarme, pour mieux couvrir le néant.
Pascal Décaillet