Sur le vif - Mardi 12.09.23 - 14.17h
Dans l'Histoire d'un pays, il y a un temps pour la raison, et un temps pour le coeur. Et je pourrais ainsi, comme dans l'éblouissant passage de l'Ecclésiaste, recenser la succession de tous ces temps. En l'espèce, ils alternent. Parfois, ils s'épousent. Se superposent. Se confondent. Parfois, ils se déchirent : la Raison triomphante prétend anéantir l'émotion, parfois la réciproque.
Ainsi, le 1er août et le 12 septembre. J'invite mes compatriotes à aimer ces deux dates : elles ne se contredisent pas, elles se complètent.
Le 1er août, c'est la Suisse des mythes. Au sens, non de mensonge, qui est une dérive populaire du mot, mais bien au sens grec : un mythe, c'est un récit. Il circule, on le partage, on l'adapte, on le représente, on lui donne vie. Toute nation se nourrit de mythes fondateurs. Alors, il y a les feux dans la nuit d'été, le bonheur d'être ensemble, de dire son amour du pays : le 1er août parle directement au coeur de tous les Suisses.
Le 12 septembre, pour lequel je plaide depuis 25 ans, c'est la Suisse fédérale. Les radicaux, dans leur moment historique le plus puissant, le plus fécond. Le Freisinn. La Vernunft. Libre-arbitre, libre conscience, Raison dialectique, Kant, Hegel, l'Aufklärung, toute l'extraordinaire aventure de la philosophie allemande, dans la seconde partie du 18ème siècle. C'est cela, les racines historiques et intellectuelles du radicalisme suisse.
Le 12 septembre 1848 (175 ans, jour pour jour) n'a pas du tout, dans le grand public, le rayonnement émotionnel du 1er août. Face aux élans du coeur, que peut la Raison démonstrative, même celle de Kant ? La date est moins connue, ne parle guère aux gens. Eh bien je dis : pas grave ! Un humain, c'est un cerveau, et c'est un coeur. Écoutez Debussy, Bartók : nous avons des neurones pour en identifier la structure, le tempo. Et nous avons des yeux pour verser des larmes sur la couleur de chaque note. Nous sommes des humains. Un patriote, c'est un humain comme un autre, rationnel et bouleversé, tout à la fois.
Aujourd'hui, je pense à la Suisse. A la grande aventure de notre pays, au coeur de l'Europe. A tout ce qu'il peut apporter à ce continent dont il est la matrice, l'ombilic. A tout ce que chacun de nous peut faire, à son niveau, pour le pays.
Pascal Décaillet