Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Sur le vif - Page 174

  • Les Américains nous refont le coup du "monde libre"

     
    Sur le vif - Samedi 26.03.22 - 15.24h
     

    Il fallait s'y attendre, tant ils sont prévisibles : voilà que les Américains nous refont le coup du "monde libre". Kennedy nous l'a fait à Berlin en 63, Reagan l'a copié en 87, Biden nous le sert à Varsovie. Le "monde libre", c'est le passage obligé des Présidents américains pour nous rappeler qu'ils sont le bien, la vertu, la démocratie. Et en face, le mal, le vice, la dictature.
     
    Pendant toute la Guerre froide, l'expression "monde libre" a prospéré. Les Américains passaient au napalm le Vietnam, plaçaient leurs dictateurs en Amérique latine, étendaient leur domination sur la planète, mais c'était au nom du "monde libre".
     
    Face à l'Iran, puis face à l'Irak, ils étaient le monde libre. Face à Salvador Allende, ils étaient le monde libre. Face la Serbie, ils étaient le monde libre. Face à la Russie, vieille connaissance, ils sont aujourd'hui, à nouveau, le monde libre.
     
    Le "monde libre", c'est ce qu'on appelle en analyse littéraire un "topos". Une sorte de passage obligé, dans la matrice du récit. Et puis, le "monde libre", ça sonne bien : qui osera mettre en doute les vertus de celui qui le défend ?
     
    La réalité, depuis que les Américains utilisent ces deux mots, est un peu différente de leur propagande. Kennedy en 63 à Berlin, Reagan en 87, Clinton face aux Balkans, savent parfaitement ce qu'ils font, sous le vernis des mots incantatoires : ils luttent pour l'extension de la sphère d'influence américaine en Europe. Stratégique, mais surtout économique et financière. L'implantation dans les Balkans est un très vieux rêve de l'impérialisme anglo-saxon. Celui des Américains en Pologne, et dans les Pays Baltes, accomplit une démarche dûment planifiée d'extension des troupes, et surtout des marchés, en Europe de l'Est.
     
    La guerre en Ukraine est un conflit territorial, sur un ancestral contentieux qui évolue, au fil des siècles, entre regain et reflux de l'influence russe. Il n'est pas un conflit idéologique. Oh, bien sûr, Poutine est un autocrate, vous pourrez le qualifier de tous les noms d'oiseau que vous voudrez, vous aurez dans doute raison, mais la question n'est pas là. Elle est à chercher dans les zones d'influence, le jeu des équilibres et des pouvoirs, les besoins économiques et énergétiques, les intérêts supérieurs des nations.
     
    En attendant, Biden va se prévaloir, à Varsovie, du "monde libre". Le monde entier va applaudir. Nos rédactions. Nos éditorialistes. Nos moralistes. Les Ligues de vertu. Mais la réalité de ce qui se trame, c'est un rapport de forces. Juste cela. Mais cela, dans toute l'archaïque noirceur de sa permanence.
     
     
    Pascal Décaillet

  • La vérité jamais ne naîtra de la peur

     
    Sur le vif - Vendredi 25.03.22 - 18.45h
     
     
    Je ne suis pas un ami des Etats-Unis d'Amérique, je ne l'ai jamais été. J'ai passé, en 1972, un été décisif pour ma formation historique et intellectuelle, auprès d'un homme qui m'a transmis quelques raisons, très précises et documentées, de me méfier de l'étrange image de bienveillance dont bénéficie ce pays en Europe.
     
    Depuis cette date, un demi-siècle de lectures historiques, souvent en langue allemande, sur des aspects de la présence américaine en Europe qui correspondent assez peu à la légende dorée. J'y reviendrai largement, dans les années qui viennent.
     
    Paradoxalement, je me suis passionné, depuis toujours, pour l'Histoire politique américaine, en tout cas depuis 1776, mais principalement au vingtième siècle. Le deux interventions en Europe, celle de 1917, celle de 1943 (Italie) et 1944 (Normandie), la Guerre froide, l'impérialisme mondial de l'après-guerre. Il y a beaucoup de facettes, dans ce pays, que j'admire : le patriotisme, l'engagement, le dynamisme, le courage. Ceux qui ont débarqué en Normandie en ont fait preuve, de façon éclatante. Même si je tiens immédiatement à préciser que le front principal n'a jamais été à l'Ouest.
     
    Deuxième paradoxe : une passion, nourrie dès le début des années 80, grâce à l'offre exceptionnelle de Rui Nogueira, au CAC Voltaire, pour le cinéma américain.
     
    Cette grande nation de liberté, de responsabilité, est hélas devenue depuis la dernière guerre, qu'elle a gagnée sur deux fronts simultanés grâce à son courage et son esprit de sacrifice, une pieuvre impérialiste. Elle l'a été en Asie du Sud-Est, en Amérique latine. Elle tente de l'être, depuis trente ans, sur le continent européen. Les troupes américaines y sont présentes, sans discontinuer depuis 1943 (Sicile) et 1944 (Normandie).
     
    On peut qualifier comme on veut cette présence, les uns se réjouiront de la protection des "libérateurs", d'autres mettront l'accent sur la constante tentative de colonisation économique et financière. On peut la qualifier, mais c'est un fait : pour la première fois de son Histoire, l'Europe a sur son sol, depuis 79 ans, des troupes extra-continentales.
     
    En 1945, la moitié Ouest de l'Europe, libérée du Reich, a été placée sous parapluie stratégique américain. L'autre moitié, à l'Est, sous celui de l'URSS. Ainsi, la Prusse, la Saxe, la Thuringe, trois régions particulièrement chères à mon coeur, ont été mises sous régime communiste, c'était l'exigence de l'occupant soviétique. Il en est surgi un pays, nommé la DDR, qui me passionne depuis l'enfance, et auquel je consacrerai un jour un ouvrage. Avoir été en contact avec ce monde, notamment par le biais de la littérature, m'a amené à fuir l'image manichéenne qu'on en donnait à l'Ouest. Je ne pense pas, pourtant, être particulièrement communiste, à vous d'en juger.
     
    Dans le conflit qui ravage aujourd'hui l'Europe, je fais la part des choses entre l'urgence humanitaire, évidemment indispensable, et la nécessité de garder la tête froide dans la lecture des causes ayant conduit à cette guerre. Il ne s'agit pas de "justifier" (je n'utilise jamais ce verbe, n'étant ni juge ni moraliste). Il s'agit d'amener des connaissances. Il s'agit d'expliquer.
     
    Garder la tête froide. Se méfier de toutes les propagandes, je dis bien toutes. Décrypter. Comparer. En appeler à l'Histoire. Il n'y a là rien de militant. Il y a juste la mise en oeuvre, dans toute la mesure du possible, d'une démarche, acquise dès l'adolescence. Établir les faits. Donner la parole à tous. Ne pas moraliser l'Histoire. Ne pas ethniciser le débat. Démonter le jeu des pouvoirs, la mise en scène des actes de langage.
     
    Dans cette optique, parmi d'autres, l'extension constante de l'Otan vers l'Est, depuis la chute du Mur, alors qu'on avait prié le Pacte de Varsovie de bien vouloir se dissoudre, est un thème pertinent. Il est à étudier, calmement. Et si on a des choses à dire à ce sujet, on les dit. Tout ne s'explique évidemment pas par cela, tant la relation Russie-Ukraine est en soi complexe, entremêlée, chargée de possibles explosions, depuis des siècles.
     
    Mais si on a des choses à dire sur l'extension de l'Otan depuis trente ans, on les dit. Que cela plaise, ou non. La vérité jamais ne naîtra de la peur. Ni de l'autocensure.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Tenez, il les tutoie !

     
    Sur le vif - Vendredi 25.03.22 - 09.06h
     
     
    J’entends dire que la présidentielle 2022 n’est pas normale. Sous prétexte que la droite libérale et européenne d’un côté, le socialisme de l’autre, qui se partageaient le gâteau pendant des décennies, sont pulvérisés.
     
    Ben oui, ils le sont. Ils l’étaient déjà en 2017. Et là, ça s’est renforcé. Lisez l’Histoire politique : les partis naissent, vivent et meurent. Comme les journaux. Comme les humains. Tout meurt, c’est la vie.
     
    Considérer une élection comme atypique parce qu’elle ne reproduit pas les modèles de notre jeunesse, ou ceux que voudraient les rédactions des journaux convenables, c’est refuser l’évolution naturelle des tissus vivants que sont les partis.
     
    À vrai dire, l’état des fronts, à deux semaines du premier tour, est parfaitement conforme à la nouvelle carte politique de la France.
     
    D’un côté, avec Macron, la France bourgeoise et installée, bons revenus, bonne formation, beaux quartiers, pro-Europe, pro-Otan. La France orléaniste, du bas de laine. La France qui trouve normale la présence, depuis Mitterrand, de la bannière étoilée de l’Europe derrière le drapeau tricolore, qui fut celui des Soldats de l’An II.
     
    Avec Marine, ou Zemmour, ou Mélenchon, la France nationale, profondément républicaine, nourrie des grandes colères révolutionnaires, sensible à ce grand récit-là, celui de Michelet, celui de Péguy, celui de Barrès. Pour Mélenchon, celui de Jaurès.
     
    Un second tour entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen serait parfaitement conforme à la nouvelle frontalité française. Les citoyens auraient à trancher entre deux visions de société vraiment antagonistes. C’est justement cela, la démocratie: un combat entre les forces réelles du moment. Celles qui plaisent, celles qui déplaisent.
     
    Cette élection 2022 n’a rien d’atypique. Elle est très normale. 40% au moins des Français veulent l’indépendance et la souveraineté. Ils ne veulent ni Bruxelles, ni l’Oncle Sam. Ils veulent freiner de façon draconienne l’immigration. Ils ne supportent plus l’invasion du débat public par les questions sociétales, liées au genre, ou à la couleur de la peau. Ils veulent une école qui transmette des connaissances. La moindre des choses, c’est que leur courant soit représenté dans la compétition amirale de la vie politique française.
     
    Si elle est au second tour, face à Macron, Marine Le Pen sera la fédératrice de cette France-là. Son score sera autrement plus massif qu’il y a cinq ans. Elle représentera l’alternance, la vraie, à la politique libérale, atlantiste et européiste du Président sortant.
     
    Un homme si charmant, si intelligent, si élégant, si convenable. Il connaît si bien les grands de ce monde. Avec eux, il parle anglais. Tenez, il les tutoie.
     
     
    Pascal Décaillet