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Sur le vif - Page 177

  • Honecker und der Pastor : saisissant huis-clos dans la Prusse luthérienne

     
    Sur le vif - Samedi 19.03.22 - 17.01h
     
     
    Uwe Holmer, né en 1929 à Wismar (Ville Hanséatique que je vous recommande, sur la côte baltique du Mecklenburg-Vorpommern), 93 ans aujourd'hui, est un homme extraordinaire. Un théologien de haut vol, un Pasteur d'une humanité rare, comme il en existe tant dans les villages les plus reculés des Allemagnes.
     
    Personne, aujourd'hui, ne connaîtrait pourtant Uwe Holmer, ni sa femme Sigrid, ni deux de ses quinze enfants, si un certain Erich Honecker, homme fort de la DDR de 1971 à 1989, et son épouse Margot, ministre de l’Éducation de 1963 à 1989, n'avaient séjourné dans sa maison de Lobetal, un village du Brandebourg non loin de Berlin, au milieu des champs et des lacs, du 30 janvier au 3 avril 1990.
     
    Ce séjour, c'est l'objet du remarquable film du réalisateur Jan Josef Liefers, né à Dresde en 1964, "Honecker und der Pastor", en français "Le Refuge du dernier Président", que j'ai eu le bonheur de visionner hier soir, tard, sur Arte.
     
    30 janvier 1990. Quelques semaines après le chute du Mur. La DDR s'effondre, tout est pulvérisé. Elle venait de fêter, en grande pompe, ses 40 ans, Honecker justement avait reçu Gorbatchev, le baiser des deux hommes avait des goûts d'étreinte, l'éternité communiste irradiait la partie orientale de l'Allemagne. Et puis, le 9 novembre 1989, tout avait basculé, le Mur était tombé, Honecker aussi, et là, il fallait d'urgence qu'il trouve un refuge, les risques de lynchage étant énormes.
     
    Ce refuge, le couple Honecker le trouve. En pleine campagne, dans la maison du Pasteur Uwe Holmer. Ils y passent plusieurs semaines. Le Pasteur protège l'ancien Président, que la foule vient menacer jusque devant la Maison de Paroisse. Le Pasteur le bénit. Lui et sa femme prient pour Erich et Margot, eux qui avaient été des opposants au régime communiste. Oui, Uwe Holmer (incarné par l'acteur Hans-Uwe Bauer) est un homme extraordinaire, sa femme Sigrid aussi (Steffi Kühnert). Oui, Honecker (Edgar Selge) et Margot (Barbara Schnitzler) sont plus vrais que nature. Oui, les dialogues sont saisissants. Oui, c'est un film à voir, et revoir.
     
    Je vais vous dire une chose. Le coeur de ce film, c'est l'âme luthérienne de la Prusse. La bonté d'un homme. La Bible, face à Karl Marx. Les Psaumes, face à la dictature du prolétariat. L'Allemagne de Luther et de Bach, face au matérialisme dialectique. Uwe Holmer sait parfaitement quel homme et quelle femme il reçoit, quelle fut la nature de leur régime, mais il les accueille parce qu'il estime, en conscience, en avoir l'obligation morale.
     
    Le 3 avril 1990, Erich et Margot, reconnaissants, quittent la demeure du Pasteur. Leur fin de vie les conduira, après de rebondissantes péripéties judiciaires, à Santiago du Chili. Erich y meurt en 1994, Margot en 2016.
     
    "Honecker und der Pastor" est un film qui nous élève. Parce qu'il nous raconte une histoire, plutôt belle. Mais surtout, parce qu'il centre son regard sur ce qui rassemble les humains. Comme la traduction de la Bible par Luther, en 1522, chef d’œuvre d'invention d'une langue, l'allemand moderne. Comme la musique de Jean-Sébastien Bach. On regarde ce film, on se prend d'une estime immense pour le personnage du Pasteur. On s'apprête à traverser la nuit. On laisse monter en nous ces quelques mots de la Cantate BWV 244 : "Mache Dich, mein Herze rein, ich will Jesum selbst begraben".
     
     
    Pascal Décaillet
     

  • Algérie : 60 ans après, salut et fraternité !

     
    Sur le vif - Vendredi 18.03.22 - 18.22h
     
     
    Il y a, jour pour jour, 60 ans, les Accords d'Evian mettaient fin à huit années de Guerre d'Algérie. Tout avait commencé le 1er novembre 1954, avec la Toussaint sanglante. Tout semblait s'achever huit ans plus tard, sur les bords paisibles du Léman. En ces terres savoyardes qui étaient devenues françaises (1860), alors que l'Algérie l'était déjà depuis 30 ans.
     
    Tout avait commencé en 1954 ? Pas si sûr ! Je vous invite à vous intéresser au massacre de Sétif, le 8 mai 1945, jour de la Victoire. J'ai consacré à cet événement sanglant un épisode de ma Série radiophonique, il y a trente ans. Et si tout avait commencé avec le Décret Crémieux (autre épisode de ma Série), 24 octobre 1870, promulgué à Tours par un gouvernement en débandade face à l'avancée des Prussiens ? L'Histoire de l'Algérie est complexe, infiniment subtile, la puissance des antécédents y est impressionnante, celle de Crémieux, celle de Sétif. Et tant d'autres.
     
    La Guerre d'Algérie, et plus généralement les 132 ans de présence française en Algérie (1830-1962), sont, depuis l'enfance, l'une des périodes historiques qui m'habitent le plus. Au même titre que l'Histoire allemande, celle de la France, celle de la Suisse.
     
    Le 18 mars 1962, j'allais sur mes quatre ans, je n'ai pas vu passer les Accords d'Evian. Je n'en garde pas de souvenir. De cette époque, avant l'assassinat de Kennedy (22 novembre 1963, premier souvenir historique fracassant), tout au plus la mémoire, très précise, des apparitions de Charles de Gaulle en uniforme, le soir, sur notre télé noir-blanc. Je n'ai commencé à me passionner pour la politique qu'en décembre 1965, pour la première élection au suffrage universel de la Cinquième République.
     
    Les chaînes TV viennent de nous proposer plusieurs Séries, bouleversantes, sur l'Histoire de l'Algérie. Parole donnée à tous, les Algériens, les Pieds-Noirs, les Harkis, les Musulmans, les Juifs, les Chrétiens, les Kabyles, les multiples factions rivales de l'ALN et du FLN, les partisans des grandes figures charismatiques (Messali Hadj, Ferhat Abbas), ceux de Ben Bella, de Boumédiène, les irrédentistes de l'OAS. Polyphonie poignante. Exceptionnelle galerie de visages. Le destin d'un peuple en construction, à travers tous ses acteurs.
     
    Je vous invite à lire tout ce qui a été écrit, en français (je ne lis pas l'arabe, hélas) sur l'Histoire de l'Algérie, de 1830 à 1962. A visionner tout ce que vous pourrez comme archives d'actualités, reportages, magazines de l'époque.
     
    Et puis surtout, je vous invite à une réflexion. Se passionner pour les seules années 1954-1962 n'a, au fond, aucun sens. On ne comprend ces huit ans de guerre qu'en commençant par le début, l'arrivée des Français en 1830, dans les derniers jours du règne de Charles X. Comme le montre brillamment Jean Lacouture (que j'ai eu maintes fois l'occasion d'interviewer), les foyers de résistance à la présence française dans cet immense pays commencent dès leur arrivée. Et s'organisent, par une multitude de réseaux, pendant les 132 ans. Le FLN n'en est que l'expression finale : il convient d'étudier ses innombrables racines, c'est complexe, tortueux, passionnant.
     
    Pas plus qu'elle n'a commencé en 1830, l'Histoire de l'Algérie ne s'arrête en 1962. Six décennies d'indépendance. Des moments de lumière. Et d'autres, de la plus intense des douleurs. En Histoire, rien ne commence, rien ne s'arrête. La chaîne de causes et de conséquences est un fil continu. Il faut lire en diachronie, comme d'autres, peintres ou architectes, parviennent à lire dans l'espace.
     
    Je vous invite enfin à vous renseigner sur la vie d'un homme immense, l'Emir Abdelkader (1808-1883), chef religieux et militaire, le premier à avoir organisé la résistance contre les Français. Un savant musulman et soufi, admiré de tous. Un être d'une dimension intellectuelle et spirituelle hors de pair. L'homme dont tout est parti.
     
    A mes amis algériens, aux Français rapatriés, aux passionnés de ce pays, à tous ceux qui furent touchés par la chaleur et la lumière de cette Histoire-là, j'adresse mon salut et ma fraternité.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Macron-Marine : le choc dont la France a besoin

     
    Sur le vif - Vendredi 18.03.22 - 12.25
     
     
    Un second tour entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen (parmi d'autres, une hypothèse envisageable) verrait sans doute, au final, la réélection du sortant.
     
    Mais cet antagonisme-là serait salutaire pour le débat français. Car les vraies questions, celles qui touchent la fonction présidentielle (Défense, Affaires étrangères, cohésion nationale), sont à poser dans un choc dialectique entre ces deux-là.
     
    Marine Le Pen est une marathonienne. Elle a laissé partir les lièvres, cet automne, elle sillonne la France depuis des années. Elle a tiré les leçons de son catastrophique débat de 2017. Elle a le soutien des classes populaires, ce que n’ont ni Zemmour, ni la gauche, à l’exception du communiste Roussel.
     
    Elle n’a pas l’intelligence de Zemmour, ni sa culture historique. Mais elle est dotée d’un instinct politique puissant. Elle travaille sur le long terme. Elle tisse sa toile, patiemment. Elle est parfaitement à l’aise au milieu des ouvriers. Elle a le contact avec les gens. Elle ne regarde pas par terre en marchant.
     
    Emmanuel Macron, Marine Le Pen, ne sont pas candidats à Matignon. Mais à l’Elysee. Depuis plus de mille ans, existe en France cette précise distinction entre le Roi (celui qui règne) et le Connétable (celui qui gouverne). Ne confondons pas les rôles.
     
    L’Elysee, c’est La Défense (diablement d’actualité), et ce sont les Affaires étrangères. Philippe le Bel, Louis XI s’occupaient très exactement de cela. Charles de Gaulle, François Mitterrand, aussi.
     
    Un second tour Macron - Le Pen permettrait de clarifier, mieux qu’il y a cinq ans, de façon plus précise et mieux équilibrée, le débat fondamental dont la France a besoin. Entre souverainisme et obédience à une « Europe » de plus en plus dominée par l’Allemagne. Entre indépendance et suivisme atlantiste. Entre non-alignement et statut de dominion américain. Entre régulation draconienne des flux migratoires et ouverture béate des frontières.
     
    Ce débat-là, la France en a besoin. Macron en sortira sans doute vainqueur. Mais il aura face à lui, cette fois, si c’est elle au second tour, une adversaire autrement préparée, entourée, étoffée, armée, soutenue par les classes populaires, qu’il y a cinq ans. En clair, le résultat sera plus serré. Et la grande force d’opposition nationale aura, pour d’autres rendez-vous, fortifié ses positions.
     
    Ainsi avance une opposition : avec méthode et patience. Un homme, traversant un quart de siècle de combat minoritaire, l’avait compris mieux que tous, entre 1958 et 1981. Il était opiniâtre, infiniment patient. Du temps qui passe, il avait fait son allié. Il s’appelait François Mitterrand.
     
     
    Pascal Décaillet