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Sur le vif - Page 179

  • Et l'image est la fille de la voix

     
    Sur le vif - Jeudi 15.09.22 - 15.02h
     
     
    Je suis un homme de radio. Et un passionné de musique. Et je me rends compte, tout à coup, du rôle joué par mon hypersensibilité à l'élément auditif, dans ma folle attraction pour certains films de Godard. Le Mépris, le plus grand à mes yeux, mais pas mal d'autres, aussi. J'ai revu Prénom Carmen, hier soir.
     
    Bien sûr, Godard donne à voir. Dans le Mépris, parmi les plus belles images de l'Histoire du cinéma. Chaque plan, un tableau, et pas seulement autour de la maison de Malaparte, à Capri, avec cet incomparable bleu de mer, au fond.
     
    Il donne à voir, dans tous ses films, c'est un montreur d'images. Mais il donne aussi à entendre. La bande-son de ses films est une oeuvre en soi. Il a beaucoup été copié, notamment dans ces fameuses conversations dont l'auditeur (spectateur) ne perçoit qu'un vague murmure, un peu comme chez Tati. C'est même devenu un procédé, chez certains de ses épigones.
     
    Et puis, il y a la voix off. La sienne, ou alors une voix qui lui ressemble. Un homme parle, derrière l'image, on se dit "Tiens, c'est Godard", pourquoi pas d'ailleurs, il apparaît bien dans certains de ses films, comme Hitchcock. On se dit, "Godard nous parle", mais souvent, c'est la voix d'un autre, on dirait du Godard.
     
    Mais surtout, cette voix, originale ou semblable, est extraordinaire. Elle n'est pas une surimpression, sur l'image. Elle est, à mes oreilles d'homme de radio, de mélomane, le centre même de l'histoire. Et l'image est avec elle. Et l'image est fille de la voix. Et la voix engendre l'image, elle la materne, elle la façonne, elle l'élève jusqu'à nos sens. Et la voix se confond avec l'image. Et la voix devient image.
     
    J'ignore absolument comment Godard travaillait. Et c'est dommage, car en toute chose, j'aime l'atelier. Mais ce montreur d'images est un montreur de voix. Et cette confluence, comme d'un fleuve dans la mer bleue, me trouble, oui, infiniment.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Un jour ou l'autre, la Suisse

     
    Sur le vif - Jeudi 15.09.22 - 10.19h
     
     
     
    Le déficit. La dette. Les chiffres rouges. Le cadeau empoisonné, légué à nos enfants. L’Etat, plus dépensier que jamais. Le Canton le plus gourmand de Suisse, en impôts. Le plus délirant, en création de nouveaux postes de fonctionnaires. Le plus engraisseur de sa propre machine. Celui qui coûte le plus cher, par habitant.
     
    Ce gouvernement de gauche, derrière le nuage de fumée de ses incantations, « transition écologique », « urgence climatique », « société inclusive », se révèle, dans la vérité des chiffres, le plus assommant du pays pour ses classes moyennes. Les gens qui bossent, parfois comme des malades. Ne touchent pas un seul centime de subvention. Sont tondus par la fiscalité, les loyers, les primes maladie, le prix de l’essence, bientôt celui des combustibles, de l’électricité.
     
    Les flux migratoires ? Surtout pas un mot sur le sujet ! C’est tabou.
     
    La révolte ne viendra pas des assistés, ils n’y ont aucun intérêt. Elle viendra des classes moyennes, qui n’en peuvent plus, je l’annonce depuis des années.
     
    Aujourd’hui, la Suède. Dans dix jours, l’Italie. Bientôt la France. Bientôt l’Allemagne. Un jour ou l’autre, la Suisse.
     
     
    Pascal Décaillet

  • J'ai revu le Mépris. J'ai rêvé en rouge. J'ai vu la mer.

     
    Sur le vif - Mercredi 14.09.22 - 14.09h
     
     
    Bon, j'essaie quelques mots, parce que ça me tourne dans la tête depuis hier soir. Plus exactement, depuis une quarantaine d'années.
     
    Le Mépris. Pourquoi ce film, à chaque fois, me scotche. Pourquoi j'adhère. A chaque image. Chaque plan. Pourquoi il me travaille. Pourquoi il me touche à ce point.
     
    Quelques pistes, en vrac. Je ne vous refais pas le film, tout a été dit, les plus grands critiques ont décortiqué, tartiné. Je ne vous fais pas le coup de la déconstruction, même si là, pour une fois, il y a tant à dire.
     
    Quand je rêve, la nuit qui suit le film, je vois du rouge. Et un peu d'orange. Ce rouge indicible, celui d'une robe, ou peut-être un meuble, tiens on dirait le Bauhaus, je pense à Weimar, le Musée que j'ai visité avec mon épouse, il y a deux ans. Et tiens, puisqu'on parle d'Allemagne, il y a aussi Fritz Lang, l'un des plus grands cinéastes de l'Histoire, jouant son propre rôle, celui d'un réalisateur. Mieux : il y a aussi Jean-Luc Godard, l'un des plus grands cinéastes de l'Histoire, jouant... l'assistant de Fritz Lang. Ils montent l'Odyssée, on voit d'ailleurs passer Ulysse, personnage secondaire, sur la prodigieuse maison de Curzio Malaparte, à Capri.
     
    Mais je n'aime pas ce film parce qu'il se joue des codes. Je l'ai vu une vingtaine de fois, je ne cherche pas trop à comprendre, mais à prendre. Le réalisateur ne démontre pas, il montre. Il y a un fragment d'Héraclite, célébrissime pour les hellénistes, qui nous dit à peu près ça de la Pythie, celle de Delphes. Et tiens, puisqu'on parle de la Grèce, elle est partout, dans le film.
     
    C'est un film sur l'Italie. Et c'est un film EN Italie. Fronton d'un cinéma, pompe à essence, tiens du rouge là aussi, incomparable début des années 60. Tiens, mes premiers souvenirs en Italie, justement. Le pays des miracles.
     
    C'est un film sur le rouge. Je ne peux pas en dire plus. Mais le beauté de ce rouge, depuis quarante, ans, me travaille.
     
    Et puis... Et puis.... Et puis, il y a Bardot. Je ne trouve pas les mots pour qualifier la beauté, la justesse, l'intelligence avec lesquelles elle tient le rôle. Il m'est parfaitement égal, face à l'ampleur de cette réussite, de dégager ce qui vient de la direction de Godard, ce qui vient de Bardot elle-même, son instinct du personnage. Seul compte le résultat : en l'espèce, il est génial.
     
    Quand j'étais enfant, dans les années soixante, les gens, autour de moi, ricanaient en parlant de Bardot. Jamais compris pourquoi. Gamin amoureux des femmes, je la trouvais plutôt magnifique, je n'avais vu aucun de ses films.
     
    Je n'ai jamais ricané de Brigitte Bardot. Elle m'apparaît plutôt comme une très grande dame. En elle, je veux voir, et voir encore, Camille. L'épouse de Paul. La femme qui, doucement, se détache. La femme qui prend distance. La femme qui, déjà, s'en va. Dans la rupture de Camille et Paul, celle du Mépris, je veux voir la douleur, l'inéluctable, de toute rupture. Et jamais, je dis jamais, un réalisateur n'a aussi génialement fait repartir, chaque fois à la seconde près, oui la juste seconde, le thème de la magnifique musique de Georges Delerue, que Godard, dans le Mépris.
     
    C'est un film sur la musique. Le retour du thème. Il accompagne le processus de séparation chez Camille. Il soutient l'inéluctable. Il est au-delà des dialogues, ou plutôt en amont. Il y a quelque chose du Liebestod dans cette récurrence qui nous balance, comme la vague.
     
    C'est un film sur le mouvement. Piccoli, au sommet de son art, est celui qui bouge, traverse les pièces, passe d'un point à un autre. Bardot, immobile. Sobre, comme jamais. L'austérité romane, la présence d'une statuaire, et chaque réplique, juste et cinglante. Nous avons affaire, dans ce film-là, à une très grande actrice.
     
    Le Mépris, Jean-Luc Godard, 1963. Il y a des gens qui n'aiment pas. Je fais partie, depuis quarante ans, de ceux qui aiment. Le mot est faible. J'ai revu le film hier soir, sur RTS 2. J'ai reçu le même choc qu'à vingt ans. J'ai rêvé en rouge. J'ai vu la mer.
     
     
    Pascal Décaillet