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Sur le vif - Page 147

  • Ils ne font pas grève, ils triment

     
    Sur le vif - Mardi 11.10.22 - 10.04h
     
     
    Ils ne font pas grève, ceux qui s'apprêtent, dans les années qui viennent, à secouer durablement notre société suisse, et celles de nos pays européens.
     
    Ils ne font pas grève. Vous savez ce qu'ils font ? Ils bossent.
     
    Ils bossent, bossent, et bossent encore. Ils s'intéressent à leur boulot, et non aux rapports contractuels. Au centre, ils placent le fond des choses : la finalité de leur travail. La qualité de finition. C'est l'une de vertus des Suisses, reconnues à la ronde. Nous avons à en être fiers. Être un maniaque du travail bien fait n'a rien de risible : c'est une éminente qualité, une marque de civilisation.
     
    Ils ne font pas grève. Ils triment. Et n'en peuvent plus d'être tondus par les taxes, les impôts, toute cette voracité de l'Etat-Moloch, celui qui ne leur accorde jamais, à eux, la moindre subvention, celui qui ne songe qu'à tout leur prendre. Ce même Etat qui laisse tomber nos personnes âgées, préfère l'altérité aux nôtres, ne songe qu'à entretenir sa propre machine, sous prétexte de "moyens pour subvenir aux besoins de la population".
     
    Il ne subvient pas aux "besoins de la population" ! Mais aux siens propres. Il engraisse son propre fonctionnement. Il veut engager, et engager encore. Que la fonction publique fasse grève, et immédiatement, en période électorale, elle aura gain de cause, aucun souci, c'est joué, plié, la classe politique n'osera pas s'opposer à elle. C'est mécanique.
     
    Ils ne font pas grève, ceux qui ne tarderont pas, dans les années qui viennent, à secouer notre système, et ça pourrait être assez violent, à la manière d'un Novembre 1918. Pas celui du Grand Soir, cette fois ! Non, celui des classes moyennes. Celui des petits indépendants. Celui des trimeurs de l'ombre. Celui des doués de leur boulot. Ceux qui soignent le détail. Ceux qui, jour après jour, font vivre la Suisse. Pas derrière des pancartes. Mais dans l'inquiétude créatrice de leur atelier.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Mercredi, les fonctionnaires montent à l'autel

     
    Sur le vif - Lundi 10.10.22 - 16.21h
     
     
    Il va sans dire que la grève des fonctionnaires, mercredi, jouira d'une incomparable popularité auprès de tous ceux qui triment dans le secteur privé.
     
    Auprès de qui ? Auprès des petits indépendants, entrepreneurs, ceux qui n'ont aucune garantie de travail, ni de revenu. Ceux qui paient eux-mêmes l'intégralité de leurs retraites, AVS et deuxième pilier (s'ils en ont contracté un). Ceux qui paient leur perte de gain, au prix fort. Ceux qui ont la trouille de tomber malades.
     
    Auprès de qui ? Auprès des employés du secteur privé, aussi. Ils ont certes droit, eux, à la part patronale pour les retraites, la perte de gain. Mais garantie d'emploi, néant. Problème avec l'employeur, raus ! Difficultés économiques, raus ! Restructuration, raus !
     
    Auprès de qui ? Auprès des chauffeurs-livreurs, qui ADORENT les cortèges de manifs, un après-midi ouvrable, en plein centre-ville, rien que pour emmerder. Auprès de tous ceux qui se lèvent le matin et rentrent le soir, doivent traverser Genève, leurs familles les attendent, le temps compte.
     
    Mais non ! La fonction publique manifeste. Procession sacrée. Fête-Dieu. Ils ont des conditions incroyables de part patronale pour leur Caisse de pension. Ils ont la sécurité de l'emploi. Ils ont des foules d'avantages que le privé n'a pas. Mais il faut bien manifester. Accomplir le rituel. Honorer les syndicats. On procède, dans la rue, dans ces après-midis de petites rencontres, comme on monte à l'autel.
     
     
    Pascal Décaillet
     

  • Annie Ernaux : l'écriture, et rien d'autre

     
     
    Sur le vif - Jeudi 06.10.22 - 16.13h
     
     
     
     
    Annie Ernaux. Une femme. Un style. Une écriture. La phrase est simple, courte, indépendante. Le mot est juste, sans emphase. Il désigne, presque cliniquement. L'écriture, et rien d'autre.
     
    Annie Ernaux raconte la vie. L'héroïne des "Années", toujours désignée à la troisième personne, "Elle", lui ressemble comme deux gouttes d'eaux. Mais elle ne dit pas "Je". Elle dit "Elle". C'est le premier récit que j'ai lu d'Annie Ernaux, avant tous les autres. Dès les premières pages, la présence d'un style. C'est rare.
     
    J'invite ici à lire tous ses livres. Les Années, La Place, Une femme, L'Autre Fille, Mémoire de fille, Le Jeune Homme. Et tous les autres.
     
    C'est son histoire, et c'est la nôtre. Les années passent, il y a des naissances et des morts, des affaires de famille, des choses tues, des tabous qui remontent, une mère, une soeur aînée, une colonie un peu particulière, en 1958. Il y a l'événement qu'on dit, celui qu'on tait. Il y a ce qu'on retient et ce qui sort, ce qui s'agrippe, ce qui nous échappe. Il y a la vie des syllabes, tellement belles dans leur cistercienne simplicité.
     
    Il y a un style. Oui, c'est si rare.
     
    Rarement un Nobel fut à ce point mérité.
     
     
    Pascal Décaillet