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Sur le vif - Page 149

  • Ignazio Cassis et ses centaines de porte-parole

     
    Sur le vif - Lundi 04.07.22 - 14.32h
     
     
    Lugano, Lugano, Lugano. Vous pouvez prendre n'importe quel flash radio de la RTS, n'importe quel journal, le seul événement qui compte au monde est la "Conférence de Lugano sur la reconstruction de l'Ukraine". Hors de cela, plus rien. La vie, c'est Lugano, le ciel et la terre c'est Lugano.
     
    Prenez la presse étrangère. Un peu de Lugano, mais bas-de-page, entrefilets, voire rien. La propagande d'Ignazio Cassis n'est pas encore passée par là.
     
    Bien sûr, Lugano c'est chez nous. Genève aussi, c'était chez nous, quand Biden et Poutine s'y sont rencontrés, et que la presse locale ne parlait que retombées d'image pour notre ville internationale, valeur ajoutée pour l'hôtellerie, toutes choses certes sympathiques, mais quelque peu provinciales face à l'essentiel : les deux leaders ne s'étaient mis d'accord sur rien. Huit mois plus tard, la guerre éclatait.
     
    La Société des Nations aussi, c'était bon pour le tourisme genevois. Bon pour la littérature : Albert Cohen, Belle du Seigneur, Adrien Deume qui taille ses crayons. Elle a tant fait, cette brave SDN, pour blanchir les consciences dans les années vingt et trente. Elle n'a rien vu poindre. Le jour venu, elle s'est écroulée. Elle a tout vu, le faste, les redingotes, les bords nacrés du lac. Tout vu, sauf le tragique de l'Histoire. C'est un peu dommage : elle était justement là pour ça.
     
    Et puis, il y a la presse de révérence, dans notre bonne Suisse romande. Tous reconvertis, ou presque, au statut de porte-parole d'Ignazio Cassis. Il doit y avoir du Giuseppe Motta, chez cet homme, ou alors du Flavio Cotti, pour faire valoir avec une telle priorité son propre blason personnel. Et le plus fou, c'est que ça marche, au-delà de toute espérance.
     
    Dans cette presse-là, ou sur la RTS, face à l'étincelant soleil de Lugano, tout esprit critique se trouve soudain frappé de cécité. Nulle enquête sur le vrai visage, depuis 2014, du régime ukrainien. Ni sur celui du Roi du Zoom, l'homme qui n'en peut plus d'apparaître. Ni sur les vraies finalités - sonnantes et trébuchantes - des réjouissances tessinoises. Ni sur les promesses de contrats juteux.
     
    Rien. Juste la parole unique, celle du Prince. Il n'a plus besoin de chef de communication. Il en a des centaines.
     
     
    Pascal Décaillet

  • La farce de Lugano

     
    Sur le vif - Vendredi 01.07.22 - 12.04h
     
     
    La déjà ineffable (avant que d’être) « Conférence de Lugano » ressemble, à s’y méprendre, à une bourse aux investissements pour requins de l’opportunisme. Sous le haut patronage de l’Oncle Sam.
     
    Des Tartuffes de la « reconstruction », dans un scénario casino du Plan Marshall. Les Américains, qui aident le monde. Avec, au passage, le maximum de fric pompé aux Européens. C’est leur guerre la moins coûteuse : ils font cracher les autres au bassinet. C’est ça, Lugano.
     
    Puisque les Américains n’en peuvent plus de se vanter des milliards qu’ils mettent pour aider l'Ukraine, ils ne pourraient pas l’organiser chez eux, ce loto pseudo-caritatif ?
     
    M. Cassis, vous êtes là pour défendre l’Office du tourisme tessinois, le Service de presse de la Maison Blanche, ou les intérêts supérieurs de la souveraineté suisse ?
     
     
    Pascal Décaillet

  • Face à la provocation du néant, l'Allemagne

     
    Sur le vif - Jeudi 30.06.22 - 10.07h
     
     
    La grande puissance, en Europe, c'est l'Allemagne. Il n'y en a pas d'autre. Tout est parti de la Guerre de Sept Ans (1756-1763), un siècle avant que l'Allemagne, en tant que nation unitaire, n'existe. Tout est parti de l'un des plus grands visionnaires de l'Histoire : le roi de Prusse Frédéric II (1740-1786).
     
    L'Histoire de la Prusse devrait être obligatoire dans les écoles : sans passer par elle, sa philosophie, son rapport au travail, à la notion de devoir, on ne comprend rien à la construction de l'idée de nation allemande, du philosophe Fichte (Reden an die deutsche Nation, Berlin, 1807) à la proclamation de l'Empire allemand dans la Galerie des glaces de Versailles, en 1871. J'ai expliqué tout cela en détail, dans les 32 premiers volets de ma Série en 144 épisodes sur l'Histoire de l'Allemagne, de 1522 à nos jours.
     
    Nous sommes en 2022. L'Allemagne est la quatrième puissance économique du monde, et de loin la première en Europe. Elle a certes des disparités sociales (surtout en Saxe, en Prusse et en Thuringe), mais globalement, le pays est stable. Nous ne sommes pas le 9 novembre 1918 ! Là aussi, il faut lire, lire, et lire encore. Celui qui ne s'est pas renseigné à fond sur la Révolution allemande (1918-1923), les combats entre Corps-francs et Spartakistes, ne peut rien comprendre à ce qui conduira, quinze ans plus tard, à l'avènement du Troisième Reich.
     
    Nous sommes en 2022, l'Allemagne domine. Elle est prospère, imaginative, capable de se réinventer. Depuis trente ans, par d'autres moyens que naguère mais sur les mêmes chemins, elle a colonisé l'économie de l'Europe centrale et orientale. Les directions opérationnelles des entreprises sont certes polonaises, hongroises, lituaniennes. Mais les capitaux sont allemands. Elle a intégré ses oppositions, par des gouvernements de coalition, au niveau fédéral et dans les Länder, que nous Suisses connaissons bien. Elle jouit d'une paix sociale certes relative, mais sans précédent depuis l'époque bismarckienne. Elle a l'estime de tous.
     
    On en oublierait presque un détail. L'Allemagne n'en finit pas de se réarmer. Dès qu'a éclaté la guerre Russie-Ukraine, elle a voté cent milliards pour son budget militaire. Au Nord, les chantiers navals nous préparent le plus impressionnant sous-marin du 21ème siècle. Les usines d'armement tournent à plein régime. C'est le programme le plus impressionnant depuis Albert Speer. Car l'Allemagne, on le sait peu, n'a jamais autant produit que pendant les toutes dernières années de guerre, alors qu'elle refluait sur les théâtres d'opérations d'Europe. En 1942 au contraire, alors qu'elle était à l'apogée de son expansion, la production était en pleine crise. C'est le remplacement de Todt par Speer qui a inversé la tendance. Avec, aussi incroyable que cela puisse paraître, une suite sur l'après-guerre, et le fameux miracle allemand. Il ne faut surtout pas croire que tout s'est arrêté en 1945. Certaines continuités, dans l'Histoire industrielle allemande, seraient même de nature à vous époustoufler.
     
    L'Allemagne se réarme, je suis l'affaire de très près depuis toujours, sans doute l'un des seuls en Suisse romande à m'y intéresser. Elle se réarme, et personne n'en parle. Ou presque. Il y a même des esprits d'envergure modeste pour s'en féliciter : "Formidable, ils pourront ainsi aider les gentils Ukrainiens". Dès qu'on instille une once, même infinitésimale, de morale dans la pesée des affaires stratégiques, on entre sur le chemin d'errance.
     
    L'Allemagne se réarme. C'est pour les générations à venir. Elle n'est pas pressée. Depuis Frédéric II, elle n'a cessé de prendre le temps. Elle a accumulé les succès. Face à ce mouvement lent, tectonique, de construction d'un espace solide dans la Mitteleuropa, le 8 mai 1945, au milieu d'un pays en cendres, occupé par quatre puissances étrangères, disparaissant même comme Etat pendant quatre ans, apparaît comme une défaite d'étape. Déjà, au milieu des décombres, les esprits les plus avancés pouvaient entrevoir le défi du néant à l'existence. Aujourd'hui, on connaît la réponse : par son énergie phénoménale, sa discipline, sa volonté de fer, l'Allemagne a imposé son existence à la provocation du néant.
     
     
    Pascal Décaillet