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Liberté - Page 964

  • Brave Jacques Pilet

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    Sur le vif - Jeudi 04.06.15 - 16.33h

     

     

    « Les braves chaînes locales ». C’est l’expression utilisée par Jacques Pilet dans sa chronique de l’Hebdo, parue ce matin. Le texte s’appelle « Sauver la SSR », il est franchement complexe, donne un peu raison et tort à tout le monde, à la vaudoise, disons qu’il défend surtout les éditeurs, et tend à faire croire que le seul combat, en Suisse, serait entre les géants du papier et le « service public » audiovisuel. A cet égard, plaidant pour Ringier, le chroniqueur plaide pour sa paroisse.

     

    Je ne commenterai pas cette chronique, son unité de matière et l’épine dorsale de son argument m’ayant un peu échappé, mettons cela sur ma fatigue, et la chaleur. Mais je n’accepte pas les « braves chaînes locales ». Parce qu’il y a, dans cet adjectif, quelque chose de condescendant, et même de méprisant. Surtout lorsqu’il vient d’un grand journaliste, connaissant le poids des mots. L’expression laisse entendre que les chaînes locales seraient, face à la SSR, en quelque sorte inoffensives. En cela, l’auteur de la chronique épouse, avec une obédience et une béatitude qui étonnent, l’argument sans cesse ressassé par les grands pontes de la SSR : leur seule concurrence serait étrangère (les fenêtres publicitaires de M6, Canal +, etc.), et dans ce combat de chefs, les TV régionales, qu’on aime bien au fond, compteraient pour beurre.

     

    Cette vision est non seulement méprisante, mais elle est totalement fausse. Prenons les TV régionales (Canal 9, La Télé, Léman Bleu, entre autres, en Suisse romande). Aujourd’hui, elles sont sans doute chétives face au Mammouth, Mais demain ? Après-demain ? Progressivement libérées, au fil des années, d’un carcan législatif qui leur est un corset, et favorise de façon éhontée la SSR ; gagnant patiemment, toujours au fil des ans, au prix d’un travail de proximité acharné, au quotidien, du crédit et du respect dans leurs zones de diffusion respectives, il n’est pas sûr que leur avenir soit de demeurer éternellement aussi dénuées de danger concurrentiel pour la SSR. D’ailleurs, en certains cantons, tranche par tranche, avec du courage et des moyens incomparablement plus faibles, ce travail de concurrence est en cours. Il n’est jamais gagné, parce que dans ce métier, rien ne l’est, il faut se battre tous les jours de la semaine, sans répit, rénover, réinventer, et peut-être y laisser sa santé. Toute guerre a un prix.

     

    Je n’aime pas « les braves chaînes locales », parce que l’expression vient d’un homme du privé, qui connaît le principe de concurrence, l’extrême difficulté à survivre hors du cocon protégé de la SSR, auquel il a, comme moi, naguère appartenu. Il n’y a pas, mon cher Jacques, que les géants des journaux imprimés (Ringier, Tamedia) face au titan SSR. Il existe une quantité d’autres foyers de créativité. Et je ne parle ici que de mon domaine, l’information. Les gens qui travaillent dans « les braves chaînes locales », je les connais pour les fréquenter tous les soirs, lorsque je quitte le bureau de mon entreprise pour aller faire mon émission. Ils sont courageux, bosseurs, inventifs, entreprenants. Je les apprécie énormément.

     

    Dire « braves chaînes locales », c’est parler de son bureau, quelque part, je ne sais même plus si tu es du côté de Lausanne ou de Zurich. Mais c’est méconnaître la réalité actuelle du terrain, en Suisse romande. Le terrain, c’est une très belle vitalité, avec hélas très peu de moyens, pour ces médias privés. La réalité, c’est que ces TV régionales assument de plus en plus, elles, ce fameux mandat « de service public » dont ne cesse de se targuer la SSR. Elles couvrent, de façon intensive et créative, l’actualité politique, économique, culturelle, scientifique et sportive de leurs zones de diffusion respectives. Elles donnent la parole aux gens, et pas seulement aux puissants. La vraie concurrence, c’est celle-là : la plus-value de plaisir dans l’ordre de la créativité.

     

    Et puis, il faudra bien vite s’habituer à cesser de parler de « TV », de « radios », avec des grilles de programmes. Tout cela est en voie d’être révolu. Les batailles de demain se joueront – c’est déjà parti – sur d’autres supports, tout le monde le sait. L’avenir pourrait bien appartenir à de petites unités de production, musclées, sans graisse, sans lourdeurs organiques, juste orientées sur la création, la production. Allez disons, pour reprendre le si beau mot de René Char, « le désir demeuré désir », dans l’ordre d’un métier épuisant, mais tellement gratifiant.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Quelques notes à propos des Ports Francs

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    Sur le vif - Mercredi 03.06.15 - 10.00h

     

    N'envisager l'affaire des Ports Francs que sous l'angle de l'épisode judiciaire de M. Bouvier à Monaco, c'est jouer le jeu du Conseil d'Etat. Celui d'un paravent : mettre en évidence un comportement, potentiellement délictueux (il appartiendra à la justice d'en décider), pour camoufler un déficit autrement structurel : la très grande tolérance de nos autorités, singulièrement dans la dernière décennie, face à cette institution. On aurait voulu laisser l'entrepôt se transformer en coffre-fort, on ne s'y serait pas pris autrement.


    Faut-il rappeler que les Ports Francs sont, à 87%, aux mains de l'Etat ? A ce titre, tout ce qui leur est lié est d'intérêt public, et il est normal que le corps des citoyens sache ce qui s'y passe.


    Ensuite, il y a la providentielle valse des responsables. On fait sauter la présidente comme un fusible, on la remplace par un homme qui vient d'avoir été huit ans ministre des Finances à Genève. On se donne des airs de Nettoyeur des Écuries d'Augias.


    Avec M. Maudet, c'est toujours le même scénario, que ce soit dans l'ordre policier, pénitentiaire, ou économique : 1) fusible, 2) Augias. On nous permettra de ne pas être dupe de cette stratégie de communication, et de chercher la vérité sur ce qui a pu se passer - ou justement, ne pas se passer - à l'époque du prédécesseur de M. Maudet comme ministre de tutelle des Ports Francs.

     

    On nous dit que les effectifs sont insuffisants, pour les contrôles, et qu'il faut aller les chercher à Berne, puisqu'il s'agit de l'Administration fédérale des douanes, donc du Département fédéral des Finances. C'est exact. Mais enfin, les autorités genevoises se sont-elles particulièrement démenées, ces dix dernières années, pour tirer la sonnette d'alarme auprès de la Confédération, et le faire savoir ?

     

    En vérité, l'affaire juridique monégasque de M. Bouvier a fonctionné comme un détonateur. Il s'agit sans doute de s'intéresser à cette affaire elle-même intrinsèquement. Mais, supplémentairement à cela, une vaste réflexion politique s'impose sur la réforme des Ports Francs, vers davantage de transparence et de traçabilité des marchandises. Cette entreprise de rénovation appartient à M. Hiler, mais pas seulement. Tout cela devra se faire sous contrôle politique.

     

    Il existe un Parlement, une Commission de l’Économie. Laisser le Conseil d'Etat arranger ses propres bidons avec un ancien collègue, aussi brillant soit ce dernier, ne suffit pas. Le contrôle des Ports Francs doit venir des citoyens, et de leurs représentants. C'est précisément à cela que sert un Parlement.

     

    Pascal Décaillet

     

  • M. Sarkozy et la mer, toujours recommencée

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     Sur le vif - Samedi 30.05.15 - 17.40h

     

    Les Républicains. C’est un mot magnifique. Rassembleur. Le seul qui vaille. En un peu plus de deux siècles d’Histoire de la droite française, il me peine que ce soit Sarkozy qui se pare de ce mot, mais après tout tant mieux pour lui, les autres avaient tout loisir de le faire avant.

     

    Je n’aime pas M. Sarkozy, vous le savez. Sur les sept présidents de la Cinquième, c’est celui que j’ai trouvé le moins à la hauteur de la fonction. Je dis la fonction, pas la compétence. Je reconnais son énergie, sa force de travail, il a fait ce qu’il a pu dans une période difficile. Ce que je n’aime pas, ce sont les signes orléanistes qu’il a délivrés, cette impression de génuflexion devant les forces de l’Argent : pour moi, à ce niveau-là, dans l’exigence de cette symbolique-là, ça ne pouvait pas passer, ça ne passe pas.

     

    Pourtant, je ne lui en veux absolument pas de lancer « Les Républicains ». La dénomination était apparemment vacante, il s’en est emparé, il a bien raison. C’est mille fois mieux qu’UMP, mieux que RPR, mieux qu’UDR, UNR, et même mieux que RPF. Voyez, je remonte en ma mémoire, jusqu’à ce jour de 1947 où Charles de Gaulle avait cru bon de se lancer en politique politicienne, je ne suis pas sûr que ce fût son meilleur rôle.

     

    Mais enfin, « Les Républicains », ça a de la gueule ! Il faut remonter aux Radicaux, ce très grand parti qui avait été, entre autres, celui de Clemenceau, le parti-roi de la Troisième (1870-1940), pour trouver une appellation aussi simple et belle, charpentée dans son idéologie, ancrée dans l’Histoire. D’ailleurs, en France comme en Suisse romande, les Radicaux, au début du dix-neuvième siècle, pendant qu’ils rasaient les murs sous la Restauration, on les appelait « Les Républicains ».

     

    Curieux, d’ailleurs, à quel point la droite républicaine française, si riche d’Histoire depuis 1792, a toujours, beaucoup plus que la gauche, peiné à se fixer sur un nom. Alors qu’en face, il y a depuis plus d’un siècle « les socialistes », comme il y eut longtemps « les communistes », des noms simples et parlants, les multiples familles de droite, qu’elles fussent orléanistes ou bonapartistes, ont multiplié les changements d’étiquettes, les sigles à coucher dehors, hélas souvent pour servir de chapelle – ou d’écurie – à un homme fort : de Gaulle lance le RPF en 1947, Chirac fonde le RPR en 1976, on nomme, on débaptise, à la vérité on ne fait que changer d’appellations, sur des grands courants qui, eux, n’ont guère changé depuis 1792. Le Jacobin contre la Gironde, le Montagnard contre le Modéré, quelque part le Marais, etc.

     

    On rêverait que la nouvelle appellation d’aujourd’hui corresponde à une nouvelle donne. Sans remonter à Jemappes ni Fleurus, encore moins Valmy, qui d’entre nous n’aspire à une flamme républicaine ravivée chez nos amis français ? Autour de quelques fondamentaux, comme par exemple l’Ecole, l’Education, la Culture partagée, la Transmission, la Connaissance. Lorsque la France ranime la République, par Jules Ferry au début des années 1880, par Clemenceau dès 1917, par Charles de Gaulle entre 1944 et 1946, par Mendès France en 1954-55, à nouveau par le Général en 1958, alors oui, nous les voisins de ce grand pays ami, tout en demeurant nous-mêmes, nous sentons comme un souffle puissant traverser l’Histoire.

     

    Il n’est pas sûr, hélas, que ce nom magnifique, marmoréen comme une statue dans le carré des morts, rassembleur, transcendant les clivages, ne constitue pas, pour M. Sarkozy, un costume un peu trop grand. Le costume, par exemple, de Charles de Gaulle. Lorsqu’il descendait les Champs-Élysées, en ce jour de fin août 1944, et qu’il disait « C’est la mer ! ».

     

    Oui, la mer, M. Sarkozy. La mer de Paul Valéry, toujours recommencée.

     

     

    Pascal Décaillet