Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Liberté - Page 960

  • 18 juin 1815 : nous y étions !

    images?q=tbn:ANd9GcS_EfJtZ_ChsurtADVQMOfs7-E47Hdqx3lVtQs_OCwi3MYx_EGb 

    Sur le vif - Jeudi 18.06.15 - 09.25h

     

    Il y a, jour pour jour, 200 ans, dans une plaine au sud de Bruxelles, la fin d'un rêve immense, né 26 ans plus tôt, presque au jour près (20 juin), au Jeu de Paume. Poétiquement, je suis peu hugolien, mais il me faut avouer que nul n'a mieux chanté "ces derniers soldats de la dernière guerre" que Victor Hugo. Ses vers sur la bataille sont sublimes. Epiques. Homériques. Que la réalité du 18 juin 1815 fût hélas plus crue, et même franchement abominable, n'enlève rien au génie du poète : c'est lui, désormais, que nous retenons. La légende, pour toujours, l'a emporté.

     

    De même, que savons-nous de la vraie Guerre de Troie ? Oh, certes, l'immense historien américano-britannique Moses Finley (1912-1986) a remarquablement tenté de le reconstituer. Mais qui lit "Le Monde d'Ulysse" (The Word of Odysseus, 1954), à part les étudiants en Histoire de l'Antiquité ? Alors que tous, nous avons en tête les immortels hexamètres de l'Iliade : Achille pleurant devant la mer, les funérailles de Patrocle, Achille poursuivant Hector, "comme le milan qui fond sur la palombe". Là aussi, la légende s'impose.

     

    On peut nous répéter tant qu'on veut que le vrai Waterloo fut un carnage. Ce sont les vers de Hugo que nous retenons :


     

    " Et, lanciers, grenadiers aux guêtres de coutil,

     

    Dragons que Rome eût pris pour des légionnaires,

     

    Cuirassiers, canonniers qui traînaient des tonnerres,

     

    Portant le noir colback ou le casque poli,

     

    Tous, ceux de Friedland et ceux de Rivoli,

     

    Comprenant qu'ils allaient mourir dans cette fête,

     

    Saluèrent leur dieu, debout dans la tempête.

     

    Leur bouche, d'un seul cri, dit : Vive l'empereur !

     

    Puis, à pas lents, musique en tête, sans fureur,

     

    Tranquille, souriant à la mitraille anglaise,

     

    La garde impériale entra dans la fournaise. "

     

     

    Prédominance de la parole poétique - sans parler de la musique - sur la rationalité historique. Le chercheur fait état de ses enquêtes. Le poète transcende. Et s'inscrit dans le marbre.

     

    Pascal Décaillet

     

  • De l'usage (volontairement ?) abusif du mot "rafle"

     

    Sur le vif - Mercredi 17.06.15 - 14.27h

     

    « La rafle des Tattes, l’abri du Grütli » : c’est le titre d’un texte, au demeurant fort bien écrit (comme toujours), du conseiller municipal socialiste Sylvain Thévoz, et publié sur son blog. Il s’agit du déplacement de requérants d’asile déboutés, du foyer des Tattes (Vernier) vers un abri de protection civile de Carouge. L’affaire défraye la chronique depuis 48 heures, nous avions d’ailleurs hier soir un débat, à GAC, entre le conseiller d’Etat Mauro Poggia et la présidente des Verts genevois, Lisa Mazzone. Ce que M. Thévoz n’accepte pas, c’est le rôle de la police. Il y voit (jusque dans le titre) une « rafle ».

     

    Je ne suis pas sûr d’approuver, non plus, la méthode du Conseil d’Etat dans cette affaire. Et sur le fond, je peux faire un bout de chemin avec Sylvain Thévoz. Mais le mot « rafle » me gêne, je l’ai dit hier sur mon site Facebook, et m’en suis entretenu, en toute fraternité littéraire, avec le principal intéressé. L’Histoire étant ce qu’elle est, l’intensité de son tragique ayant vampirisé le champ sémantique de certains mots, le vocable » « rafle », hélas, n’évoque plus seulement le bon vieux panier à salade que décrit si bien Simenon dans ses « Maigret », lorsqu’il s’agit de passer un quartier au peigne fin pour amener tels mauvais garçons, ou telles « filles », dormir une nuit au violon, non sans être passés par l’anthropométrie.

     

    Il me semble tout de même, pour prendre le plus terrible des exemples, que ce qui s’est passé au Vel d’Hiv (police française, je vous prie) le 16 juillet 1942, destination Drancy et surtout Auschwitz, pourrait être de nature à faire réfléchir tout homme (ou femme) de plume et de culture (laissons les autres), lorsqu’il utilise le mot « rafle ». Bien sûr, cette horreur extrême ne saurait accaparer à jamais le sens d’un mot qui lui préexistait, sans le poids infâme de cette connotation.

     

    Alors, quoi ? Alors rien. M. Thévoz, dont j’admire le style, a le droit de choisir les mots qu’il veut, il n’est pas question de le censurer. Tout au plus, disons que j’ai un petit doute : un homme de sa culture ne pouvant ignorer la connotation dont je fais état, le recours tout de même à ce mot ne relevait-il pas, allez disons juste un peu, d’une provocation volontaire, habile, et calculée ? Dans ce cas, Cher Sylvain, vous avez réussi, puisque me voilà. Dans le rôle de l’emmerdeur. Pour vous servir.

     

    Pascal Décaillet

     

  • SSR : le géant commence à tituber

    174975.jpg 

    Edito paru ce matin en première page du Giornale del Popolo, sous le titre "Il Gigante incomincia a titubare" - Mercredi 17.06.15

     

    50,08% ! L’un des résultats les plus serrés dans l’Histoire de notre démocratie directe. Ils ont eu chaud, très chaud, les responsables de la SSR, pendant tout l’après-midi de ce dimanche 14 juin. « A la raclette », comme on dit en Valais : c’étaient d’ailleurs les mots du président de la SSR, Raymond Loretan, sur le plateau de mon émission dimanche soir, sur la chaîne privée genevoise Léman Bleu. Mais enfin, la loi passe : il y aura bien réforme du mode de perception de la taxe, un sujet technique que presque tout le monde avait oublié, tant l’essentiel des débats, dans toute la Suisse, s’était porté sur une autre question : pour ou contre la SSR ?

     

    La campagne aura été mémorable. Les partisans, d’un bout à l’autre, n’ont cessé de nous répéter l’enjeu réel du scrutin (la réforme de la taxe), mais plus ils s’égosillaient, plus les opposants braquaient leurs projecteurs sur la SSR, trop grosse, trop gourmande, trop de chaînes, trop de bureaucratie, trop à gauche, trop européenne, bref une addition d’excès. Et plus les partisans leur disaient « Ça n’est pas le sujet ! », plus les autres en rajoutaient. Devant l’opinion publique, ils marquaient des points, les opposants, parce que jusqu’à nouvel ordre, on a le droit de discuter de ce qu’on veut. Et puis, si la discussion a dévié, il faut bien croire que cela correspondait à un besoin profond, longtemps retenu, de la population : pouvoir enfin s’exprimer, pas seulement au bistrot mais par la voie des urnes, sur ce Mammouth, gigantesque, pesant, aux appétits démesurés.

     

    La campagne a été rude. Du côté des opposants, l’USAM n’a pas ménagé ses adversaires, notamment en Suisse alémanique. Du côté des partisans, d’incroyables arguments ont été utilisés : en Suisse romande, on a traité de « mauvais Romands » les opposants, parce qu’ils affaibliraient la SSR, au bénéfice (comme le Tessin !) de la fameuse « clef de répartition » de la redevance. Rationnellement, l’argument était faux, puisque précisément la SSR ne perdait pas un centime dans cette votation. Mais voilà, le combat n’avait rien de rationnel : petit à petit, les gens ont laissé sortir des années, voire des décennies, de colère rentrée contre un diffuseur public national jugé trop gâté. D’ailleurs, le résultat le plus étonnant est celui du Tessin : 52% de non, alors que votre canton tire beaucoup de bénéfices de la clef de répartition. Donc, au Tessin comme ailleurs, on a voté clairement sur autre chose que sur l’enjeu : pour ou contre la SSR, pour ou contre ses programmes, pour ou contre la Berne fédérale, peut-être. Comme si le scrutin fonctionnait comme révélateur des malaises propres à chaque région. De la même manière, pourquoi diable le Valais a-t-il, seul en Suisse romande, dit non (53,5%) ?

     

    Et maintenant ? Eh bien, la transformation du paysage médiatique suisse ne fait que commencer ! Nous sommes en pleine révolution des habitudes de consommation, des supports de réception, des modes de production. Et on vient encore nous parler d’un immense consortium national, une usine à gaz, avec des structures incompréhensibles (l’organisation institutionnelle, parallèle à la hiérarchie professionnelle), un budget démesuré, un géant blessé qui commence à tituber, et dont les faux pas risquent encore de faire bien des dégâts. Car en termes d’image, même avec sa victoire à la Pyrrhus à 50,08%, la SSR a perdu la bataille. Le réformer, la dégraisser, est désormais à l’ordre du jour, sur toutes les lèvres de Suisse, de Chiasso à Schaffhouse, de Sion à Coire !

     

    Oui, la bataille des médias ne fait que commencer. La SSR, paraît-il, fait du « service public ». Fort bien ! Et le Giornale del Popolo, il n’en fait pas, en informant jour après jour ses lecteurs ? Et les TV régionales privées, en collant à la proximité de leurs spectateurs ? Et la NZZ, avec ses pages politiques et économiques et culturelles ? Fini, le temps de l’arrogance de la SSR, comme si elle était seule au monde à produire de l’information sérieuse : le géant commence à tituber. Ça n’est pas encore la chute. Mais le temps de l’orgueil et de la superbe est terminé.

     

    Pascal Décaillet