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Liberté - Page 963

  • Ville de Genève : trop d'associations

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    Sur le vif - Jeudi 11.06.15 - 16.52h

     

     

    Il y a beaucoup trop « d’associations » en Ville de Genève, stipendiées par l’autorité municipale. Une véritable foison, dans tous les domaines imaginables. Tous les mois de décembre, on connaît le rituel : les permanents de ces « associations », au fond des fonctionnaires municipaux déguisés, viennent tendre leur obole auprès du délibératif de la Ville, au moment du Budget. On fait le siège des élus, on se frotte à leur compagnie, on se pique de sympathie, et finalement l’escarcelle se remplit.

     

    Je n’aime pas les « associations ». Encore moins, l’esprit associatif, qui m’est toujours apparu très antinomique à celui de la République. Je le dis franchement, je n’ai jamais aimé le principe de ces montres molles, ces structures flasques qui prétendent ne rien devoir à l’autorité élue, sauf qu’elles vont tous les ans lui solliciter l’aumône. On y retrouve d’ailleurs, comme par hasard, très souvent les représentants de partis de souche libertaire, pour lesquels l’Etat, l’institution, n’a qu’une existence lointaine, et s’il pouvait n’en point avoir du tout, ce serait parfait.

     

    Je n’ai jamais très bien compris, si telle activité (sociale ou culturelle, par exemple) est à ce point importante, pourquoi l’autorité (municipale, en l’espèce) ne la prend pas organiquement sous son aile, comme corps d’un ensemble, plutôt que de lui allonger chaque année prébendes ou subsides. Avec tout ce que ce petit jeu amène de pressions, de pouvoir à des roitelets, le pouvoir de la bourse, celui de délier. Et ils en rotent de jouissance, ces petits potentats municipaux, dans la Cour de l’un ou de l’autre, à la seule idée d’exercer cet arbitraire de vie ou de mort. Lequel doit être confirmé par le délibératif, d’où l’éternel petit jeu de pas perdus et de joies retrouvées.

     

    Je n’aime pas les associations. J’aime l’Etat. Ou, en l’espèce, la Ville. L’autorité démocratiquement élue, qui organise son administration, rend des comptes. Avec, au final, le peuple comme souverain. Ou plutôt le corps électoral : il n’a jamais été question que toute la population vote. Je n’aime pas ces réseaux de copinage en Ville de Genève. Je n’ai jamais compris, par exemple, pourquoi les deux grands théâtres subventionnés devaient dépendre d’une nébuleuse à la représentation complexe et pléthorique.

     

    Nous entrons, en Ville, dans une nouvelle législature. Avec une nouvelle majorité. Peut-être ne serait-il pas inutile que les élus se livrent cette fois, en profondeur, avant même d’attaquer le Budget 2016, à un audit un peu sérieux et professionnel de cette jungle d’associations. Ils pourraient, par aventure, y dénicher quelques doublons, inutilités, voire fictions, dont l’éventuelle disparition (au tableau des subventions) ne traumatiserait pas nécessairement l’opinion publique. Au besoin, par les mécanismes de la démocratie directe municipale, le peuple, pardon le corps électoral, pourrait à son tour empoigner ce chantier. Il n’est pas dit qu’il le fasse, lui, avec la traditionnelle onctuosité débonnaire des élus.

     

    Pascal Décaillet

     

  • LRTV : le pluralisme selon Christian Levrat

     

    Sur le vif - Dimanche 07.06.15 - 16.47h

     

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    Toute personne de bonne foi, qu’elle soit de gauche ou de droite, pour ou contre la LRTV, ayant écouté mercredi 3 juin le débat de Forum entre Christian Levrat, président du parti socialiste suisse, et Stéphane Benoît-Godet, rédacteur en chef du Temps, a dû avoir les cheveux hérissés sur la tête. Je dis bien : tout auditeur, favorable ou non à M. Levrat, au socialisme, à la SSR, à tout ce que vous voudrez. Dans ce débat, le numéro un des socialistes suisses, qui porte la responsabilité de parler au nom d’un très grand parti qui, depuis plus d’un siècle, contribue à constituer la politique de notre pays, a totalement dérapé lorsqu’il a parlé de la presse, et notamment du Temps.

     

    Il ne s’agit pas ici de savoir si M. Levrat a raison ou tort de soutenir la révision de la LRTV. De toute façon, sa collègue de parti et des Etats Géraldine Savary étant quasiment quotidiennement sur les ondes de la SSR pour prôner le oui, on a cru comprendre que l’enjeu LRTV était totalement capital pour les socialistes suisses. Mais la question n’est pas là. Elle est dans la manière avec laquelle le chef d’un parti gouvernemental suisse s’est permis de critiquer la ligne éditoriale du Temps. Par exemple, en faisant allusion à des militants socialistes se plaignant que le journal « refuse systématiquement de publier » leurs lettres de lecteurs.

     

    Le Temps refuse-t-il de publier ces lettres ? Je n’en ai strictement aucune idée, et cela ne m’intéresse pas. Pour la bonne raison que le Temps, comme n’importe quel journal, n’importe quel organe de presse privé, est totalement libre de publier ce qu’il veut, comme il veut, quand il veut, sur les sujets qu’il veut, en prenant les positions éditoriales qu’il veut. Il n’a de compte à rendre à personne. Et s’il y a, sur les quelque huit millions d’âmes de l’univers habité de Suisse, un homme à qui le Temps, comme n’importe quel journal, a ENCORE MOINS DE COMPTES A RENDRE, c’est bien au chef d’un parti politique, de surcroît gouvernemental depuis 1943. Le parti socialiste (contre lequel je n’ai rien, ça n’est pas la question), c’est une part importante de la totalité du pouvoir suisse. Christian Levrat est Conseiller aux Etats, il représente une partie du pouvoir, il est le chef d’un parti gouvernemental depuis 72 ans, à ce titre un minimum de retenue s’impose lorsqu’il se permet de parler des choix éditoriaux d’un journal.

     

    Pour ma part, je respecte le socialisme et les socialistes. Ils ont largement contribué à construire la Suisse d’aujourd’hui, par exemple dans l’édification de nos assurances sociales, ou (à Genève, avec Chavanne) dans la construction de l’École. Je n’ai aucun problème avec eux, et sur le curseur de la redistribution, je peux faire un bout de chemin en leur compagnie. Mais je suis journaliste, viscéralement. Éditorialiste. Billettiste. Je n’aime pas trop les commissaires politiques. Le Temps a jugé bon, dès le lendemain, de recenser l’ensemble des billets d’opinion (dont le mien) sur la LRTV, prouvant à M. Levrat que le camp du oui avait été, bien au contraire de ses allégations,  davantage représenté. Je trouve que le journal a eu tort. Il n’avait en rien à se justifier. En aucun cas, un quelconque journal, en Suisse, n’a le moindre compte à rendre à un parti politique, à un homme ou une femme politique. L’attaque de M. Levrat ne méritait que le silence.

     

    Mais au fond, l’épisode est révélateur. L’ingérence que s’est permise M. Levrat dans les choix éditoriaux d’un journal privé, prouve à quel point est capital, pour son parti, le maintien de la SSR. Pour pouvoir continuer à écouter, calculette en main, toutes les radios, regarder toutes les TV, exiger comme un épicier la quote-part de socialistes. Pour résumer, M. Levrat est comme l’immense majorité des politiques, de droite, de gauche, ou du centre : la liberté de la presse, la liberté d’opinion, ne l’intéressent que lorsqu’elles vont dans son sens. Dès qu’elles se hasardent à soutenir le camp adverse, le masque du libéralisme tombe, celui de la censure et du dirigisme resurgit.

     

    Cela a toujours fonctionné ainsi, avec tous les politiques, de tout bord. Il suffit juste de le savoir. Blinder sa solitude. Et continuer à dire ce qui nous semble important. Il y aura toujours des contents, des mécontents. Des fleurs, et des insultes. C’est la vie. Il faut accepter ce jeu. Et continuer, si on a des choses à dire, de s’exprimer. Jusqu’à quand ? Mais jusqu’à la mort, pardi. Au-delà, je ne suis plus compétent pour juger.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Quelques pensées sucrées dans la nuit d'encre

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    Sur le vif - Samedi 06.06.15 - 18.17h

     

    Une idée, qui m'habite depuis longtemps: en matière d'information, et surtout d'audiovisuel, sans parler de sites d'informations (qui sont le seul vrai chantier d'avenir) : il faut arrêter de se laisser impressionner par le gigantisme des groupes de presse en Suisse. Marre de n'entendre parler que de ces géants basés à Zurich (Tamedia, Ringier) qui ont, dopés par le capital, bouffé tous les autres, tué au fil des décennies les entreprises familiales locales. Et qui au fond, en termes de taille et d'arrogance, ne sont rien d'autre que l'équivalent privé, papier, de ce qu'est la SSR dans le secteur public, audiovisuel. Des géants, face à d'autres géants. Ils se sont juste partagé le gâteau. Et ne s'engueulent (provisoirement ?), en vue du 14 juin, que parce que tout à coup, il y a le gâteau de demain (les sites multimédias) sur lequel ils ont, les uns et les autres, de gigantesques appétits. C'est ça, la votation de dimanche prochain. Le reste, c'est pipeau.



    Bien sûr, ces groupes existent. Leur gigantisme, c'est la réalité du théâtre d'opérations d'aujourd'hui. Mais la disproportion de leur taille est tout, sauf éternelle. Pour une raison très simple: l'éclatement des sources d'informations possibles. L'individualisation des auteurs. La fragmentation des lieux et des origines d'une donnée d'info crédible, vérifiée, d'intérêt public. Je suis frappé à quel point le lien contractuel (employeur-employé) domine encore aujourd'hui, exagérément je l'affirme, les préoccupations des milieux de l'information. On peut pourtant survivre, et même apporter beaucoup au métier, en se lançant soi-même dans l'aventure de la création d''entreprise, c'est infiniment plus dur, mais c'est jouable. Il suffit de surmonter ses peurs, ce qui n'est certes pas évident, car ce combat contre ses propres angoisses n'est jamais gagné. L'indépendant frondeur vivra et mourra avec l'intimité mêlée de son bonheur artisanal et de ses anxiétés. Faut être un peu cinglé, c'est vrai.

     


    Le journalisme, c'est Sisyphe. Salarié ou indépendant, employé ou employeur, de toutes façons vous êtes dans l'éternel recommencement. Faire les pages d'un journal, boucler l'édition, aller se coucher, se lever le lendemain, recommencer à zéro, pour l'édition suivante. A l'époque, avec un typomètres, des cicéros et des points. Idem en radio, avec des minutes et des secondes. Idem en TV. Idem sur les sites d'informations. Jamais gagné, jamais perdu. Si vous n'aimez pas la rigueur, la précision d'horlogerie, la discipline de cet artisanat, faites autre chose. Parce que le journalisme n'est rien d'autre que cela. Il faut s'inscrire dans le temps ou dans l'espace, dans des délais, des timings ou des lignages. En radio, à la seconde près. En presse écrite, au signe près. J'aime cela, infiniment. La précision, c'est la politesse du métier.



    Mais aujourd'hui, je j'affirme, on parle beaucoup trop du lien contractuel, du rapport employé-employeur, des pesanteurs organiques internes à ces fameux géants. Il faut se souvenir que le public, celui qui lit les journaux, écoute les radios, regarde les TV, n'a strictement rien à faire de ces choses-là. Pour lui, l'essentiel, c'est ce que nous lui offrons. La valeur ajoutée. Il aimera ou non ce que nous proposons, mais c'est cela qui le touche, l'intéresse, le concerne, et non la vie interne des médias.

     

     

    L'avenir, d'ici cinq ans, dix ans, vingt ans, pourrait bien appartenir à de minuscules unités de création indépendantes. Ayant la souplesse, la rapidité de réaction, la capacité d'adaptation au terrain, pour s'inscrire dans la révolution technique en marche, et notamment la fragmentation des supports. A l'heure où vous pouvez accéder à de l'information sur votre tablette, votre téléphone portable, votre montre, il faudrait continuer de penser la production d'information au sein de structures lourdes, complexes, mammouths, désertées par l'enthousiasme et l'inventivité, ayant juste réussi, au fil des décennies, à s'acoquiner à ce point avec le politique, que ce dernier a fini, sur mesure, par tricoter les lois pour la seule survie de ces usines à gaz ?

     


    En novembre et décembre 1980, j'avais participé, pour un cours de répétition, à d'immenses manœuvres de corps d'armée. C'était assez drôle, formidablement complexe, personne n'y comprenait rien. Nous étions tous comme Fabrice à Waterloo : aucune vision d'ensemble, juste la conjonction de chacune de nos solitudes avec l'immensité affamée du hasard. Au cours de cadres, le week-end précédant l'arrivée du gros des troupes, j'avais passé deux nuits dans la sucrerie d'Aarberg. Nous dormions quelques heures dans nos sacs de couchage, dans une usine qui distillait jour et nuit la betterave, le parfum de fermentation était aussi suave qu'omnipotent, les lumières de la fabrique, sublimes, dans la nuit d'encre de novembre, comme une infinité de voies lactées.



    Il m'arrive parfois, en considérant dans ma nostalgie sucrée le gigantisme de ceux qui, aujourd'hui, se partagent la presse en Suisse, de penser à ces deux nuits galactiques. J'ai aimé l'usine, c'est vrai. Mais déjà, je préférais l'intensité de ma solitude.

     

     

    Pascal Décaillet