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Liberté - Page 962

  • La démocratie selon Pierre Ruetschi

     

    Sur le vif - Samedi 07.02.15 - 17.18h

     

    Dans l’édito de la Tribune de Genève ce matin, en première page, le rédacteur en chef de ce journal, Pierre Ruetschi, écrit que le peuple suisse doit pouvoir « corriger son erreur » du 9 février 2014. « L’erreur, qu’elle soit individuelle ou collective, est humaine ». Titre de l’édito : « Le peuple suisse doit revoter ».

     

    Revoter ou non, on peut en discuter. Mais ce qui choque, de façon extrême dans le cas d’espèce de cet édito, c’est la terminologie de Pierre Ruetschi. Le grand géomètre a revêtu son habit de Lumière pour descendre dans l’arène, affronter la bête immonde. Il incarne le camp de ceux qui ont compris, grâce à l’ascèse de la Raison pure, face à la masse majoritaire du 9 février, évidemment inculte, manipulée : «  Est-ce que la totalité des 50,3% des votants ayant soutenu l’initiative ont mesuré toute la portée de leur vote? », demande-t-il. « A l’évidence non », rétorque-t-il, dans l’un de ses Dialogues intérieurs dignes des très riches heures du Carmel.

     

    On salue évidemment une connaissance aussi intime des consciences de l’électorat. Le peuple suisse a voté, il a commis une erreur, il ne le sait pas, mais moi, Pierre Ruetschi, je le sais à sa place. L’erreur étant humaine, nous allons donc organiser un deuxième vote, Une « seconde chance » (sic !), afin que tout rentre dans l’ordre.

     

    Quel ordre ? Mais celui de Pierre Ruetschi, pardi ! Celui du PLR, dont ce rédacteur en chef, au niveau genevois comme au niveau suisse, est l’infatigable porte-parole, ce qui est d’ailleurs son droit, on aimerait juste que ce soit affiché un peu plus franchement en première page du journal. L’ordre libéral, oui. L’ordre du grand patronat. L’ordre de ceux qui ont le plus intérêt, pour leurs petites affaires, à la libre circulation. L’ordre, simplement, du pouvoir actuellement en place en Suisse, et dans le canton de Genève. Plaire à M. Longchamp. Plaire à M. Burkhalter. Plaire aux patrons. Plaire aux annonceurs. Plaire à l’éditeur, tout là-haut, à Zurich, qui vend du papier comme des petits pains.

     

    D’une manière générale, la capacité de ce rédacteur en chef à se placer du côté du pouvoir force l’admiration. Toujours d’accord avec les majorités en place. Jamais le moindre écart. Et il n’est pas le seul. La presse suisse n’appartient plus, aujourd’hui, qu’à deux géants, basés à Zurich, qui ont tout dévoré pour se partager le gâteau. Leur mode d’action et d’organisation, la primauté qu’ils accordent à leurs actionnariats, en font ontologiquement des machines libérales. C’est leur droit. Il faut juste le savoir. Le libéralisme financier, depuis plus de trente ans, a bouffé la presse suisse. Il a fait de nos grands journaux les pièces, ou les pions, d’ensembles plus vastes, gérés par des affairistes, où seule compte la rentabilité de l’action. Chez ces gens-là, on est libéral par nature, libre échangiste par affinité, hostile aux frontières par appât. Alors, vous pensez, quand on est rédacteur en chef, venir s’opposer à cette machinerie de la pensée ! Le grand horloger, dans son habit de Lumière, n’est tout de même pas fou.

     

    Nous avons, en Suisse, des dizaines de quotidiens. En connaissez-vous beaucoup, faisant partie de ces deux grands groupes zurichois, qui nous tiendraient, en éditorial, un discours anti-libéral, ou protectionniste, ou favorable à une régulation des flux migratoires ? Réponse : il n’y en a pas. Tous disent la même chose. Tous soutiennent l’ordre libéral. Ils ne sont ni de gauche, ni UDC : ils sont, très clairement, avec le PLR et ses alliés du patronat. La vraie pensée dominante en Suisse, c’est celle-là. Considérer que le peuple a mal voté le 9 février 2014, parler à plusieurs reprises « d’erreur », c’est se mettre du côté d’un libéralisme économique qui tient aujourd’hui avec poigne les rênes et les leviers du pays. Le peuple a beau avoir dit non à cette vision du monde, exigé des contingents, non seulement on ne met pas en application sa volonté, mais on vient lui parler « d’erreur », lui expliquer qu’il s’est trompé.

     

    C’est cela, le discours de Pierre Ruetschi. Bien au-delà de sa personne, au demeurant parfaitement respectable, c’est une mécanique d’obédience face au pouvoir en place. C’est valable sur le plan fédéral. Ça l’est, mille fois plus encore, dans un microcosme genevois où ce journal, naguère attachant et populaire, prend hélas, de plus en plus, des allures de Pravda.

     

    Pascal Décaillet

     

  • EWS à Singapour : une faute politique

     

    Edito du Giornale del Popolo - Publié ce matin en première page, sous le titre " Qui Eveline se gioca la reelezione"

     

    Eveline Widmer-Schlumpf aurait voulu créer le chaos, elle ne s’y serait pas prise autrement ! Dans le dossier le plus délicat, le plus brûlant, du Conseil fédéral, la mise en œuvre du oui populaire, le 9 février 2014, à l’initiative sur l’immigration de masse, la Grisonne a eu des mots, à Singapour, qui pourraient se retourner contre elle. Et lui coûter cher, par exemple à l’horizon de décembre prochain, la réélection complète du Conseil fédéral, après les législatives du 18 octobre.

     

    Du bout du monde, la conseillère fédérale, devant des politiciens et des représentants de l’économie, a déclaré qu’il fallait une nouvelle votation. Oh, certes, elle et ses services se sont empressés de préciser qu’il s’agissait d’un avis personnel, tout de même, le mal est fait. Car enfin, notre ministre des finances ne s’est pas exprimée sur le sexe des anges, ni sur la hauteur du Cervin, mais sur le sujet le plus douloureux de notre politique intérieure. Il y a, certes, des milieux qui demandent un nouveau vote. Mais jusqu’à nouvel ordre, pas le Conseil fédéral ! Voilà donc qui ressemble, à s’y méprendre, à une rupture de collégialité. Aussitôt, du côté des parlementaires UDC et PDC, on a dit sa colère. Les mots ministériels, lâchés un peu légèrement à des milliers de kilomètres de la molasse bernoise, accréditent la thèse qu’en Suisse, on fait voter le peuple, mais au fond on ne l’écoute pas. Mauvais signal, catastrophique même.

     

    Il serait donc agréable d’être une mouche, ou une sorte de libellule d’hiver, et de pouvoir assister incognito à la prochaine séance du Conseil fédéral : on imagine le « débriefing », entre les Sept, du « message de Singapour » ! La présidente de la Confédération, Mme Sommaruga, fera-t-elle la leçon à sa chère collègue ? Reste l’essentiel : le malaise, de plus en plus, dans l’opinion publique suisse, face à la lenteur des autorités à mettre en application l’initiative sur l’immigration de masse. Car enfin, le 9 février 2014, le peuple et les cantons ont été clairs. Ila veulent des contingents. C’est peut-être très dérangeant, comme message, pour toute une Nomenklatura libérale liée au grand patronat, mais c’est comme cela : c’est la volonté du souverain.

     

    L’image donnée à Singapour par notre ministre des finances, c’est que la Suisse devrait se soucier prioritairement des intérêts du patronat, avant de prendre en considération le cœur sacré, unique au monde, de sa démocratie : le suffrage universel. Là aussi, signal gravissime : on accrédite la thèse d’une élite, à Berne, ou peut-être aussi à Zurich, préférant sauvegarder des intérêts de classe, plutôt qu’affirmer l’intérêt national, décidé par le peuple et les cantons. La démocratie n’y est pas gagnante. La Grisonne pourrait être appelée, en décembre, à régler l’addition.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Pierre Maudet : la dérive autoritaire

     

    Commentaire publié dans GHI . Mercredi 04.02.15


     
    Pierre Maudet règne sur la police genevoise. Mais a-t-il la confiance des policiers ? La question n’est pas anodine. Être statutairement le chef est une chose, gagner les cœurs en se faisant respecter par la base en est une autre. Oh certes, la police n’est pas un monolithe : le chef du Département y compte sans doute de nombreux partisans. Mais une chose est sûre : il s’y est taillé aussi, en moins de trois ans, de très solides inimitiés. Et pas seulement le rugissant Christian Antonietti, le chef du syndicat des policiers (UPCP), qui semble avoir érigé l’anti-Maudet en combat personnel. Non, il y a une grogne contre le chef du Département. Reste à savoir quelle est son envergure.


     
    Une clef d’explication, assurément, sera le vote du peuple sur la loi sur la police, le 8 mars. Scrutin majeur, test de confiance pour le conseiller d’Etat. Plus s’égrènent les jours, plus cette votation prend des allures de plébiscite (ou de rejet) du magistrat, dans la confiance qu’on lui prête pour continuer à tenir ce rôle central et régalien. Oh, Pierre Maudet a toutes les chances de très bien s’en sortir : il est populaire, le mieux élu du Conseil d’Etat, la majorité politique soutient sa loi du 8 mars, la grève de l’habillement de l’été 2014 reste en travers de la gorge de la population. Et puis, franchement, tout le monde désire une police qui fonctionne. Et on voit mal, aujourd’hui, dans la classe politique genevoise, qui d’autre que Pierre Maudet pourrait présider politiquement à ses destinées.


     
    Le 8 mars, les Genevois ne voteront pas sur le fond de la loi. L’objet est trop complexe, manque totalement d’unité de matière, mélangeant les questions de structure, de représentation syndicale et de droits plus ou moins acquis. Malgré tous nos efforts de clarification, dans les débats, le vote du 8 mars sera pour ou contre Maudet. Pour ou contre sa personne. Toute l’Entente (PLR et PDC) est derrière lui, car une défaite dans un dicastère aussi amiral que celui de la sécurité serait fatale pour la suite de la législature. Le magistrat est donc bien placé pour gagner. Mais rien n’est sûr. Et surtout, vainqueur ou non le 8 mars, l’éternel jeune premier de la politique genevoise devra, tout en se faisant respecter, atténuer certaines de ses tonalités face à la base. Il y a des choses qui ne passent pas.


     
    Par exemple, le respect des droits syndicaux. On pense ce qu’on voudra de la grève du zèle, avec distribution de chocolats, qu’envisageaient les policiers genevois au matin du 29 janvier, journée de débrayage de la fonction publique, l’envoi d’officiers dans les postes pour s’y opposer hiérarchiquement ne constituait pas un signal d’intelligence de la part du chef. Ne revenons pas sur l’absolu verrouillage de l’information, déjà mentionné dans ces colonnes, ni sur le flicage de gendarmes, depuis le Japon, coupables d’avoir commis le grand crime d’un « like » sur un réseau social, sur un site par ailleurs anodin. On se dit tout de même que l’enfant terrible de la politique genevoise, ce fils de Fouché et de Cambacérès, mérite mieux, dans ses occupations, que ce genre de Nipponeries. On a envie de lui dire : « Tu es le chef, c’est bien. Nul ne le conteste. Mais garde-toi de la dérive autoritaire. Elle pourrait profondément t’affaiblir. Genève n’en sortirait pas gagnante ».
     


    Pascal Décaillet