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Liberté - Page 776

  • Le grec et l'allemand, soeurs souveraines

     

    Sur le vif - Dimanche 19.08.18 - 18.43h

     

    La puissance du Romantisme allemand, époustouflante, indéracinable, est de surgir, non d'une lumière céleste, mais des entrailles de la terre.

     

    Un bosquet. Une source. Le Neckar ou le Rhin, perçus chez Hölderlin comme des divinités. La force d'aimantation du micro-local, comme dans l'infinie variété des cultes de la Grèce ancienne. Ou chez les Étrusques.

     

    Dans ce polythéisme, nulle aspiration à l'universel. À chaque lieu, son culte. Le contraire même des Lumières, cette Aufklärung trop démonstrative et rationnelle, trop géométrique, à laquelle le Sturm und Drang, puis le Romantisme, réagissent si vivement.

     

    Cette fascination pour le particulier, les racines, le feu, la terre et l'eau, vous la retrouverez aussi dans l'immense aventure intellectuelle des Frères Grimm, notamment leur extraordinaire Dictionnaire de la langue allemande, qui réhabilite l'infinie variété dialectologique du monde germanophone. Autre point commun avec la langue grecque, à l'époque antique.

     

    Celui qui aspire à saisir le fil invisible (le Ring ?) de l'Histoire allemande, doit passer par l'étude de l'évolution de la langue allemande elle-même, de la traduction de la Bible par Martin Luther, en 1522, cet acte exceptionnel d'intelligence et d'affranchissement, jusqu'aux chansons de Brecht et Kurt Weill, aux monologues de Christa Wolf et Heiner Müller.

     

    Chez tous ces auteurs, la même fascination pour une matrice : la langue grecque. La grande sœur, sans doute, de la langue allemande.

     

    Le grec et l'allemand, sœurs souveraines, indissociables, liées l'une à l'autre. Comme créées, engendrées même, l'une pour l'autre.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Mme Merkel et le paravent européen

     

    Sur le vif - Dimanche 19.08.18 - 10.03h

     

    Dans l'affaire ukrainienne, depuis le début, Angela Merkel ne mène absolument pas une "politique européenne", comme elle le revendique, mais elle défend les intérêts supérieurs de l'Allemagne.

     

    Extension de l'influence (économique, notamment) sur les Marches de l'Est, dans un corridor de pénétration parfaitement traçable, en exploitant (comme toujours) les inimitiés naturelles à la Russie. Cela, il y a trois quarts de siècle, se fit, "par d'autres moyens", pour reprendre l'expression si juste de Bismarck.

     

    Que la Chancelière allemande défende les intérêts stratégiques de l'Allemagne, à première vue, on pourrait dire : "Après tout, elle est là pour ça". Le problème, c'est qu'elle avance masquée, exactement comme Helmut Kohl, dans les années 90, dans les guerres balkaniques. Elle ne dit pas : "Je mène à l'Est une politique allemande" (je me refuse à utiliser le concept d'Ostpolitik, autrement plus subtil, celui de l'immense Chancelier Willy Brandt). Non, elle ose dire "Je fais tout cela au nom de l'Europe". Et c'est là, oui dans cette duperie intellectuelle et sophistique, l'autre grand scandale (avec l'affaire des migrants en 2015) de l'ère Merkel.

     

    Depuis Helmut Kohl et les Balkans (1991-1999), l'Allemagne, sur la scène de l'Europe centrale et orientale, utilise éhontément le paravent européen, le prétexte multilatéral, pour camoufler la réalité de la reconquête d'influences économiques et stratégiques dans des zones parfaitement identifiables dans la continuité de sa politique d'expansion, lancée sous le grand Roi de Prusse Frédéric II (1740-1786), dont la vie et l’œuvre devraient être enseignées obligatoirement dans nos écoles, tellement elles sont fondatrices pour comprendre la suite.

     

    L'Allemagne joue sa carte nationale, et nul ne semble s'en émouvoir. Parce que le paravent européen est là pour nous aveugler. Associé à celui de l'OTAN. Bref, le camp du Bien, les gentils. Face aux méchants Russes. Mme Merkel devrait pourtant se méfier de cette politique sournoise. Parce que les Américains ne sont peut-être plus pour longtemps sur un continent européen où ils ont pris pied en 1943 (Italie) et 1944 (Normandie). Et aussi, parce que son paravent européen, criblé de trous, menace de s'effondrer de toutes parts. Le jour où cette construction du mensonge se pulvérisera, la réalité, bien tangible, des intérêts nationaux, laissera, face à face, deux présences stratégiques réelles en Europe. Celle de l'Allemagne. Et celle de la Russie.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Nation, mémoire

     

    Sur le vif - Samedi 18.08.18 - 14.33h

     

    La nation ne saurait, à mes yeux, constituer un âge d'or, le retour au passé, la nostalgie de ce qui fut et qui n'est plus. Je n'invoque ici ni Valmy, ni Jemappes, même si l'épopée de ces soldats en haillons, seuls contre les têtes couronnées de 1792, m'a toujours infiniment touché.

     

    Pour la Suisse, je ne rêve en aucun cas d'un Paradis perdu. Pour la bonne raison que cet Éden n'a jamais existé : mon père (1920-2007) m'a raconté maintes fois l'état économique du Valais dans sa jeunesse, et ses parents à lui, comme ceux de ma mère, nés les quatre aux 19ème siècle (entre 1887 et 1895), avaient encore connu l'ingratitude marécageuse d'un paysage mondialement admiré, aujourd'hui, pour ses murets de vignes.

     

    Non, la Suisse n'est en aucun cas "l'Histoire d'un peuple heureux" (titre de l'un des ouvrages de Denis de Rougemont), c'est celle d'un peuple comme un autre, avec la misère économique et agricole, le lent chemin vers l'industrie, l'exode rural, l'exil aux quatre coins du monde. La prospérité de notre pays, bien réelle (mais pas définitive !) aujourd'hui, ne date, au fond, que des années d'après-guerre. Nous n'avons ni à renier notre passé, ni à l'idéaliser.

     

    Alors, quoi ? Alors, je crois à l'échelon national, et à sa primauté, à cause de l'immensité symbolique des repères inscrits dans le souvenir collectif, ce que l'historien Pierre Nora appelle "les lieux de mémoire".

     

    La mémoire, ça n'est pas la nostalgie. C'est considérer l'état d'un pays dans la profondeur diachronique, celle du champ historique. C'est tenter, à l'exemple de Thucydide, dans sa Guerre du Péloponnèse, d'expliquer le présent par des enchaînements de causes et d'effets. C'est avoir étudié ce qui s'est passé avant nous, pour mieux éclairer le présent.

     

    La mémoire, dans un champ plus affectif, mais tellement fondamental, c'est aussi le culte des morts, le souvenir de leur présence terrestre, le lien demeuré intact avec certains d'entre eux.

     

    La mémoire, lorsqu'elle est collective, c'est encore la culture partagée au sein d'une communauté humaine, avec des systèmes de valeurs.

     

    La mémoire n'est assurément pas là pour paralyser l'action, mais pour la stimuler. Lui donner du sens. L'inscrire dans une continuité. Non par traditionalisme, mais pour exister dans une perspective qui puisse nous dépasser.

     

    A mes yeux, à ce jour (rien n'est définitif, je sais), nul échelon, depuis la Révolution française, n'a mieux incarné ces valeurs, ce rapport au périmètre communautaire, que celui de la nation.

     

    Une chose est sûre : les conglomérats d'impuissance impersonnelle qu'on a, en Europe, tenté de substituer à la nation, n'ont en rien réussi à fédérer les énergies, capter les cœurs, galvaniser les enthousiasmes, réunir dans une mémoire commune. Pour l'heure, on n'y trouve qu'une armada de fonctionnaires avec tâches de baillis, des forêts de règlements et de directives, et au sommet, une totale inexistence politique.

     

    La citoyenneté, la démocratie, c'est à l'intérieur de chaque nation qu'elles existent et s'expriment le mieux. Vous voyez, nulle mystique : juste le cheminement naturel d'une idée. Profondément ancrée, dans ma vision politique, depuis des décennies.

     

    Pascal Décaillet