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Liberté - Page 1463

  • Saint Jean et l’éblouissante noirceur des maudits

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    Notes de lecture - Samedi 01.05.10 - 15.40h

     

    Le livre que je viens de terminer commence par une soirée chez Cocteau en 1927 et s’achève par une causerie avec Malraux en 1971. Peu d’entre nous connaissent aujourd’hui le nom de son auteur, qui fut pourtant l’un des journalistes les plus remarqués de la fin de la Troisième, de la Quatrième, puis de la Cinquième République : Robert de Saint Jean (1901-1987) nous entraîne, dans son « Journal d’un journaliste », dans un caléidoscope de célébrités, au premier plan desquelles son ami de toujours, son « amour platonique » pendant 60 ans, Julien Green.

     

    Ce que furent l’activité journalistique de Robert de Saint Jean, ses champs d’enquête, le livre ne nous en révèle rien. Nous savons que l’auteur travailla, notamment, pour Paris-Soir, le Parisien libéré ou Paris-Match, en passant par l’hebdomadaire gaulliste Carrefour. Son labeur quotidien, dans son journal, il n’en parle pas. Ce qu’il met en avant, ce sont des noms, avant tout des écrivains, des personnalités, des « dîners » (incroyable, ce qu’on pouvait « dîner » dans ces années-là !), des rencontres.

     

    Et c’est l’Histoire de France qui défile, de Gaulle ou Pétain, Gide ou Céline, Briand, Claudel, Mauriac. L’Histoire de France, et celle de l’Europe : à plusieurs reprises, Robert de Saint Jean rencontre Mussolini, notamment en mai 1935, alors que le Duce est au sommet de sa gloire, sans doute en ce milieu des années 30 (juste avant l’expédition d’Abyssinie) l’homme politique le plus admiré en Europe. Bref, il fréquente les grands, notre homme, y prend manifestement plaisir, a bien dû se prendre, à certains moments, pour Joinville ou pour Plutarque, avec le vent de l’Histoire (celle de ces années-là) toujours prêt à vous faire tourner la tête.

     

    Et ma foi, il raconte plutôt bien. Ainsi, cette rencontre aux Invalides, le 22 octobre 1935, avec le maréchal Pétain : « Dans l’antichambre, les portraits de Condé et de Vauban dominent des rangs de chapeaux mous et des melons. Pétain : la majesté du sénat romain, avec la froideur britannique. Droit, sans embonpoint, avec un étonnant regard d’acier. La veine temporale à peine marquée. Des rancœurs, toujours plus âpres chez les vieillards, à cause du temps qui leur est mesuré ». On n’est pas très loin de certaines descriptions de l’Imperator par de Gaulle, dix-neuf ans plus tard, dans le premier tome des « Mémoires de Guerre ». Deux ans plus tôt (21 mai 1933), c’est un autre maréchal, Lyautey, que rencontre notre journaliste, chez Maurois. Un an avant la mort du « pacificateur » du Maroc.

     

    A lire. Par qui ? Par tous ! Tous ceux qui aiment se laisser porter par l’Histoire de France, ses grands esprits, ses écrivains, ses hommes d’armes, ses figures de gloire et de défaite, l’éblouissante noirceur de ses maudits. Oui, vous avez bien lui, quelques lignes plus haut : Condé et Vauban dans l’antichambre du Maréchal, aux Invalides. L’époustouflant vainqueur de Rocroi, premier prince du sang, qui combattra le Roi son cousin, et que Louis XIV finira pourtant par absoudre. Et puis, le défenseur, le fortificateur. La Ligne Maginot, trois siècles avant. A cette petite différence près : l’œuvre de Vauban, elle, tiendra. A laquelle de ces deux puissantes références le vainqueur de Verdun allait-il le plus puiser ses désirs ?

     

    A tous, excellente lecture !

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Ah, la flotte ! Il nous restera la flotte !

     

    Rethondes, Compiègne, Bazaine, quel mot faut-il encore pour qualifier l’attitude du Conseil fédéral, depuis dix-huit mois, en matière de secret bancaire, de bonus, de rémunérations ? Sous la pression de l’opinion publique et – plus bizarrement – sous celle du parti socialiste suisse, qui n’est pourtant pas la formation électoralement la plus impressionnante du pays, le gouvernement suisse va de capitulation en capitulation. Pour le moment, c’est encore la rase campagne. A quand la demande d’armistice ? Et pour sauver quoi ? Notre flotte ? La CGN ?

     

    Incompréhension, oui. Voilà un gouvernement de droite (cinq ministres sur sept), appuyé par une très confortable majorité de droite portée au Parlement par le peuple souverain, en octobre 2007. Elections où le parti socialiste a reflué, passant à la baisse la barre des 20%, et où les Verts n’ont finalement pas cassé la baraque comme on aurait pu le croire : un peu moins de 10% du corps électoral. Si on y ajoute quelques divers gauches, chrétiens-sociaux, traîtres ou traîtrillons, et deux ou trois torturés de l’âme en quête extatique du Centre absolu, on arrive à une majorité de droite de deux tiers, dans la Suisse fédérale de 2007-2011. C’est, à l’exception du récent vote en Hongrie, sans comparaison sur notre continent.

     

    Malgré cela, dans les affaires citées plus haut, le Conseil fédéral semble agir comme si Christian Levrat lui tenait un pistolet sur la tempe. Levrat, excellent politicien, maquignon, donc jamais content lorsqu’il fait son marché, histoire de laisser les enchères monter. Hier encore, suite à la décision sur les rémunérations fiscalisées à partir de deux millions, le président du PSS affichait encore la moue. Etrange législature, non, où les perdants semblent terroriser les gagnants, et où les représentants de ces derniers semblent avoir oublié le mandat qui est le leur. A ce jeu de concessions perpétuelles, non seulement la droite suisse ne gagnera aucun électeur à gauche, mais en plus elle en perdra beaucoup chez elle. Et nombre de déçus d’un radical-libéralisme complètement désorienté ne manqueront pas de se tourner vers une offre politique plus claire et plus conforme à leurs aspirations : l’UDC.

     

    Voilà comment on perd des combats. Voilà comment on perd une législature. Voilà comment on perd une guerre. Heureusement, il nous restera la flotte. La CGN. Pour mieux nous laisser dériver dans l’insouciance d’un printemps.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

     

  • Uli et les chers camarades

     

     

    On aime ou non Uli Windisch, on apprécie ou non ses idées, ça n’est pas ici la question.

     

    La question, c’est la chasse aux sorcières dont fut victime cet homme, l’an dernier, de la part de certaines personnalités socialistes bien précises, au premier plan desquelles Christian Levrat, pour avoir publié dans le Nouvelliste, le 14 mai 2009, une chronique intitulée : « Notre ennemi : le socialisme de la démagogie et des bas instincts ». Chronique certes assassine, j’ai déjà écrit que je n’aurais pas utilisé ces mots-là, mais enfin chronique, expression libre d’une idée, dans le champ éditorial de Suisse romande, avec l’indépendance que donne le statut de chroniqueur externe dans les colonnes d’un journal.

     

    J’ai lu dimanche après-midi, d’une traite, le livre*** que vient de consacrer, juste un an après les faits, le principal intéressé à sa propre affaire. Le constat, textes et documents à l’appui, est encore plus dévastateur que le sentiment qui était mien au moment des faits, où j’avais plusieurs fois pris la plume pour défendre Uli Windisch : au plus haut niveau du parti socialiste suisse, on a voulu sa peau. On a ourdi, tramé, écrit des lettres derrière son dos, mis la pression, demandé sa tête.

     

    Et on a bien failli l’obtenir ! Sans la mobilisation de quelques-uns, parmi lesquels Philippe Barraud et Vincent Pellegrini, tout était prêt pour que fût offerte aux caciques du PSS, sur plateau d’argent, la tête de l’odieux importun. Ici, c’est un journaliste de la RSR (livre de Windisch, page 12) qui, aussitôt après parution du texte dans le Nouvelliste, « téléphone à l’Université pour lui demander ce qu’elle pense de la chronique, et, le cas échéant, quelles sanctions elle compte prendre à l’encontre d’Uli Windisch ». Là, c’est Christian Levrat, président du parti socialiste suisse, qui prend la plume pour demander la tête de Windisch. Ailleurs encore, c’est un député socialiste genevois qui saisit le Grand Conseil. Sans compter Stéphane Rossini, no 2 du PSS.

     

    Climat typique de chasse aux sorcières, oui. Que recrée parfaitement le livre, en produisant simplement, dans l’ordre chronologique, tous ces différents documents. Il en ressort un goût amer de délation, de petitesse, d’acharnement. Contre qui ? Contre un homme, simplement, qui avait émis une opinion. Nul, chez les chers camarades, ne sort grandi de ce climat d’épuration. A commencer par Christian Levrat, dont on découvre, ma foi, une facette bien peu libérale, bien peu tolérante, plus proche de Fouquier-Tinville que de Jaurès.

     

    Et encore, quand vous aurez lu certains articles de Jaurès dans la Dépêche du Midi, au moment de la montée de l’antisémitisme à Alger, dans les années 1880-1890, nous reprendrons amicalement le sujet.

     

    Pascal Décaillet

     

    *** "L'affaire UW", par Uli Windisch, Editions L'Âge d'Homme, avril 2010.