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Liberté - Page 1467

  • Libéraux-radicaux : des vertus du déracinement

     

    Hier soir, à des majorités très nettes, les délégués des radicaux et des libéraux genevois, siégeant simultanément en deux endroits différents (Pregny-Chambésy et l’Uni-Dufour), ont donné leur feu vert au principe de rapprochement entre ces deux partis. Ca n’est pas encore la fusion, pas encore le mariage, mais c’est le début d’un processus qu’il convient de saluer. Il a fallu, comme l’a noté ce matin Rolin Wavre, secrétaire général des radicaux, « se déraciner » de quelque chose, à quoi on tient, pour tenter le pari d’un ailleurs.

     

    C’est cette notion (éminemment barrésienne) de « déracinement » qui retient l’attention : aujourd’hui fort proches, ces deux partis cantonaux surgissent de deux Histoires tellement différentes, faubourgs de Saint-Gervais pour les uns, Vieille Ville pour les autres, artisans, tisserands, petits commerçants d’un côté, financiers de l’autre. Les publicains et les patriciens. On pourrait multiplier ce qui, si longtemps, les a séparés. A lire, d’urgence, l’œuvre complète d’Olivier Meuwly, incomparable historien de cet univers politique, depuis le dix-neuvième siècle.

     

    Des différences, certes, à n’en plus finir. Mais quoi, la politique est affaire de réalités : aujourd’hui ces deux univers représentent, peu ou prou, le même système de valeurs, entre d’une part la gauche, et d’autre part une droite plus isolationniste, voire nationaliste. On notera – pour poser sans tarder un nouveau jalon vers l’avenir – que la démocratie chrétienne, avec toutes les nuances sociales et familiales qu’on voudra bien reconnaître, appartient, elle aussi, dans les grandes lignes, à cette famille-là : liberté du commerce, de l’industrie, encouragement à l’innovation, création de richesses pour mieux pouvoir les redistribuer.

     

    On voit mal comment ce nouveau parti, « libéral-radical », qui va doucement voir le jour dans l’espace politique genevois, pourrait, à terme, se passer de la vieille et si riche démocratie chrétienne : 163 ans après le Sonderbund, la survie de ces partis passe par une reconnaissance de ce qui les rassemble, plutôt que par le rappel obsessionnel de ce qui a pu, naguère, les séparer. Et c’est un Valaisan qui signe ces lignes, héritier par son ascendance de la double tradition de ces ennemis qui, du Trient aux confins de Bagnes, se sont tant combattus.

     

    « Déracinement », oui. La vie politique, la vie tout court, sont jalonnées d’une succession de renoncements volontaires, pour pouvoir avancer. Dans la douleur, certes, comme en témoignait ce matin l’amertume de Robert Ducret, radical canal historique, canal Carouge, canal Genève, l’un des hommes les plus admirables de l’après-guerre genevoise. Et ce même homme, malgré ses innombrables réticences, a voté oui, hier soir, parce qu’il a senti qu’il ne fallait pas contrarier la puissance naissante d’un nouveau projet. Il s’est « déraciné » de lui-même, de ses valeurs, de sa génération, pour laisser vivre quelque chose de nouveau.

     

    « Déracinement » ; le mot de Rolin Wavre est le mot-clef. Il implique d’abord qu’on en a, des racines, puissantes, complexes, entremêlées, et qu’il s’agira toujours de s’en souvenir. Nul parti politique n’est apatride, volapük, météore, nul n’est en apesanteur. Et c’est précisément parce qu’il vient de quelque part, avec la richesse de ses alluvions, qu’il pourra sortir de lui-même, se fondre dans quelque chose de plus grand.

     

    Ce processus, que j’avais évoqué à Martigny le vendredi 11 novembre 2005 devant beaucoup d’hommes politiques qui se reconnaîtront en lisant ces lignes, ne peut laisser sur le bord du chemin le parti qui fut, au niveau national, celui de Kurt Furgler, au niveau genevois celui de Jean-Philippe Maitre. Parce qu’il est, ce parti-là, une composante essentielle de notre Histoire nationale, avec ses tensions, ses contradictions, sa résistance au Kulturkampf, sa réponse donnée, dès la fin du dix-neuvième siècle, à la condition ouvrière. Le Sonderbund, c’est fini. Entre la gauche et l’UDC, il y a la place, à Genève et en Suisse, pour une droite ouverte, plurielle, innovatrice, redistributrice. Ce jour-là, qui est certes encore lointain, les partis dits populistes commenceront peut-être, doucement, à régresser.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • Philippe Souaille et la nuit des grandes peurs

     

     

    Transformer en les détournant les propos d’un commentaire, diaboliser celui qui ne pense pas comme lui, sa faire passer soi-même pour l’homme des Lumières, le patient exégète de la clarté du monde, là ou l’autre ne charrierait que forces obscures, passions inavouables, si ce n’est une ancestralité confessionnelle qui aveuglerait sa conscience. Telle est la stratégie récurrente du blogueur Philippe Souaille. Il y aurait d’un côté le Compas et l’Equerre, le logos argumenté, la qualité dialectique du discours articulé (bref, lui-même, Philippe Souaille), et, en face, la honte rugissante de l’image, la nuit des grandes peurs, l’inavouable des primitifs.

     

    Dernier exemple en date : le thème de la frontière. Dans un édito publié lundi dans la Tribune de Genève, je pose, poliment et calmement, la question de « la corrélation entre le chiffre (record) du chômage à Genève et l’accès des frontaliers au marché de l’emploi. Cette question (ajouté-je), au moins, mérite qu’on l’étudie. Sans passion, sans rejet de l’autre. Il n’y a, dans cette démarche, rien de xénophobe ».

     

    Cette question (à laquelle je ne donne d’ailleurs pas de réponse, car je suis loin d’être un adversaire de la libre circulation), il se trouve que beaucoup de gens, à Genève, se la posent. En tout cas depuis la campagne de l’automne 2005. Peut-être ont-ils tort, mais pour le moins faudrait-il qu’en face, notamment du côté de François Longchamp, on leur réponde avec suffisamment de conviction pour apaiser leurs angoisses. Avec ces fameux « arguments », hérités de la pensée dialectique (qu’elle soit celle d’Aristote, des Lumières ou de Hegel), oui l’argument, plutôt que l’opprobre, le mépris, la diabolisation. Car dans ce second cas, on conforterait le sentiment qu’il y aurait les gens d’en haut, qui ont compris (et qui, comme une cléricature, n’auraient plus qu’à expliquer les bienfaits de la libre circulation à ceux d’en bas), et puis les autres, la masse informe qui serait une proie si facile pour les partis aux idées courtes.

     

    Cette manière d’envisager le débat n’est pas digne de la conception républicaine dont se réclame (à juste titre) Philippe Souaille. Le vrai débat, c’est d’affronter l’autre. Non pas en lui disant qu’il n’a rien compris, ni en lui brandissant en ostracisme ses adhésions spirituelles, mais en alignant des arguments. Car plus Philippe Souaille et les siens nous joueront la puissance des Lumières (dont je ne sache pas qu’ils soient les seuls dépositaires) face à l’archaïsme de la nuit, moins leurs idées, avec ce qu’elles ont d’intéressant, n’avanceront. Une histoire d’arroseur arrosé, en quelque sort. Ou d’éclaireur jeté dans la pénombre.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

     

  • Le pignon, la rue

     

    Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Jeudi 08.04.10


    Au sommet du parti libéral, d’ici quelques semaines, Michel Halpérin aura passé la main. A coup sûr, sa formation politique lui devra une fière chandelle : après les Décombres (le principal intéressé me pardonnera cette allusion à Lucien Rebatet), la Résurgence. Après la mort, la renaissance. Après la pluie, le beau temps.

    Eden ? Pas si loin. Pour un parti qu’on disait revenu de l’Enfer, les résultats électoraux, toutes ces dernières années, sont loin d’être mauvais : même au Grand Conseil, même après le maelström MCG, les libéraux restent en tête. Leurs deux conseillers nationaux comptent parmi les meilleurs. Il paraît même qu’ils auraient deux conseillers d’Etat. Mais ce sont là des ragots invérifiables.

    Mieux : comme tout être normalement constitué lorsque point le printemps, les libéraux fréquentent. Ils frayent. Avec les descendants de ces sauvages de Saint-Gervais qui, naguère, leur ravirent la rue tout en leur laissant l’usufruit du pignon.

    Alors oui, hommage à Michel Halpérin. Peut-être l’ombrageux imperator pourrait-il, comme cadeau de départ, pousser l’audace jusqu’à faire confiance à celle, dans son parti, qui tente désespérément de montrer un intérêt pour l’exécutif de la Ville. Une femme de chœur et d’autel. Tout ce qu’il faut pour mener à bien ce que ce parti adore : une opération sacrificielle. Ah, le sang ! Le sang qui sèche ! Bonheur.

     

    Pascal Décaillet