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Libéraux-radicaux : des vertus du déracinement

 

Hier soir, à des majorités très nettes, les délégués des radicaux et des libéraux genevois, siégeant simultanément en deux endroits différents (Pregny-Chambésy et l’Uni-Dufour), ont donné leur feu vert au principe de rapprochement entre ces deux partis. Ca n’est pas encore la fusion, pas encore le mariage, mais c’est le début d’un processus qu’il convient de saluer. Il a fallu, comme l’a noté ce matin Rolin Wavre, secrétaire général des radicaux, « se déraciner » de quelque chose, à quoi on tient, pour tenter le pari d’un ailleurs.

 

C’est cette notion (éminemment barrésienne) de « déracinement » qui retient l’attention : aujourd’hui fort proches, ces deux partis cantonaux surgissent de deux Histoires tellement différentes, faubourgs de Saint-Gervais pour les uns, Vieille Ville pour les autres, artisans, tisserands, petits commerçants d’un côté, financiers de l’autre. Les publicains et les patriciens. On pourrait multiplier ce qui, si longtemps, les a séparés. A lire, d’urgence, l’œuvre complète d’Olivier Meuwly, incomparable historien de cet univers politique, depuis le dix-neuvième siècle.

 

Des différences, certes, à n’en plus finir. Mais quoi, la politique est affaire de réalités : aujourd’hui ces deux univers représentent, peu ou prou, le même système de valeurs, entre d’une part la gauche, et d’autre part une droite plus isolationniste, voire nationaliste. On notera – pour poser sans tarder un nouveau jalon vers l’avenir – que la démocratie chrétienne, avec toutes les nuances sociales et familiales qu’on voudra bien reconnaître, appartient, elle aussi, dans les grandes lignes, à cette famille-là : liberté du commerce, de l’industrie, encouragement à l’innovation, création de richesses pour mieux pouvoir les redistribuer.

 

On voit mal comment ce nouveau parti, « libéral-radical », qui va doucement voir le jour dans l’espace politique genevois, pourrait, à terme, se passer de la vieille et si riche démocratie chrétienne : 163 ans après le Sonderbund, la survie de ces partis passe par une reconnaissance de ce qui les rassemble, plutôt que par le rappel obsessionnel de ce qui a pu, naguère, les séparer. Et c’est un Valaisan qui signe ces lignes, héritier par son ascendance de la double tradition de ces ennemis qui, du Trient aux confins de Bagnes, se sont tant combattus.

 

« Déracinement », oui. La vie politique, la vie tout court, sont jalonnées d’une succession de renoncements volontaires, pour pouvoir avancer. Dans la douleur, certes, comme en témoignait ce matin l’amertume de Robert Ducret, radical canal historique, canal Carouge, canal Genève, l’un des hommes les plus admirables de l’après-guerre genevoise. Et ce même homme, malgré ses innombrables réticences, a voté oui, hier soir, parce qu’il a senti qu’il ne fallait pas contrarier la puissance naissante d’un nouveau projet. Il s’est « déraciné » de lui-même, de ses valeurs, de sa génération, pour laisser vivre quelque chose de nouveau.

 

« Déracinement » ; le mot de Rolin Wavre est le mot-clef. Il implique d’abord qu’on en a, des racines, puissantes, complexes, entremêlées, et qu’il s’agira toujours de s’en souvenir. Nul parti politique n’est apatride, volapük, météore, nul n’est en apesanteur. Et c’est précisément parce qu’il vient de quelque part, avec la richesse de ses alluvions, qu’il pourra sortir de lui-même, se fondre dans quelque chose de plus grand.

 

Ce processus, que j’avais évoqué à Martigny le vendredi 11 novembre 2005 devant beaucoup d’hommes politiques qui se reconnaîtront en lisant ces lignes, ne peut laisser sur le bord du chemin le parti qui fut, au niveau national, celui de Kurt Furgler, au niveau genevois celui de Jean-Philippe Maitre. Parce qu’il est, ce parti-là, une composante essentielle de notre Histoire nationale, avec ses tensions, ses contradictions, sa résistance au Kulturkampf, sa réponse donnée, dès la fin du dix-neuvième siècle, à la condition ouvrière. Le Sonderbund, c’est fini. Entre la gauche et l’UDC, il y a la place, à Genève et en Suisse, pour une droite ouverte, plurielle, innovatrice, redistributrice. Ce jour-là, qui est certes encore lointain, les partis dits populistes commenceront peut-être, doucement, à régresser.

 

Pascal Décaillet

 

 

 

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